Lettre à Jorge
Jorge,
mon très cher Jorge, mon ami Jorge, je suis ce matin de tout cœur avec toi. La
tristesse, le désespoir, l'incompréhension, l'incrédulité se sont abattus sur
toi et les tiens. Il est 18h. Tu es heureux, l'esprit léger et primesautier.
Rien ne laisse présager ce grand malheur qui va s’abattre sur la communauté
lusitanienne. Après l’avoir embrassé, tu as déposé au-dessus de l’écran le
portrait d’Eusébio encore ceint d’un crèpe noir. Tu es certain que cette
fois-ci c’est la bonne. Porté par l’obstinée ferveur de tout un peuple et par
le vent de l’Atlantique, le Portugal ne peut que vaincre. Tel Pedro Alvares
Cabral, Ronaldo et ses coéquipiers vont reconquérir ce pays du football et bouter
les allemands. Tu sens le grand frisson de 1966 te parcourir l’échine.
L’émotion est à son comble. Le coup d’envoi est donné mais tu ignores encore
que ce coup sera fatal. Inutile de revenir sur ce que, consterné et désabusé,
tu as vu jusqu’à ce coup de sifflet final, qui sonna à tes oreilles comme la
dernière note d’une funèbre hallali. Comme le dit mon tonton « Le teuton
est impitoyable ». Mais demain, rugissant comme les 40ème, le galion reprendra le large à la conquête du
nouveau monde.
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