mardi 27 novembre 2012

A autre chose (22)

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Il m’arrivait l’été, à l’heure où le chant des oiseaux précède les lueurs du matin, de me lever et, nu, d’aller faire quelques pas dans le jardin. Je sentais sur ma peau la fraîcheur de la nuit qui se retirait. Je marchais dans l’herbe. Je sentais la rosée qui ruisselait sur mes pieds. J’attendais de frissonner et je rentrais. Sans bruit, je remontais dans la chambre et me glissais dans le lit. Je devinais l’abandon de son corps, la chaleur du sommeil qui par ondes me réchauffait. Au hasard je posais ma main. Elle me semblait brûlante. Le froid de mes doigts provoquait un mouvement qui échappait presque à ma perception. Elle devinait. J’attendais, comme si j’hésitais.
Je la caressais. Je voyageais le long de ses formes. Son cou, ses épaules, son dos. Parfois, elle interrompait ma progression en se retournant. Comme lancée dans une piste de poudreuse, ma main passait entre ses seins, glissait sur son ventre. J’atteignais et gardais le sommet dans ma paume comme une gangue qui protège un fruit. Ses cuisses s’éloignaient l’une de l’autre. Une autre origine. Elle m’offrait sa douceur. Libre à moi. Comme un acteur dont les milliers représentations n’auraient pas colmaté toutes les brèches qui fissuraient sa confiance, il m’arrivait de ressentir l’appréhension de m’égarer en chemin, de ne soulever que de la poussière. Je caressais cette promesse de rose. Elle respirait de plus en plus fort. Elle gardait les yeux fermés. Je la regardais. Elle disait oui comme si elle avait peur que s’évanouisse ce qu’elle espérait. Peut-être inquiète, elle posait sa main sur mon doigt pour le guider, pour qu’il ne se perde pas en route. Je redécouvrais la fragilité du plaisir. Même simple accessoiriste, j’aimais sentir ce plaisir qui semblait remonter des profondeurs avec une violence qui sans cesse m’étonnait et me comblait.

dimanche 25 novembre 2012

Il suffirait

Ils sont partis. Il traverse parfois les friches de leur vie. Il contemple leur volonté. Il entend une porte qui bat dans l'ombre. Ils ne lui sont pas inconnus. Il a entendu leur voix. Il s'est vu dans leur regard. Ils lui ont souri. Il a partagé sa vie avec eux. Ils vagabondaient dans son esprit. Ils pouvaient surgir à tout moment dans ses pensées. Il s'interrogeait. Il les cherchait dans le silence. Même si chacun d'eux restait un autre, il les savait là. Et pourtant, il ressent l'éloignement, l'éparpillement comme s'il ne pouvait rien retenir, comme si le temps les repoussait, les emportait pour qu'il comprenne le vide de ses étreintes.
Il se souvient. Il passe son temps à se souvenir, à se réfugier. Il sait pourtant que la vie est maintenant ailleurs. Il suffirait...

vendredi 23 novembre 2012

Vide

Ce matin, il a pensé à ceux qui sont morts. Il les a rassemblés. Leurs visages sont éparpillés dans la maison. Il croise leur regard dans chaque pièce. Il se demande quelle était leur pensée à cet instant. Il ne sait pas pourquoi il tient tant à parsemer ses jours de leur photo. Un jour, une pose. Il sont là. Pour qui posait-il? Il tente parfois de lire dans leurs yeux. Il recherche l'amour qui se prolonge.  Il les aime. Il ne pense pas à eux. Il est ce qu'ils étaient. Il n'a pas peur de les oublier. Il a pourtant conscience du temps. L'amour seul, comme ça, qui se dilue. Il voudrait un corps, une voix. Un visage qu'il pourrait prendre dans ses mains, qu'il pourrait caresser. Il a vécu ce jour où la vie se vide sans plus avoir envie de la retenir.

lundi 19 novembre 2012

A autre chose (21)

"La première fois que j'ai fait l'amour. Quelque soit la façon dont cela se passe, on utilise cette expression. Si je rassemble l'ensemble des éléments de cette première fois, ce que j'ai fait ne ressemblait en rien à l'amour. J'étais avec celle qui avait accepté. Tout s'est déroulé comme si j'avais suivi les recommandations d'une note technique. J'étais appliqué. L'envie de bien faire. J'étais alors persuadé que faire l'amour devait toujours se terminer  de la même façon. Pendant longtemps j'ai fait l'amour en ayant cette impression d'être seul. Je connaissais l'envie, le désir. Dans la mesure du possible, j'essayais de choisir les jeunes filles, puis les femmes. J'étais très impliqué pendant la phase de séduction. Je crois que je faisais preuve d'une réelle sincérité. Mais malgré tous mes efforts, séduire me suffisait. Bien sûr, la plupart du temps je passais à l'étape suivante. Je n'aimais pas décevoir. Je respectais les conventions. Pour tout dire, je ne savais pas comment ne pas dire oui. Je me serais pourtant contenté de presque faire l'amour. Et puis, pour ne pas renoncer totalement, pour préserver cette parcelle d'intimité, j'avais décidé que je jouirai presque. Au début, l'échec était systématique. A mon grand étonnement, je me suis acharné. Le triomphe d'une certaine volonté. Cette maîtrise était diversement appréciée. Je ne sais pas si tout cela était lié mais les périodes d'abstinence volontaire devinrent fréquentes et prolongées."
Il se demande si ces détails sont bien utiles. Ce sont des riens, des pas grand chose mais c'est aussi lui. Dans les recoins, derrière le lit, au fond d'un tiroir, dans les plis d'un rideau.

Là-bas

Si rien ne se passait à Damas. Aussi mort que les contraires qui s'affrontent. Là-bas, la fumée monte vers le ciel et obscurcit la bonté. Sans nom, dans l'ignorance de chaque jour. Quoi de plus aujourd'hui. Hier, le ciel bleu, le soleil, des chemins de poussière, un dictateur, des tortures. Les arguments d'une diplomatie de l'équilibre, de la tranquillité. Là-bas sur une carte de frontières rectilignes et aux couleurs d'une douceur de pigments. La règle du maître ne s'y était pas attardée peut-être même ne l'avait-elle jamais traversée. Le silence. L'absence de visages. Le portrait d'un homme sur les murs, comme s'il avait été longtemps le seul habitant de son pays. Et puis la terreur en héritage. Cette fois avec le sourire, comme une marche vers le despotisme. La culture, les bonnes manières, une modernité. Une épouse dotée d'un charme devenu un produit d'exportation. Le fils n'avait pas besoin de faire semblant, si ce n'est pour nous rassurer, pour valider notre clairvoyance. Nous avions confiance en lui. Un dictateur allait conduire son peuple sur le chemin de la liberté. Allait-il être victime d'un éblouissement? 

vendredi 16 novembre 2012

C'est écrit




Ce matin, j'étais assis dans la cuisine, les écouteurs de mon mp3 sur ou plutôt dans les oreilles. Il était branché sur France culture mais je n'écoutais pas. Je me demande comment cela est possible. Le sujet, à mes oreilles, n'avait peut-être aucun intérêt. Ainsi que je vous l'ai souvent conté, je consacre une partie non négligeable de mon petit déjeuner à laisser refroidir mon thé. Je pars du principe, encore un, que chaque élément de cet épisode du matin a droit au respect, à son épanouissement personnel. Il doit être donné au pain le temps de griller, au beurre de fondre et d'imprégner la mie, au café de passer goutte à goutte et de répandre son arôme, à la confiture de s'étaler, à la tartine de plonger dans le bol, d'en sortir pour se réfugier dans notre bouche, à notre langue de jouir des textures et des goûts que nous lui offrons. Et je n'aborde pas là les gâteries occasionnelles qui, comme des répliques du plaisir, sont le prolongement du temps. Mais là n'était pas le sens de mon propos.

Donc ce matin, attendant le refroidissement sans pour autant espérer la tiédeur, j'ai lu ce qui était écrit sur la boîte de thé. Je bois du thé depuis déjà plusieurs années et c'était la première fois que je consacrais ma curiosité à la lecture de ce genre de texte. Je me suis plus particulièrement consacré à la partie dont la raison d'être est de nous inciter à acheter celui-ci plutôt qu'un autre. Je l'ai lue plusieurs fois avant de saisir que je n'en comprenais pas le sens. Des adjectifs à ne plus savoir quoi en faire (savoureux, profond, exotique, mystérieux, ancestral, florale, subtil...). Des formules qui ne permettraient même pas d'avoir la moyenne au brevet des collèges ("a conservé l'esprit métissé des denrées exotiques..." et autres "avec cette recette à l'âme slave, Lipton vous invite à vous évader sur les traces des caravanes légendaires"). Je peux vous dire que dès le début j'ai tenu à mettre les chose au clair, il n'était pas question que les chameaux entrent dans la cuisine.  

A partir de rien ou si peu

Au temps où l'ourang-outan hésitait. Le temps qu'une balle le frappe en plein front. Sa chute exécutée, ses bras enfin touchaient le sol. Parfois son crâne craquait. Un bruit que personne n'entendait. Ou alors, sa tête rebondissait sur la terre recouverte de feuilles. Quoi qu'il en soit, il finissait par ne plus bouger. Il n'avait pas le choix. Sa mort commençait sans avoir le temps de toucher la fin de sa vie, ne serait-ce que d'un oeil. Il ne revoyait pas sa vie en accéléré. Il n'avait pas de dernière pensée. A qui aurait-il pensé? Aurait-il hésité si il en avait eu le temps? Peut-être que refusant de choisir, il n'aurait pensé à rien. Il n'aurait pensé à personne. Qui l'aurait su?
Il arrivait, qu'après avoir été frappé en plein front, une sorte de malchance le maintienne entre deux branches. Il était tout aussi mort mais sans toucher le sol. Dans cette position, si ce n'est les gouttes de sang qui quittaient son crâne, on pouvait le croire vivant. La tête en bas, il donnait l'impression de se balancer. Ce n'était que le vent qui accompagnait le dernier élan de sa vie. Vus d'en bas, les détails échappaient au regard.   Il était pourtant mort. Pendant quelque temps encore, la souplesse de ses membres demeurait, entretenue par la chaleur du soleil, par l'humidité qui les rejoignait. Il atteignait un jour le stade de la rigidité. Les rafales des dépressions le malmenaient. Chaque jour le rongeait sans que pourtant d'un matin à l'autre il soit possible  de décrire ce qui avait changé. Ce qui ne laissait aucun doute, c'est qu'il allait pourrir, que toutes sortes de bestioles le grignoteraient jusqu'à ce que le vent disperse ce qui ne pouvait être digéré. Il ne resterait rien du temps où l'ourang-outan hésitait.
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jeudi 15 novembre 2012

A autre chose (20)

Notre vie est parsemée de premières fois dont parfois nous croyons nous souvenir. Les unes plus marquantes que les autres. Sans que l’on sache vraiment pourquoi, pour ce qui le concerne, sur sa frise du temps, il tient absolument à mettre un point qui signifie « Ce jour là, pour la première fois j’ai vu quelque chose qui m’a fait bander. » Peut-être que s’il pouvait, il mettrait une photo. Sa vie est un tel fouillis que des repères comme celui-ci donnent un semblant de cohérence. Quand on y réfléchi, pourquoi serait-on fier de cette manifestation physique qui échappe totalement à la volonté, à telle enseigne que parfois elle nous embarrasse.
Comme je sais qu’il n’osera pas, je vais prendre pied dans son intimité. Non que j’ai pu être le témoin de quoi que ce soit, mais j’ai la sensation de le connaître, d’avoir creusé avec lui, de l’avoir aidé à consolider la galerie qui passe sous le terrain vague. Je crois que, au moins au début, j’avais le même désir que lui de trouver quelque chose, de découvrir ce je ne sais quoi qui rendrait heureux. Je parle de son intimité mais je ne sais pas de quel droit. Je le connais, dis-je. Jusqu'où? Quelle est la limite à ne pas dépasser? Comment s'approcher de celui que l'on aime sans le blesser, sans le piétiner, sans lui faire peur. Je ne sais même pas si je peux m'approcher. Pour m'approcher de la vérité, je ne le connais pas. Bien sûr, je sais qu'il est comme ça, qu'il aime ceci et d'autres choses encore, qu'il peut, quand il s'en donne la peine, avoir de l'humour. Je pourrais aligner ce que je sais de lui le long de lignes, durant d'entiers paragraphes et pourquoi pas de chapitres. Peut-être découvrirais-je ce que je croyais ignorer. Je marcherai sur un sol de poussière vers la porte qui se trouve au fond du couloir. Je serai ce personnage qui n'atteint rien comme dans cette scène d'un film fait de lenteur et d'incompréhension dans lequel la caméra nous laisse deviner au loin une silhouette qui tremble dans la lumière du jour et que l'on suppose être celle du héros qui n'en finit pas de s'approcher de nous sans que l'on en soit certain, comme cette phrase qui n'en finit pas, dont le sens s'éffiloche à l'approche du point. 

mercredi 14 novembre 2012

A autre chose (19)

""Un visage dans le mouvement du jour. L'expression des yeux que j'ai gardé en moi. Cette impression d'être passé à côté de chaque jour. Je rassemble en moi les images, les gestes, les sourires comme si je tournais des pages. Si peu. Les pages blanches se succèdent. Je n'ai rien à y mettre. Je les regarde une à une. Même dans la lumière elles ne révèlent rien. J'essaye de me persuader qu'il y a un sens même si je ne le comprends pas. Dans le seul instant de ma vie j'essaye de rassembler ce que j'aime, ce qui me rassure. Enfant, seul dans la maison, je prenais d'assaut la chambre de mes parents et j'escaladais leur lit. Je me glissais entre les draps que le mouvement et la chaleur des corps avaient rendus à leur douceur. Je tirais sur les couvertures afin de pouvoir les enrouler autour de moi. Sous la surface de laine et de coton je façonnais une caverne, un refuge. Je m'y enfonçais et j'attendais. Il ne se passait jamais rien. La chaleur et le manque d'air me ramenaient à la surface. Ce n'était peut-être que l'envie d'être seul, d'accomplir un rituel inconnu des autres qui m'offrirait tout le temps de lui donner un sens. La répétition me donnait un plaisir. Et puis je retournais dans ma chambre.
"Je revis souvent ces dernières secondes". J'écris souvent cette phrase, elle est toujours en moi. Je ne comprends pas pourquoi je revis ce qui était presque la mort. Je ne sais pas ce que j'y cherche. Etre seul, me cacher dans des vestiges, dans le froid du passé. La vérité me fait souffrir. Le présent me fait souffrir. Ils disent que la vie continue. Qu'est-ce qui continue? Leur vie? Vivre serait une obligation. La vie serait plus fort que tout. Je cherche. Parfois j'ose pleurer et je me souviens que je suis moi. Même si elle m'est incompréhensible, elle est ma vie mais elle ne continue pas. Qu'aurais-je à justifier? Je ne sais pas pourquoi je retiens la violence, la colère, pourquoi je suis souvent loin de moi. Pourquoi ai-je continué à me réfugier jusqu'à l'étouffement?"