dimanche 29 décembre 2013

De mots en enfer

Avant de faire une croix
J'ai tiré les mots à moi
Couverture imprimée
J'ai mis ces mots à mal
 Les phrases ont coulé
Comme en cavale
Dans mes veines mot à mot
Elles m'ont pris au mot
Arrivé en bout de ligne
Il m'en fallait une autre
Prêt à donner mon signe
Pour rester en suspension 
Et vibrer au son des accords
Je lisais sans cesse
Dans tous les sens
Même un extrait
Pour en sentir l'essence
Ignorant les avertissements
L'ivresse était sans prologue
Rejeté par un vague épilogue
J'échouais sur la plage blanche



vendredi 27 décembre 2013

Peut-être



Née d'un matin comme une merveille
D’un souffle entre mes lèvres en éveil
Je lui glissais les mots à l’oreille
Ces mots rencontrés dans mon sommeil

Dans les pâleurs du jour elle veille

lundi 9 décembre 2013

Près d'ici



Il se souvient du jour d’avant
Peut-être un jour en passant
Ce n’était alors qu’un autre jour
Un de ces jours sans détour
Un de ces jours que l’on ne retient pas
Comme son sourire, le soleil était là
Il sentait les rayons sur sa peau
Le temps s'écoulait comme de l'eau
Son amour se noyait dans ses yeux bleus
Il suffisait de si peu pour qu'il soit heureux
Elle parlait, se moquait de ses goût musicaux
Il se souvient de chacun de ses mots 
La légèreté du temps, la lenteur des heures
Il aurait pu croire la vie sans heurt. 

jeudi 5 décembre 2013

Du large

Sur la plage d’hier
Les crissements s’envolent
La couleur du vent

Au plus loin

Comme des pétales sur le sol
Les pleurs m’effleurent
Dans le bruit de la rivière

jeudi 28 novembre 2013

L'embouchure



L'embouchure

Dans toutes les rues du port
Qui descendent tout au bord
Des quais jusqu’à l’embouchure
Comme la dernière écorchure
Des focs jusqu’à l’écoutille
Comme un fruit se fendille
C’est en bas que ça grésille
C’est en bas que ça résille
Hissent les mats de la flottille
Au rythme des vagues frétillent
Voilà qu’apparaissent les quilles
Qui font vibrer les jupes des filles
L’eau ruisselle sur les coques
Les capitaines dansent sur les docks
Et l’on entend chanter jusqu’en bas
« Mélissa mets lui donc ça, Mélissa mets lui donc ça »

mercredi 20 novembre 2013

Etude (1, 2, 3, 4, 5)

1) Lui

J'ai relevé la tête et je l'ai vu tomber. Ou plus précisément, il a disparu de mon champ de vision. Mais cela s'est passé si rapidement, en une fraction de seconde, que seule une chute pouvait expliquer cette soudaineté. Jusqu'à ce moment, il ne s'était rien passé. Rien qui puisse justifier que je prenne du temps pour le raconter. Je n'aime pas relater le rien. Ce n'est ni une posture, ni un principe. J'ai déjà tenté l'expérience mais je n'en ai pas tiré toute la satisfaction que j'en espérais. J'étais parti du principe que toute vie est passionnante si l'on prend un tant soit peu le temps de s'y intéresser. J'ai choisi ma vie. Non pas tant parce que c'était la mienne mais plutôt parce qu'elle m'était plus familière que toute autre. Comme je ne voulais pas écrire un roman, j'ai décidé de décrire  par le détail un jour de ma vie. Il fallait que ce soit un jour de la semaine plutôt neutre. Le week-end était souvent chargé en évènements. Le lundi était trop marqué en tant que premier jour de la semaine. Le vendredi était trop influencé par le samedi. Il restait donc trois jours. Mon choix se porta sur le mardi. J'appréciais sa relative neutralité. Il était principalement et généralement constitué de riens. C'était le jour de la banalité. Le mardi choisi, je le vécu pleinement, avec attention, minute par minute afin que ma mémoire puisse le lendemain me rapporter tous mes faits et gestes. Et j'ai passé mon mercredi à décrire mon mardi. Pas tout à fait. Arrivé mercredi minuit, je n'avais pas fini de raconter mon mardi. Alors, j'ai laissé tomber.
J'ai donc supposé qu'il était tombé. Disons que j'avais de bonne raisons pour le croire. A cette époque, j'aimais observer les autres et plus particulièrement les passants qui, ensemble, formaient une foule. Je les regardais aller vers la gauche, vers la droite. Ils bifurquaient parfois pour changer de trottoir mais la plupart du temps ils suivaient une ligne droite. Cela donnait ainsi un mouvement régulier, une sorte de douceur ondulante. Et là, en un point précis, cette régularité à été comme contrariée. Le flot a hésité. Sans vouloir exagérer, je crois que la panique n'était pas loin. Des trajectoires ont été contraintes de s'écarter de leur ligne habituelle. C'est ainsi que certains passants n'ont eu d'autre choix que faire quelques pas sur la chaussée avant de pouvoir à nouveau marcher sur le trottoir. Mais ce fut l'histoire de quelques secondes au terme desquelles, comme si un coup de gomme avait fait disparaître une imperfection, il ne restait plus trace de l'incident. Ce ne fut pas pour me déplaire. J'aimais regarder ce mouvement vivant, cette densité qui ne permettait pas de discerner les individus. C'était une masse de couleur plutôt sombre, compacte qui emportait mes pensées. Je pensais retrouver ma tranquillité mais cet incident continuait de me trotter dans la tête.
Seul un évènement imprévu pouvait être la cause de cette chute car je restais persuadé que c'était une chute. Il est vrai que je n'avais pour ainsi dire rien vu. Je ne savais pas si c'était une femme ou un homme. J'ignorais si cet inconnu avait trébuché, s'il avait été bousculé, s'il avait été poussé volontairement. A bien y réfléchir, je dois me résoudre à avouer que je n'ai rien vu. Du moins pas au sens où on l'entend communément. Si je puis oser une comparaison, j'étais dans la position de l'astronome qui, étudiant la trajectoire de planètes, en déduit l'existence d'une nouvelle jusqu'à lors inconnue. La comparaison a ses limites dans la mesure où je ne peux pas prouver la réalité de cet incident par le calcul comme peut le faire l'astronome pour sa planète.   

2) L'autre

Il était à la terrasse d’un café. Je devrais dire du café car c’était toujours la même. L’avais-je vu à cette terrasse un nombre de fois suffisant pour pouvoir utiliser le mot toujours. De mon point de vue, l’utilisation de ce terme se justifie à partir du moment où je suis dans l’incapacité de préciser le nombre de fois où je l’ai vu à cette terrasse, ce qui est le cas. Je peux dire que je l’y ai vu souvent. S’il n’est pas le seul habitué de cette terrasse, il se distingue de l’habitué lambda d’une part par son assiduité et d’autre part par sa capacité à être en terrasse quelque soit le temps. Une habitude. Depuis longtemps, et non depuis toujours, je me demande ce qu'est une habitude, ce qu'elle signifie. Nous ne pouvons leur échapper. Certaines d'entre elles sont comme des sillons qui marquent notre vie, comme des traits qui la dessinent. J'ai parfois cette impression déprimante que ma vie est une succession d'habitudes, collées les unes aux autres, sans le moindre espace entre elles pour y glisser un changement. Et puis d'autres fois, avec lâcheté, je me dis qu'elles donnent un sens à ma vie, qu'elles me ressemblent, qu'elles sont moi et que si je m'en débarrassais, je disparaîtrais avec elles. Il ne resterait qu'un vide, un terrain vague traversé par le vent.
J'avais l'habitude, en passant dans le salon, d'écarter un rideau d'une des fenêtres qui donnaient sur la rue. Je faisais ce geste sans y penser. Une sorte de rituel inoffensif. Ce matin là, la première fois que je l'ai vu, il faisait froid. Le ciel était calme. Le vent de la veille avait disparu. Plusieurs tables occupaient la terrasse. Plutôt que d'écrire que je le vis pour la première fois ce matin là, il serait plus juste de dire que c'était la première fois que je le remarquai. Chaque jour, mon cerveau prenait une photo de la terrasse qu'il rangeait ensuite dans une boîte. Et ce matin là, comme chaque matin, après l'impression du jour, mon cerveau a passé en revue et comparé les clichés pour remarquer qu'ils avaient un point commun et m'en informa. Ce point commun c'était lui. Ainsi identifié, il n'a pourtant pas retenu tout de suite mon attention. Comme si il avait fallu que je m'habitue à sa présence, qu'elle me devienne familière. J'ai commencé à m'intéresser à ce qui n'était au début qu'une présence, un point de repaire sans signification particulière.   


3) Le vieux

"Le vide. Y plonger. Ne jamais en revenir. Se perdre dans sa profondeur. Oublier. Dès la première seconde. Avant que les regrets ne grondent. Avant que l'élan ne se dissipe. S'offrir à la fatigue. Née de l'amour qui m'irrigue. Ces sentiments m'intriguent. Ils persistent, résistent. L'onde se précipite. Comme si elle fuyait devant la peur. De quoi ai-je si peur? Je pense à la vie. Se laisser emporter. Les images traversent l'hésitation. Je regarde mes mains. Elles reposent sur l'accoudoir. Qui pourrait les croire vivantes? Elles ont laissé s'échapper l'avidité. Elles n'hésitent même plus."

Il est dans son fauteuil, face à la fenêtre. Au début, c'était un fauteuil parmi ceux qui occupaient le salon. Puis, le temps passant, il était devenu son fauteuil. C'était comme si, plus il vieillissait, plus lui et cet objet devenaient indissociables. A croire qu'il était devenu un élément de ce fauteuil. Du moins pour les autres. Sa gouvernante le déposaient toujours dans celui-là. A la réflexion, mais sans qu'il puisse le vérifier, il n'aurait peut-être plus supporté d'être installé dans un autre. Quand il regardait ses mains, il ne pouvait s'empêcher de voir ce fauteuil comme une planche, une planche que les derniers instants soulèveraient pour le faire glisser six pieds en aval. Cette perspective, cette certitude, ne semblait pas l'affecter. Il n'exprimait plus rien. Avec le temps, il avait réussi à faire admettre qu'il était sourd, ou du moins que l'état de son audition ne lui permettait pas de soutenir une conversation. Il affectionnait la vision silencieuse. Maintenant, il regardait. Il passait son temps à regarder. Rien de précis. Parfois, rien. Regarder était la dernière habitude dont il gardait la maîtrise. Regarder lui procurait une sensation de légèreté, comme un souffle se libérerait d'une chrysalide. Un papillon se souvient-il qu'il fut une larve? Une larve prête à dévorer ses congénères.

Ce matin, il attend. Il regarde l'une des fenêtres qui lui font face. Cela fait plusieurs matins qu'il l'a remarquée. Pas tant la fenêtre que ce qui s'y passe. Il ne saurait dire depuis combien de temps cela dure, ce qui n'a d'ailleurs aucune importance.  De l'autre côté du trottoir s'élève un immeuble imposant composé, comme l'on dit, de pierres de taille. Ce détail lui donne toute la respectabilité dont on a voulu le parer. Il comporte six étages. Cette façade, qui seule s'offre à son regard, est percée de hautes fenêtres. Elles demeurent jusqu'au soir dans l'ombre du jour. Peut-être paraissent-elles plus claires l'été. Si l'on n'y prend garde, elles semblent identiques. Ce que dément une observation quotidienne.

4) Lui

J'ai ressenti cette tentation. J'aime être tenté. J'apprécie cette possibilité. Je ne veux pas en être délivré. Je n'ose pas à chaque fois. Ma vie est en partie une frustration. J'ai une réserve de tentation. Commune, la première tentation dont je me souviens fut sensuel. Comme une attraction. Une attirance imperceptible. Je me trouvais dans un cinéma. J'avais pris place dans un fauteuil. A cette époque, j'avais probablement un corps. Je ne sais pas quelle conscience j'en avais. Il ne m'a laissé aucun souvenir jusqu'à cette soirée. Il n'était une source de rien. Lorsque j'essaye de m'en souvenir, il n'évoque aucune sensation. Bien sûr, demeure les photos mais elles n'offrent à mon regard que deux dimensions. Lorsque je regarde les plus anciennes, elles ne représentent que ces instants qu'elles ont figés. Des instants sans épaisseur, sans odeur. Elles sont des points fixes, comme des impasses émotionnelles. Elles attestent de mon existence mais n'ont aucun sens. Elles sont peuplées d'êtres qui ne m'évoquent rien, dont la plus part sont probablement morts. Ils demeureront des instants en noir et blanc dont les regards ne laissent aucune ombre.

Peut-être était-ce la première fois que j'allais au cinéma. Je n'ai gardé que très peu de souvenir du film qui passait ce soir là. En revanche, j'ai un souvenir ébloui du hall d'entrée. Dans mon souvenir, en arc de cercle, il était haut, large, profond, le mur tapissé d'affiches annonçant les prochains films. L'éclairage ne laissait aucune zone d'ombre. Une fois les tickets en notre possession, nous nous sommes dirigés vers une des portes à battants. 

5) L'autre


 Quand le temps aura fini de passer, de quoi nous souviendrons-nous ? Quand je marchais dans les rues l’esprit libre, j’aimais regarder les visages des personnes que je croisais. J’étais plus attentif aux visages des femmes même si les traits de certains hommes retenaient aussi mon attention. Ces visages pouvaient m’avoir procuré un plaisir esthétique, avoir provoqué l’envie de les regarder plus longtemps que l’instant d’un croisement. Mais je remarquais que, appartenant à une femme ou à un homme, je ne gardais aucun souvenir de ces visages. Je suis pourtant persuadé qu’il reste en moi quelque chose de ces yeux qui m’ont regardé ou ignoré, de ces cheveux qui pouvaient évoquer un autre souvenir, de cette harmonie qui crée l’unique. Lorsque les femmes croisées étaient suffisamment espacées, je respirais leur parfum. Ma façon de me comporter me mettait parfois mal à l’aise. C’était le cas lorsque je découvrais un visage qui dans l’instant me fascinait. Je ne pouvais m’empêcher de le regarder avec une intensité qui pouvait être ressenti comme une intrusion. Je finissais par regarder ailleurs avec un sentiment de culpabilité. Je n’étais pourtant qu’un photographe qui n’aurait pas pris de photos.

lundi 18 novembre 2013

Poème pour un anniversaire




Karen

De cette soirée tu es la reine
Il ne te manque que la traîne
Mais à la traîne jamais tu n’as été
Tout au plus n’es-tu jamais pressée
Toute petite déjà tu étais Yvan la terrible
Dans tes yeux se reflétaient tes cibles
Alors qu’impatient le temps, lui, a passé
Toi, d’un simple et léger pas de côté
Tu l’as laissé passer et s’égarer
Le temps, tu l’as pris et mis de côté
Qu’as-tu à faire des années en somme
Tu n’es pas là pour en faire la somme
De compter ce n’est pas la peine
Pour les autres y’ en a plein la benne
Mais toi fossettes et peau de bébé
T’es plus resplendissante qu’un soleil d’été
Si tu n’as jamais été dans les temps
Celui des rides et des testaments
Tu as toujours été terre à terre
Celle des poireaux et des pommes de terre
Avec lesquels tu vas sauver la planète
Armée seulement de ta binette
Si longtemps avec Valérie tu as été de la caisse
Jusqu’à ce que tu te demandes mais qu’est-ce
Te rendant compte qu’à la CARSAT
Dans le désordre se cachaient les tracas
Préventivement tous tu les quittas
Mais comme un chou sans crème
Tu te sentis seule quand même
Que restait-il si ce n’est l’amour
Celui après lequel toujours l’on court
C’était fini, il n’était plus tout là-bas
Enfin il était tout près, tout juste là
Transportée de désir, toi, la jeune fille accorte
D’un coup de talon tu ouvris les portes
Et dans le temple pénétra l’avide David
Qui habile de son sabre combla le vide
Et plus tard, partage des eaux, s'ouvrit le ciel
Dans lequel, angélique, apparut Gabriel
C'est ainsi que tu en remis une couche
Qu'à nouveau la cuillère alla à la bouche
Tu étais à nouveau femme, au grand dam De Tybald
Maintenant à quatre pour la balade
Peu t’importe le nombre de bougies
Puisqu’à chaque jour qui se présente tu souris

dimanche 10 novembre 2013

Un jour

Au bout de l'allée il prend conscience que le temps a passé. Où est-il passé? Où sont tous ces jours? Il baisse les yeux. Sont-ils là, gravés dans le marbre, surface lisse sur laquelle glisse la lumière? Deux dates dorées ne se lassent de lui révéler, de lui extirper cette force qu'il grappille ici et là. Entre elles, le temps de la vie, le temps de ce qui fut une autre vie. Avec le vent de novembre, les feuilles se déposent au-delà de la route. Par touches, elles laissent apparaître le ciel. Il l'a laissée dans la terre. Cette sensation d'être prisonnier de la seconde d'après. Ou peut-être d'y revenir avec l'espoir qu'elle lui livrera un passage. Les jours l'entraînent, l'éloignent. Il a souvent fait semblant, même si il fallait se mentir. Il lui arrive de revenir, pour voir. Peut-être. 

mercredi 6 novembre 2013

Etude (1, 2, 3, 4)


 
1) Lui

J'ai relevé la tête et je l'ai vu tomber. Ou plus précisément, il a disparu de mon champ de vision. Mais cela s'est passé si rapidement, en une fraction de seconde, que seule une chute pouvait expliquer cette soudaineté. Jusqu'à ce moment, il ne s'était rien passé. Rien qui puisse justifier que je prenne du temps pour le raconter. Je n'aime pas relater le rien. Ce n'est ni une posture, ni un principe. J'ai déjà tenté l'expérience mais je n'en ai pas tiré toute la satisfaction que j'en espérais. J'étais parti du principe que toute vie est passionnante si l'on prend un tant soit peu le temps de s'y intéresser. J'ai choisi ma vie. Non pas tant parce que c'était la mienne mais plutôt parce qu'elle m'était plus familière que toute autre. Comme je ne voulais pas écrire un roman, j'ai décidé de décrire  par le détail un jour de ma vie. Il fallait que ce soit un jour de la semaine plutôt neutre. Le week-end était souvent chargé en évènements. Le lundi était trop marqué en tant que premier jour de la semaine. Le vendredi était trop influencé par le samedi. Il restait donc trois jours. Mon choix se porta sur le mardi. J'appréciais sa relative neutralité. Il était principalement et généralement constitué de riens. C'était le jour de la banalité. Le mardi choisi, je le vécu pleinement, avec attention, minute par minute afin que ma mémoire puisse le lendemain me rapporter tous mes faits et gestes. Et j'ai passé mon mercredi à décrire mon mardi. Pas tout à fait. Arrivé mercredi minuit, je n'avais pas fini de raconter mon mardi. Alors, j'ai laissé tomber.
J'ai donc supposé qu'il était tombé. Disons que j'avais de bonne raisons pour le croire. A cette époque, j'aimais observer les autres et plus particulièrement les passants qui, ensemble, formaient une foule. Je les regardais aller vers la gauche, vers la droite. Ils bifurquaient parfois pour changer de trottoir mais la plupart du temps ils suivaient une ligne droite. Cela donnait ainsi un mouvement régulier, une sorte de douceur ondulante. Et là, en un point précis, cette régularité à été comme contrariée. Le flot a hésité. Sans vouloir exagérer, je crois que la panique n'était pas loin. Des trajectoires ont été contraintes de s'écarter de leur ligne habituelle. C'est ainsi que certains passants n'ont eu d'autre choix que faire quelques pas sur la chaussée avant de pouvoir à nouveau marcher sur le trottoir. Mais ce fut l'histoire de quelques secondes au terme desquelles, comme si un coup de gomme avait fait disparaître une imperfection, il ne restait plus trace de l'incident. Ce ne fut pas pour me déplaire. J'aimais regarder ce mouvement vivant, cette densité qui ne permettait pas de discerner les individus. C'était une masse de couleur plutôt sombre, compacte qui emportait mes pensées. Je pensais retrouver ma tranquillité mais cet incident continuait de me trotter dans la tête.
Seul un évènement imprévu pouvait être la cause de cette chute car je restais persuadé que c'était une chute. Il est vrai que je n'avais pour ainsi dire rien vu. Je ne savais pas si c'était une femme ou un homme. J'ignorais si cet inconnu avait trébuché, s'il avait été bousculé, s'il avait été poussé volontairement. A bien y réfléchir, je dois me résoudre à avouer que je n'ai rien vu. Du moins pas au sens où on l'entend communément. Si je puis oser une comparaison, j'étais dans la position de l'astronome qui, étudiant la trajectoire de planètes, en déduit l'existence d'une nouvelle jusqu'à lors inconnue. La comparaison a ses limites dans la mesure où je ne peux pas prouver la réalité de cet incident par le calcul comme peut le faire l'astronome pour sa planète.   

2) L'autre

Il était à la terrasse d’un café. Je devrais dire du café car c’était toujours la même. L’avais-je vu à cette terrasse un nombre de fois suffisant pour pouvoir utiliser le mot toujours. De mon point de vue, l’utilisation de ce terme se justifie à partir du moment où je suis dans l’incapacité de préciser le nombre de fois où je l’ai vu à cette terrasse, ce qui est le cas. Je peux dire que je l’y ai vu souvent. S’il n’est pas le seul habitué de cette terrasse, il se distingue de l’habitué lambda d’une part par son assiduité et d’autre part par sa capacité à être en terrasse quelque soit le temps. Une habitude. Depuis longtemps, et non depuis toujours, je me demande ce qu'est une habitude, ce qu'elle signifie. Nous ne pouvons leur échapper. Certaines d'entre elles sont comme des sillons qui marquent notre vie, comme des traits qui la dessinent. J'ai parfois cette impression déprimante que ma vie est une succession d'habitudes, collées les unes aux autres, sans le moindre espace entre elles pour y glisser un changement. Et puis d'autres fois, avec lâcheté, je me dis qu'elles donnent un sens à ma vie, qu'elles me ressemblent, qu'elles sont moi et que si je m'en débarrassais, je disparaîtrais avec elles. Il ne resterait qu'un vide, un terrain vague traversé par le vent.
J'avais l'habitude, en passant dans le salon, d'écarter un rideau d'une des fenêtres qui donnaient sur la rue. Je faisais ce geste sans y penser. Une sorte de rituel inoffensif. Ce matin là, la première fois que je l'ai vu, il faisait froid. Le ciel était calme. Le vent de la veille avait disparu. Plusieurs tables occupaient la terrasse. Plutôt que d'écrire que je le vis pour la première fois ce matin là, il serait plus juste de dire que c'était la première fois que je le remarquai. Chaque jour, mon cerveau prenait une photo de la terrasse qu'il rangeait ensuite dans une boîte. Et ce matin là, comme chaque matin, après l'impression du jour, mon cerveau a passé en revue et comparé les clichés pour remarquer qu'ils avaient un point commun et m'en informa. Ce point commun c'était lui. Ainsi identifié, il n'a pourtant pas retenu tout de suite mon attention. Comme si il avait fallu que je m'habitue à sa présence, qu'elle me devienne familière. J'ai commencé à m'intéresser à ce qui n'était au début qu'une présence, un point de repaire sans signification particulière.   


3) Le vieux

"Le vide. Y plonger. Ne jamais en revenir. Se perdre dans sa profondeur. Oublier. Dès la première seconde. Avant que les regrets ne grondent. Avant que l'élan ne se dissipe. S'offrir à la fatigue. Née de l'amour qui m'irrigue. Ces sentiments m'intriguent. Ils persistent, résistent. L'onde se précipite. Comme si elle fuyait devant la peur. De quoi ai-je si peur? Je pense à la vie. Se laisser emporter. Les images traversent l'hésitation. Je regarde mes mains. Elles reposent sur l'accoudoir. Qui pourrait les croire vivantes? Elles ont laissé s'échapper l'avidité. Elles n'hésitent même plus."

Il est dans son fauteuil, face à la fenêtre. Au début, c'était un fauteuil parmi ceux qui occupaient le salon. Puis, le temps passant, il était devenu son fauteuil. C'était comme si, plus il vieillissait, plus lui et cet objet devenaient indissociables. A croire qu'il était devenu un élément de ce fauteuil. Du moins pour les autres. Sa gouvernante le déposaient toujours dans celui-là. A la réflexion, mais sans qu'il puisse le vérifier, il n'aurait peut-être plus supporté d'être installé dans un autre. Quand il regardait ses mains, il ne pouvait s'empêcher de voir ce fauteuil comme une planche, une planche que les derniers instants soulèveraient pour le faire glisser six pieds en aval. Cette perspective, cette certitude, ne semblait pas l'affecter. Il n'exprimait plus rien. Avec le temps, il avait réussi à faire admettre qu'il était sourd, ou du moins que l'état de son audition ne lui permettait pas de soutenir une conversation. Il affectionnait la vision silencieuse. Maintenant, il regardait. Il passait son temps à regarder. Rien de précis. Parfois, rien. Regarder était la dernière habitude dont il gardait la maîtrise. Regarder lui procurait une sensation de légèreté, comme un souffle se libérerait d'une chrysalide. Un papillon se souvient-il qu'il fut une larve? Une larve prête à dévorer ses congénères.

Ce matin, il attend. Il regarde l'une des fenêtres qui lui font face. Cela fait plusieurs matins qu'il l'a remarquée. Pas tant la fenêtre que ce qui s'y passe. Il ne saurait dire depuis combien de temps cela dure, ce qui n'a d'ailleurs aucune importance.  De l'autre côté du trottoir s'élève un immeuble imposant composé, comme l'on dit, de pierres de taille. Ce détail lui donne toute la respectabilité dont on a voulu le parer. Il comporte six étages. Cette façade, qui seule s'offre à son regard, est percée de hautes fenêtres. Elles demeurent jusqu'au soir dans l'ombre du jour. Peut-être paraissent-elles plus claires l'été. Si l'on n'y prend garde, elles semblent identiques. Ce que dément une observation quotidienne.

4) Lui

J'ai ressenti cette tentation. J'aime être tenté. J'apprécie cette possibilité. Je ne veux pas en être délivré. Je n'ose pas à chaque fois. Ma vie est en partie une frustration. J'ai une réserve de tentation. Commune, la première tentation dont je me souviens fut sensuel. Comme une attraction. Une attirance imperceptible. Je me trouvais dans un cinéma. J'avais pris place dans un fauteuil. A cette époque, j'avais probablement un corps. Je ne sais pas quelle conscience j'en avais. Il ne m'a laissé aucun souvenir jusqu'à cette soirée. Il n'était une source de rien. Lorsque j'essaye de m'en souvenir, il n'évoque aucune sensation. Bien sûr, demeure les photos mais elles n'offrent à mon regard que deux dimensions. Lorsque je regarde les plus anciennes, elles ne représentent que ces instants qu'elles ont figés. Des instants sans épaisseur, sans odeur. Elles sont des points fixes, comme des impasses émotionnelles. Elles attestent de mon existence mais n'ont aucun sens. Elles sont peuplées d'êtres qui ne m'évoquent rien, dont la plus part sont probablement morts. Ils demeureront des instants en noir et blanc dont les regards ne laissent aucune ombre.

Peut-être était-ce la première fois que j'allais au cinéma. Je n'ai gardé que très peu de souvenir du film qui passait ce soir là. En revanche, j'ai un souvenir ébloui du hall d'entrée. Dans mon souvenir, en arc de cercle, il était haut, large, profond, le mur tapissé d'affiches annonçant les prochains films. L'éclairage ne laissait aucune zone d'ombre. Une fois les tickets en notre possession, nous nous sommes dirigés vers une des portes à battants.   

mardi 29 octobre 2013

Jusqu'au jour

Il se souvient des gestes. Le peu qu'il en reste. Cette façon de mettre sa veste. Ces mouvements toujours prestes. Cette recherche inachevée comme une route qui se perd. Regarder son visage le conduit vers l'infini. Il rêve. Comme la caresse d'une idée, la douceur d'un élan. Une âme glisse sur l'instant. Une lumière s'éloigne. Une pensée s'échappe entre ses doigts. Comme un voile de vagues, la blondeur flotte dans la lueur qui s'éveille. Il décore sa solitude. Des grains de poussière traversent les rayons. Il s'approche. Son regard traverse le jardin. Il se souvient de la balançoire qui se trouvait près du lilas. Il aimerait entendre ce rire. Une porte s'ouvre. Ce n'est qu'une autre journée.

vendredi 25 octobre 2013

Dans les rues

Hier, il est retourné dans les rues
Il a marché tant qu'il a pu
Vers tous ces endroits où il l'a vue
Dans tous ces espaces où elle a vécu
Quand toute cette vie était crue
Maintenant les bruits de la vie sont diffus
Comme si le temps n'avait rien retenu
Depuis qu'elle est partie il cherche l'issue 
Les voix ne vibrent plus
Les mots d’hier lui sont aujourd’hui inconnus
Les vibrations du matin ont disparu
Il se retourne, perdu

mardi 22 octobre 2013

Etude (1, 2, 3)


1) Lui

J'ai relevé la tête et je l'ai vu tomber. Ou plus précisément, il a disparu de mon champ de vision. Mais cela s'est passé si rapidement, en une fraction de seconde, que seule une chute pouvait expliquer cette soudaineté. Jusqu'à ce moment, il ne s'était rien passé. Rien qui puisse justifier que je prenne du temps pour le raconter. Je n'aime pas relater le rien. Ce n'est ni une posture, ni un principe. J'ai déjà tenté l'expérience mais je n'en ai pas tiré toute la satisfaction que j'en espérais. J'étais parti du principe que toute vie est passionnante si l'on prend un tant soit peu le temps de s'y intéresser. J'ai choisi ma vie. Non pas tant parce que c'était la mienne mais plutôt parce qu'elle m'était plus familière que toute autre. Comme je ne voulais pas écrire un roman, j'ai décidé de décrire  par le détail un jour de ma vie. Il fallait que ce soit un jour de la semaine plutôt neutre. Le week-end était souvent chargé en évènements. Le lundi était trop marqué en tant que premier jour de la semaine. Le vendredi était trop influencé par le samedi. Il restait donc trois jours. Mon choix se porta sur le mardi. J'appréciais sa relative neutralité. Il était principalement et généralement constitué de riens. C'était le jour de la banalité. Le mardi choisi, je le vécu pleinement, avec attention, minute par minute afin que ma mémoire puisse le lendemain me rapporter tous mes faits et gestes. Et j'ai passé mon mercredi à décrire mon mardi. Pas tout à fait. Arrivé mercredi minuit, je n'avais pas fini de raconter mon mardi. Alors, j'ai laissé tomber.
J'ai donc supposé qu'il était tombé. Disons que j'avais de bonne raisons pour le croire. A cette époque, j'aimais observer les autres et plus particulièrement les passants qui, ensemble, formaient une foule. Je les regardais aller vers la gauche, vers la droite. Ils bifurquaient parfois pour changer de trottoir mais la plupart du temps ils suivaient une ligne droite. Cela donnait ainsi un mouvement régulier, une sorte de douceur ondulante. Et là, en un point précis, cette régularité à été comme contrariée. Le flot a hésité. Sans vouloir exagérer, je crois que la panique n'était pas loin. Des trajectoires ont été contraintes de s'écarter de leur ligne habituelle. C'est ainsi que certains passants n'ont eu d'autre choix que faire quelques pas sur la chaussée avant de pouvoir à nouveau marcher sur le trottoir. Mais ce fut l'histoire de quelques secondes au terme desquelles, comme si un coup de gomme avait fait disparaître une imperfection, il ne restait plus trace de l'incident. Ce ne fut pas pour me déplaire. J'aimais regarder ce mouvement vivant, cette densité qui ne permettait pas de discerner les individus. C'était une masse de couleur plutôt sombre, compacte qui emportait mes pensées. Je pensais retrouver ma tranquillité mais cet incident continuait de me trotter dans la tête.
Seul un évènement imprévu pouvait être la cause de cette chute car je restais persuadé que c'était une chute. Il est vrai que je n'avais pour ainsi dire rien vu. Je ne savais pas si c'était une femme ou un homme. J'ignorais si cet inconnu avait trébuché, s'il avait été bousculé, s'il avait été poussé volontairement. A bien y réfléchir, je dois me résoudre à avouer que je n'ai rien vu. Du moins pas au sens où on l'entend communément. Si je puis oser une comparaison, j'étais dans la position de l'astronome qui, étudiant la trajectoire de planètes, en déduit l'existence d'une nouvelle jusqu'à lors inconnue. La comparaison a ses limites dans la mesure où je ne peux pas prouver la réalité de cet incident par le calcul comme peut le faire l'astronome pour sa planète.   

2) L'autre

Il était à la terrasse d’un café. Je devrais dire du café car c’était toujours la même. L’avais-je vu à cette terrasse un nombre de fois suffisant pour pouvoir utiliser le mot toujours. De mon point de vue, l’utilisation de ce terme se justifie à partir du moment où je suis dans l’incapacité de préciser le nombre de fois où je l’ai vu à cette terrasse, ce qui est le cas. Je peux dire que je l’y ai vu souvent. S’il n’est pas le seul habitué de cette terrasse, il se distingue de l’habitué lambda d’une part par son assiduité et d’autre part par sa capacité à être en terrasse quelque soit le temps. Une habitude. Depuis longtemps, et non depuis toujours, je me demande ce qu'est une habitude, ce qu'elle signifie. Nous ne pouvons leur échapper. Certaines d'entre elles sont comme des sillons qui marquent notre vie, comme des traits qui la dessinent. J'ai parfois cette impression déprimante que ma vie est une succession d'habitudes, collées les unes aux autres, sans le moindre espace entre elles pour y glisser un changement. Et puis d'autres fois, avec lâcheté, je me dis qu'elles donnent un sens à ma vie, qu'elles me ressemblent, qu'elles sont moi et que si je m'en débarrassais, je disparaîtrais avec elles. Il ne resterait qu'un vide, un terrain vague traversé par le vent.
J'avais l'habitude, en passant dans le salon, d'écarter un rideau d'une des fenêtres qui donnaient sur la rue. Je faisais ce geste sans y penser. Une sorte de rituel inoffensif. Ce matin là, la première fois que je l'ai vu, il faisait froid. Le ciel était calme. Le vent de la veille avait disparu. Plusieurs tables occupaient la terrasse. Plutôt que d'écrire que je le vis pour la première fois ce matin là, il serait plus juste de dire que c'était la première fois que je le remarquai. Chaque jour, mon cerveau prenait une photo de la terrasse qu'il rangeait ensuite dans une boîte. Et ce matin là, comme chaque matin, après l'impression du jour, mon cerveau a passé en revue et comparé les clichés pour remarquer qu'ils avaient un point commun et m'en informa. Ce point commun c'était lui. Ainsi identifié, il n'a pourtant pas retenu tout de suite mon attention. Comme si il avait fallu que je m'habitue à sa présence, qu'elle me devienne familière. J'ai commencé à m'intéresser à ce qui n'était au début qu'une présence, un point de repaire sans signification particulière.   


3) Le vieux

"Le vide. Y plonger. Ne jamais en revenir. Se perdre dans sa profondeur. Oublier. Dès la première seconde. Avant que les regrets ne grondent. Avant que l'élan ne se dissipe. S'offrir à la fatigue. Née de l'amour qui m'irrigue. Ces sentiments m'intriguent. Ils persistent, résistent. L'onde se précipite. Comme si elle fuyait devant la peur. De quoi ai-je si peur? Je pense à la vie. Se laisser emporter. Les images traversent l'hésitation. Je regarde mes mains. Elles reposent sur l'accoudoir. Qui pourrait les croire vivantes? Elles ont laissé s'échapper l'avidité. Elles n'hésitent même plus."

Il est dans son fauteuil, face à la fenêtre. Au début, c'était un fauteuil parmi ceux qui occupaient le salon. Puis, le temps passant, il était devenu son fauteuil. C'était comme si, plus il vieillissait, plus lui et cet objet devenaient indissociables. A croire qu'il était devenu un élément de ce fauteuil. Du moins pour les autres. Sa gouvernante le déposaient toujours dans celui-là. A la réflexion, mais sans qu'il puisse le vérifier, il n'aurait peut-être plus supporté d'être installé dans un autre. Quand il regardait ses mains, il ne pouvait s'empêcher de voir ce fauteuil comme une planche, une planche que les derniers instants soulèveraient pour le faire glisser six pieds en aval. Cette perspective, cette certitude, ne semblait pas l'affecter. Il n'exprimait plus rien. Avec le temps, il avait réussi à faire admettre qu'il était sourd, ou du moins que l'état de son audition ne lui permettait pas de soutenir une conversation. Il affectionnait la vision silencieuse. Maintenant, il regardait. Il passait son temps à regarder. Rien de précis. Parfois, rien. Regarder était la dernière habitude dont il gardait la maîtrise. Regarder lui procurait une sensation de légèreté, comme un souffle se libérerait d'une chrysalide. Un papillon se souvient-il qu'il fut une larve? Une larve prête à dévorer ses congénères.

Ce matin, il attend. Il regarde l'une des fenêtres qui lui font face. Cela fait plusieurs matins qu'il l'a remarquée. Pas tant la fenêtre que ce qui s'y passe. Il ne saurait dire depuis combien de temps cela dure, ce qui n'a d'ailleurs aucune importance.  De l'autre côté du trottoir s'élève un immeuble imposant composé, comme l'on dit, de pierres de taille. Ce détail lui donne toute la respectabilité dont on a voulu le parer. Il comporte six étages. Cette façade, qui seule s'offre à son regard, est percée de hautes fenêtres. Elles demeurent jusqu'au soir dans l'ombre du jour. Peut-être paraissent-elles plus claires l'été. Si l'on n'y prend garde, elles semblent identiques. Ce que dément une observation quotidienne.

vendredi 18 octobre 2013

Avec toi

Avec toi je serais parti
Loin d'ici, loin du gris
Avant que tout ne soit fini

jeudi 17 octobre 2013

Etude (1, 2)

1) Lui

J'ai relevé la tête et je l'ai vu tomber. Ou plus précisément, il a disparu de mon champ de vision. Mais cela s'est passé si rapidement, en une fraction de seconde, que seule une chute pouvait expliquer cette soudaineté. Jusqu'à ce moment, il ne s'était rien passé. Rien qui puisse justifier que je prenne du temps pour le raconter. Je n'aime pas relater le rien. Ce n'est ni une posture, ni un principe. J'ai déjà tenté l'expérience mais je n'en ai pas tiré toute la satisfaction que j'en espérais. J'étais parti du principe que toute vie est passionnante si l'on prend un temps soi peu le temps de s'y intéresser. J'ai choisi ma vie. Non pas tant parce que c'était la mienne mais plutôt parce qu'elle m'était plus familière que toute autre. Comme je ne voulais pas écrire un roman, j'ai décidé de décrire  par le détail un jour de ma vie. Il fallait que ce soit un jour de la semaine plutôt neutre. Le week-end était souvent chargé en évènements. Le lundi était trop marqué en tant que premier jour de la semaine. Le vendredi était trop influencé par le samedi. Il restait donc trois jours. Mon choix se porta sur le mardi. J'appréciais sa relative neutralité. Il était principalement et généralement constitué de riens. C'était le jour de la banalité. Le mardi choisi, je le vécu pleinement, avec attention, minute par minute afin que ma mémoire puisse le lendemain me rapporter tous mes faits et gestes. Et j'ai passé mon mercredi à décrire mon mardi. Pas tout à fait. Arrivé mercredi minuit, je n'avais pas fini de raconter mon mardi. Alors, j'ai laissé tomber.
J'ai donc supposé qu'il était tombé. Disons que j'avais de bonne raisons pour le croire. A cette époque, j'aimais observer les autres et plus particulièrement les passants qui, ensemble, formaient une foule. Je les regardais aller vers la gauche, vers la droite. Ils bifurquaient parfois pour changer de trottoir mais la plupart du temps ils suivaient une ligne droite. Cela donnait ainsi un mouvement régulier, une sorte de douceur ondulante. Et là, en un point précis, cette régularité à été comme contrariée. Le flot a hésité. Sans vouloir exagérer, je crois que la panique n'était pas loin. Des trajectoires ont été contraintes de s'écarter de leur ligne habituelle. C'est ainsi que certains passants n'ont eu d'autre choix que faire quelques pas sur la chaussée avant de pouvoir à nouveau marcher sur le trottoir. Mais ce fut l'histoire de quelques secondes au terme desquelles, comme si un coup de gomme avait fait disparaître une imperfection, il ne restait plus trace de l'incident. Ce ne fut pas pour me déplaire. J'aimais regarder ce mouvement vivant, cette densité qui ne permettait pas de discerner les individus. C'était une masse de couleur plutôt sombre, compacte qui emportait mes pensées. Je pensais retrouver ma tranquillité mais cet incident continuait de me trotter dans la tête.
Seul un évènement imprévu pouvait être la cause de cette chute car je restais persuadé que c'était une chute. Il est vrai que je n'avais pour ainsi dire rien vu. Je ne savais pas si c'était une femme ou un homme. J'ignorais si cet inconnu avait trébuché, s'il avait été bousculé, s'il avait été poussé volontairement. A bien y réfléchir, je dois me résoudre à avouer que je n'ai rien vu. Du moins pas au sens où on l'entend communément. Si je puis oser une comparaison, j'étais dans la position de l'astronome qui, étudiant la trajectoire de planètes, en déduit l'existence d'une nouvelle jusqu'à lors inconnue. La comparaison a ses limites dans la mesure où je ne peux pas prouver la réalité de cet incident par le calcul comme peut le faire l'astronome pour sa planète.   

2) L'autre

Il était à la terrasse d’un café. Je devrais dire du café car c’était toujours la même. L’avais-je vu à cette terrasse un nombre de fois suffisant pour pouvoir utiliser le mot toujours. De mon point de vue, l’utilisation de ce terme se justifie à partir du moment où je suis dans l’incapacité de préciser le nombre de fois où je l’ai vu à cette terrasse, ce qui est le cas. Je peux dire que je l’y ai vu souvent. S’il n’est pas le seul habitué de cette terrasse, il se distingue de l’habitué lambda d’une part par son assiduité et d’autre part par sa capacité à être en terrasse quelque soit le temps. Une habitude. Depuis longtemps, et non depuis toujours, je me demande ce qu'est une habitude, ce qu'elle signifie. Nous ne pouvons leur échapper. Certaines d'entre elles sont comme des sillons qui marquent notre vie, comme des traits qui la dessinent. J'ai parfois cette impression déprimante que ma vie est une succession d'habitudes, collées les unes aux autres, sans le moindre espace entre elles pour y glisser un changement. Et puis d'autres fois, avec lâcheté, je me dis qu'elles donnent un sens à ma vie, qu'elles me ressemblent, qu'elles sont moi et que si je m'en débarrassais, je disparaîtrais avec elles. Il ne resterait qu'un vide, un terrain vague traversé par le vent.
J'avais l'habitude, en passant dans le salon, d'écarter un rideau d'une des fenêtres qui donnaient sur la rue. Je faisais ce geste sans y penser. Une sorte de rituel inoffensif. Ce matin là, la première fois que je l'ai vu, il faisait froid. Le ciel était calme. Le vent de la veille avait disparu. Plusieurs tables occupaient la terrasse. Plutôt que d'écrire que je le vis pour la première fois ce matin là, il serait plus juste de dire que c'était la première fois que je le remarquai. Chaque jour, mon cerveau prenait une photo de la terrasse qu'il rangeait ensuite dans une boîte. Et ce matin là, comme chaque matin, après l'impression du jour, mon cerveau a passé en revue et comparé les clichés pour remarquer qu'ils avaient un point commun et m'en informa. Ce point commun c'était lui. Ainsi identifié, il n'a pourtant pas retenu tout de suite mon attention. Comme si il avait fallu que je m'habitue à sa présence, qu'elle me devienne familière. J'ai commencé à m'intéresser à ce qui n'était au début qu'une présence, un point de repaire sans signification particulière.   

mercredi 16 octobre 2013

Hommage à Serge Gainsbourg

L'autre jour, ce devait être un matin, je me suis présenté sur la piste. Comme d'habitude, je n'avais pas vérifié la météo. Je ne doutais pourtant pas de pouvoir décoller. J'avais mis un pantalon de toile de couleur gris perle, offrant une légère souplesse, avec des tas de poches des deux côtés, ces poches qui même vides semblent pleines. J'ai toujours trouvé qu'il me donnait l'élégance de l'aventurier viril, cette virilité latente, dénuée d’ostentation. J'avais hésité à mettre mon blouson dans lequel je ressemble à Buck Danny dans "Les japs attaquent". Je devinais qu'il allait faire chaud. Mais je n'ai pas pu résister. J'aime bien cette impression de départ en mission vers de possibles imprévus. Par les fentes rectangulaires laissées par les hautes portes à demi ouvertes, les hangars de tôle laissaient deviner l'ombre des absences. Je me suis dirigé vers l'avion qui m'attendait en bout de piste. J'aime avancer tout en le regardant, prendre le temps d'arriver jusqu'à lui. Ses ailes prêtes à découper l'air, son fuselage aux rondeurs pénétrantes, cette ligne qui sans fin semble   accompagner le regard au-delà. Son empennage à portée de main, je fais glisser mes doigts sur le métal. Je contourne l'aile. Parvenu à son extrémité, je fixe cet ensemble métallique, toujours étonné qu'il puisse de ses hélices m'offrir une éclipse. Je me suis introduit dans le cockpit, pas trop vite. Il me faut toujours un peu de temps pour être bien, pour me sentir enveloppé par le siège. De légers mouvements du bassin. Contrairement à l'habitude, j'ai mis mon casque. Un besoin de protection. J'ai regardé les cadrans. Pour la forme. J'ai lancé le moteur. J'aime ce moment de légères vibrations. J'ai empoigné le manche à balai et j'ai fermé les yeux. Je le sentais trembler dans le creux de ma main. J'éprouve toujours un moment de doute. Va-t-il répondre à mes pressions successives? La chaleur se propage. Je libère un peu de puissance. Doucement nous roulons sur les plaques de béton. Nous prenons de la vitesse. D'un mouvement continu et souple, je ramène le manche entre mes cuisses. Nous quittons le sol. Des ondes traversent mon ventre. Le temps devient une caresse.Chacun de mes muscles laisse s'écouler les sensations. Rien ne me retient.

mardi 15 octobre 2013

Ténu

Pour toutes ces fois
Où j'ai cru que c'était toi
Pour toutes ces fois
Où j'ai cru entendre ta voix
Pour toutes ces fois
Où je n'avais plus froid
Pour toutes ces fois
Où j'ai cru malgré moi
Pour toutes ces fois
Où avait disparu la croix
Pour toutes ces fois
Où l'évidence n'était plus la loi
Pour toutes ces fois
Où revenait la douceur de la soie
Pour toutes ces fois
Où j'oubliais pourquoi
Pour toutes ces fois
Où vous étiez toujours trois
Pour toutes ces fois

lundi 14 octobre 2013

Ensemble

L'autre jour, je marchais dans la rue. Dans la douceur d'un début d'automne. Je regardais dans les arbres les feuilles encore vertes. Certaines avaient déjà terminé leur chute. Les plus légères planaient au-dessus du bitume. A leur passage, les automobiles les faisaient virevolter. D'autres, prisonnières de flaques, attendaient que cette eau devenue inutile s'évapore pour s'offrir un dernier tour dans l'air.
Mon esprit avait déserté l'instant. Je suivais le chemin sans en prendre conscience. Sans trop savoir d'où ils venaient, devant moi marchaient un père et sa fille. Il était grand, svelte et avait les bras encombré d'une baguette et de ce qui semblaient être des dossiers sous le bras droit. Quelque chose dans son attitude me faisait penser qu'il était préoccupé ou tout du moins que l'immédiateté n'occupait pas ses pensées. Sa fille marchait à sa droite, côté dossiers. Elle était blonde. Elle avançait à petits pas accompagnée des boucles qui rebondissaient sur ses épaules. Il regardait devant lui et quand il tournait son regard vers la droite je ne suis pas certain qu'il voyait sa fille. Elle devait avoir deux ans. Elle levait les yeux vers lui, la main en l'air pour qu'il la prenne. Peut-être lui a-t-elle parlé, il a baissé les yeux vers elle. Il a semblé comprendre son souhait. Il a essayé de passer les dossiers de droite à gauche mais semblait emprunté. Après une tentative, il a paru renoncer. La main, dont les doigts s'agitaient, est restée en l'air. J'avais envie de lui prendre ses dossiers pour que sa main soit libre et prenne celle offerte par sa fille. Elle a essayé de marcher sur la pointe de pieds. Elle le regardait. Elle voulait sentir cette main. Elle voulait qu'ils soient vraiment ensemble. Elle voulait que leurs bras se balancent d'un même mouvement. Elle n'était pas quelqu'un qui marchait à côté de lui. Elle était sa fille. Juste au moment où nos chemins se séparaient, il a réussi à mettre à gauche baguette et dossiers.
J'ai laissé mes pensées s'égarer.

vendredi 11 octobre 2013

Et inversement

Ce matin, comme chaque jour, j'écoutais Led Zeppelin. Pour chaque chanson apparaissait sur l'écran la date de création. A plusieurs reprises est revenu 1969. Au début, à la lecture de cette date mon cerveau n'a eu aucune réaction particulière. Moi non plus. Et puis, comme si ces quatre chiffres avaient fini par atteindre un point précis d'un de mes deux hémisphères, j'ai ressenti quelques vibrations. J'ai commencé par penser à Gainsbourg. Le poinçonneur des Lilas. Et puis de fil en aiguille, des souvenirs, des images dans tous les sens. Mais à la réflexion, je ne comprends pas pourquoi 69 bénéficie d'un tel capital de sympathie. La réputation de ces deux chiffres est largement surfaite. Je me suis toujours demandé si le 6 espérait que le premier 9 se retourne.
Quoi qu'il en soit, c'est plutôt le concept d'année érotique qui a mobilisé ma capacité de réflexion. En 1969, j'avais 12 ans. Autant dire que je suis passé à côté. Je devais même ignorer que la précédente était 68. Quand bien même, j'aurais voulu me jeter à corps perdu dans cette année, encore eut-il fallu que je trouve un 9 ou un 6. A ce propos, je n'ai jamais réussi à déterminer quel chiffre je suis. Cela dépend peut-être des circonstances. Une sorte d'hermaphrodisme numérique.Donc, à défaut de 1969, je me suis tourné, sans réfléchir je l'avoue, vers 2069. Et là, après quelques secondes euphorisantes, j'ai du me rendre à l'évidence. Du coup, je vais attendre d'avoir 69 ans et je fêterai mon année érotique.

jeudi 10 octobre 2013

Peut-être

Tu veux que je t'aime
Mais j'ai la flemme
Que j'essaie quand même?
Ça vaut pas la peine
Et puis rien ne presse
Attendons l'ivresse
Peut-être seras-tu belle
Comme une traînée dans le ciel
Tu n'es qu'un de ces oublis
A qui on ne dit jamais oui
Ta vie n'est qu'un espoir
Qui s'éparpille dans le soir
Chaque jour qui passe
Tu nous les casses
Et tu perds ton temps
Niaise, à vouloir sourire 
A ceux dont tu rêves pour amants
Alors que ta vue les fait frémir
Dis toi que de ton amour défunt
Tu ne verras pas la fin





jeudi 3 octobre 2013

Toi

Ta main
L'amour parvient
Et se perd

Un

Dans mes veines
S'écoule la chaleur
de ton sang

Gouttes

Dans l'herbe
Se dépose l'empreinte
De la nuit

!

Au loin
Elle m'attend
Un reflet de sommeil

Révèle

Un autre trouble
Éclaire mon âme
Proche d'hier

Premier

Ce matin
Nait une pensée
De ton visage

lundi 30 septembre 2013

Album

San Francisco
Cent francs six sous
Toutes ces photos
Prises je ne sais où
Comme des failles
Comme des entailles
Qui strient ma mémoire
Le reste est dérisoire
Les instants brillent
Enfermées dans une boîte
Figées entre deux feuilles
Elles attendent toute droite
Je les sais sans vie
Comme des croix alignées
Que j'ai déjà suivies
Jusqu'à l'ombre des cyprès

vendredi 27 septembre 2013

Biche, oh ma...

L'autre jour je suis allé courir. Au détour d'un virage je découvre une biche. J'ai remarqué que le détour est un lieu d'où l'on découvre beaucoup de choses. Au détour d'une phrase, on découvre un écrivain. Au détour d'une bouche on découvre un plaisir. Au détour de sa vie on se découvre. Donc, je stoppe ma course pour ne pas effaroucher la biche. Il ne faut jamais effaroucher la biche et ce quelles que soient les circonstances. Nous nous observons, surtout elle. Elle me regarde et seules ses oreilles bougent. Je sais que si je fais un pas, elle va partir. Alors j'attends. Ce qui est un bon prétexte pour reprendre mon souffle. Il va pourtant falloir que je mette à nouveau un pied devant l'autre. Le tout c'est de savoir quand. Maintenant, plus tard? Attendre que la biche quitte le chemin pour s'enfoncer dans le bois? La situation est figée mais demeure une incertitude. Je ne sais pas comment cela va se terminer. Ce dont je suis certain, c'est que ce n'est pas elle qui fera le premier pas vers moi. J'ai bien conscience qu'il va me falloir débloquer la situation sinon elle risque de s'enliser. Je pourrais bien sûr faire demi tour mais je n'aime pas reculer et ce pratiquement quelles que soient les circonstances. Il faut avant tout que j'évite la crispation. Nous avons établi un équilibre mais qui demeure précaire. Ce qui me préoccupe c'est que je ne suis pas sûr qu'elle ait pris conscience des enjeux. Un peu à regret je décide de faire un pas, un petit pas. Je repose à peine le pied tout en continuant à la regarder. Ses oreilles cessent de bouger après s'être tournées dans ma direction. Je deviens l'unique objet de son attention. Je suis passé d'objet de curiosité à menace. C'est du moins ce que j'imagine. Je vais reprendre ma course et elle va disparaître. Je fais un autre pas vers elle. Elle me quitte des yeux et entre dans le sous-bois. Mais contrairement à ce que j'imaginais, elle le fait avec douceur. Il est vrai qu'avec mes petites jambes musclées, je ne risque pas de la rattraper. Peut-être imperceptiblement plus aérien, je reprends ma course. 

jeudi 26 septembre 2013

La liberté d'exclusion

S'il y a une chose que cette publication ne peut cacher c'est sa bêtise.

mercredi 25 septembre 2013

C'était...

 C'était...

Elle était toujours si proche
Comme la main dans une poche
Avant que ne disparaissent les tournesols
Dans un balancement flamboyant
Elle allait prendre son envol
Premier jour d'un enfant
C'était un soir
Je parvenais déjà à y croire
Je marchais sur le trottoir
Détaché du désespoir
Je me sentais entrer dans la vie
Poussé par le souffle de l'envie
Elle m'avait donné son premier regard
Qu'avais-je à craindre de plus tard


Pour l'hiver

J'étais en avril
J'ai perdu le fil
Le fil de ma vie
Cette vie décousue
Ça n'a pas fait un pli
Dépourvu de martingale
Au dé j'ai perdu
Mais ça m'était égal
J'ai fait la manche
Comme un chat noir du dimanche
Le temps n'était plus qu'une aiguille
Qui s'enfonce dans la déveine
Dessinant un patchwork sur ma peau
Pointillés de tous les accrocs   
Je prenais des revers auprès des filles
J'avais le moral dans les chaussettes
Même plus l'envie de tirer sur la couette
J'étais devenu ma propre doublure
Traversé de déchirures
Plus les moyens de me hausser du col
Pour me détacher me restait l'alcool




mercredi 18 septembre 2013

Etude

J'ai relevé la tête et je l'ai vu tomber. Ou plus précisément, il a disparu de mon champ de vision. Mais cela s'est passé si rapidement, en une fraction de seconde, que seule une chute pouvait expliquer cette soudaineté. Jusqu'à ce moment, il ne s'était rien passé. Rien qui puisse justifier que je prenne du temps pour le raconter. Je n'aime pas relater le rien. Ce n'est ni une posture, ni un principe. J'ai déjà tenté l'expérience mais je n'en ai pas tiré toute la satisfaction que j'en espérais. J'étais parti du principe que toute vie est passionnante si l'on prend un temps soi peu le temps de s'y intéresser. J'ai choisi ma vie. Non pas tant parce que c'était la mienne mais plutôt parce qu'elle m'était plus familière que toute autre. Comme je ne voulais pas écrire un roman, j'ai décidé de décrire  par le détail un jour de ma vie. Il fallait que ce soit un jour de la semaine plutôt neutre. Le week-end était souvent chargé en évènements. Le lundi était trop marqué en tant que premier jour de la semaine. Le vendredi était trop influencé par le samedi. Il restait donc trois jours. Mon choix se porta sur le mardi. J'appréciais sa relative neutralité. Il était principalement et généralement constitué de riens. C'était le jour de la banalité. Le mardi choisi, je le vécu pleinement, avec attention, minute par minute afin que ma mémoire puisse le lendemain me rapporter tous mes faits et gestes. Et j'ai passé mon mercredi à décrire mon mardi. Pas tout à fait. Arrivé mercredi minuit, je n'avais pas fini de raconter mon mardi. Alors, j'ai laissé tomber.
J'ai donc supposé qu'il était tombé. Disons que j'avais de bonne raisons pour le croire. A cette époque, j'aimais observer les autres et plus particulièrement les passants qui, ensemble, formaient une foule. Je les regardais aller vers la gauche, vers la droite. Ils bifurquaient parfois pour changer de trottoir mais la plupart du temps ils suivaient une ligne droite. Cela donnait ainsi un mouvement régulier, une sorte de douceur ondulante. Et là, en un point précis, cette régularité à été comme contrariée. Le flot a hésité. Sans vouloir exagérer, je crois que la panique n'était pas loin. Des trajectoires ont été contraintes de s'écarter de leur ligne habituelle. C'est ainsi que certains passants n'ont eu d'autre choix que faire quelques pas sur la chaussée avant de pouvoir à nouveau marcher sur le trottoir. Mais ce fut l'histoire de quelques secondes au terme desquelles, comme si un coup de gomme avait fait disparaître une imperfection, il ne restait plus trace de l'incident. Ce ne fut pas pour me déplaire. J'aimais regarder ce mouvement vivant, cette densité qui ne permettait pas de discerner les individus. C'était une masse de couleur plutôt sombre, compacte qui emportait mes pensées. Je pensais retrouver ma tranquillité mais cet incident continuait de me trotter dans la tête.
Seul un évènement imprévu pouvait être la cause de cette chute car je restais persuadé que c'était une chute. Il est vrai que je n'avais pour ainsi dire rien vu. Je ne savais pas si c'était une femme ou un homme. J'ignorais si cette inconnu avait trébuché, s'il avait été bousculé, s'il avait été poussé volontairement. A bien y réfléchir, je dois me résoudre à avouer que je n'ai rien vu. Du moins pas au sens où on l'entend communément. Si je puis oser une comparaison, j'étais dans la position de l'astronome qui, étudiant la trajectoire de planètes, en déduit l'existence d'une nouvelle jusqu'à lors inconnue. La comparaison a ses limites dans la mesure où je ne peux pas prouver la réalité de cet incident par le calcul comme peut le faire l'astronome pour sa planète.   

Sans fin


Je l'aime
Elle-même
Telle qu'elle est
Même après
Elle est à même
Même si c'est parfois quand même
Une pensée de l'autre jour
Je suis proche depuis toujours
Comme au premier jour
Sans raison dans la rue
Je la retrouve dans les pas
De toutes ces inconnues
Et malgré moi je crois
Je crois voir la lumière
Dans les boucles du froid
De cette vie dont j'étais fier
Comme j'aimerais lui sourire
Et ne jamais en finir
De l'aimer jusqu'au soir
Et enfin la prendre dans mes bras

mercredi 4 septembre 2013

Mots


Ce que je peux te dire
Ce que je voudrais te dire
Ce que j’aimerais te dire
Quels mots dire
Sans me maudire
Quels mots te donner à lire
Des mots pour te faire plaisir
Des mots qui me font rougir
Les mots du désir
Des mots trouvés dans le désert
Des mots que je t'ai déjà offert
Les mots qui sont des souvenirs
Des mots qui brillent dans tes yeux
Des mots qui nous rendent amoureux 
Des mots que je te laisse deviner
Des mots dont nous n'avons jamais assez
Des mots qui caressent tes lèvres
Des mots pour cette vie brève
Des mots dont j'ai honte
Des mots qui te font fondre
Des mots que je te dis les yeux fermés
Des mots pour te faire crier
Des mots de ma frayeur
Des mots qui viennent d'ailleurs
Des mots que depuis longtemps je porte
Ce sont toujours les mêmes
Mais peu m'importe
C'est toi que j'aime

mardi 27 août 2013

Sur l'herbe

Nous vivions au fil de l’eau, bercés dans les reflets du ciel. Nous gardions le goût de la source et glissions dans les caresses du vent. Nous naviguions dans l’élan du premier jour. Il n’était pas encore trop tard. Le temps nous offrait son innocence, nous accordait un répit. Le delta nous semblait si loin. Parfois nous abordions la rive. Les amarres se tendaient vers l’aval. Les enfants couraient et riaient. Couchés dans l’herbe, nous les regardions. Nous étions les héros d'un tableau naïf. J’adorais ces moments où nous vivions. Nous étions là, corps et âme. Nous vivions notre vie sans entrave. Nous n'attendions rien. nous étions heureux. Nous étions la vie. Je me sentais libre, délivré de toute contrainte. Regrets, peur et culpabilité avaient disparu. Je sais que je ne revivrai jamais ces moments de légèreté, d'insouciance, de douceur, d'éternité. J'ai parfois l'impression que c'était une autre vie, que je pourrais me regarder sans me reconnaître. Ces souvenirs m'écorchent.
 Les yeux clos, j'entendais un souffle dans le bruissement des feuilles. Ma nuque baignait dans la fraîcheur du sol. Dispersé, le soleil, comme les lèvres de mon amour, frôlait mon visage. Je vous souriais. Vous étiez si près. Vous étiez si près que j'aurais pu entendre votre cœur. Vous étiez si près que nous ne pouvions pas être séparés. Je ne pouvais imaginer qu'il y ait autre chose que la vie, que chacune de ces vies. 
 Je ne sais pourquoi, je ne sais qui suggérait de se mêler à nouveau au courant.    

mercredi 21 août 2013

Là-bas


D’avant que ne souffle le vent
Je ne me souviens plus de rien
Ni du début ni de la fin
Je me suis perdu entre-temps
Il ne reste même plus de présent
Depuis que le temps n’existe plus
Même les instants ont disparu
Je suis passé par le néant
Sans entendre le dernier souffle
J’ai attendu que le jour revienne
Dans tes yeux je voyais le trouble
Cherchant au-delà de ta peine
Le murmure de son sourire
Ce qu’elle ne pourra plus dire
Mais qu’il te semble entendre
De sa voix encore si tendre

Patience (suite)

J'ai traversé la rue. Je me suis retrouvé seul dans la cour. C'était la première fois. Je suis souvent à la recherche de mon premier souvenir, celui qui serait le plus proche de ma naissance. Je me demande ce qu'est un souvenir. Que contient-il? Des images, du son, des sentiments, des sensations, des fantasmes? Un souvenir est certainement une mise en scène, un point de vue. Il ne se transmet que par les mots. Des mots qui ne sont pas toujours les mêmes. Avec qui partageons-nous nos souvenirs? Se souviennent-ils de nos souvenirs? Deviennent-ils aussi leurs souvenirs? Je n'ai aucun moyen d'authentifier certains de mes souvenirs, de les situer chronologiquement.  
Je n'ai qu'un vague souvenir du puits. Je sais qu'il était là. Je l'ai regardé. Ce sont plutôt des sensations qui refont surface. Même si j'ai obtenu la permission de traverser la rue seul, ma taille me contraignait à escalader le puits si je voulais espérer en voir le fond. Je ne l'ai jamais vu. Je me penchais. Je sentais la fraîcheur sur mon visage. J'entendais l'eau mais je ne voyais rien. J'avais peut-être envie de plonger. Il m'arrivait de laisser tomber un caillou. J'entendais le plouf. Le puits ne stimulait pas mon imagination. Je n'imaginais pas de monstre caché dans les profondeurs. Ce que j'aurais aimé c'est envoyer le seau par le fond et ramener l'eau dans la cuisine. Je n'ai jamais été assez grand pour pouvoir le faire. J'ai quitté la maison avant. 

vendredi 16 août 2013

Si peu



Du bout des doigts
Jusqu'à toi
Dans les rondeurs
De la couleur
Je t'effleure
Tu es déjà loin
Dans l'onde de l'ombre
Tu serres les poings 
Et tu sombres

Rendons à César...



 Contrairement à ce qui avait été indiqué précédemment, je me dois d'avouer, ce à la demande d'une lectrice, que le texte ci-dessous n'est pas d'Henri Callet mais que j'en suis l'auteur. Cela ne se reproduira plus.


Des souffles. Je regardais les derniers jours. Je me suis demandé ce qu'était une vie, de quoi elle était faite. Quelle est la part de soi dans une vie? Ma vie se distingue-t-elle des autres vies? Cette sensation parfois d'être à côté, d'être sur le bord et de se regarder passer ou d'être emporté sans trop savoir vers où. Si la vie, pourquoi ne pas dire ma vie, était un miroir, je ne sais pas si je me reconnaîtrait. Ou peut-être quelques morceaux de moi.  Je n'échappe pas à l'absurdité, à l'incohérence, à la culpabilité, à la souffrance, aux regrets...Pourtant, la vie n'est pas un doute sans fin.
Quand il reste un corps allongé qui se débat, qui renonce, qui se laisse glisser, qui n'est déjà plus habité. Il est comme un soleil qui touche l'horizon. Sa lumière nous parvient alors qu'il a déjà disparu. Que nous reste-t-il de cette ancienne vie? Lorsque meurent ceux que nous aimons, ceux qui sont notre vie, nous perdons de cet amour qui nous fait vivre. La vie ne continue pas. Ce n'est plus la même. Est-ce toujours notre vie? Je ne sais pas toujours pourquoi la vie devrait continuer, pourquoi la vie serait toujours la plus forte. Il suffirait de le dire, de l'asséner comme un devoir pour qu'elle s'impose?
La mort de ceux que j'aime me fait souffrir chaque jour. Je les aime mais ils ne sont plus là. Je ne les vois plus, je n'entends plus leur voix, je ne leur parle plus, ils ne me sourient plus, je ne les serre plus dans mes bras, ils ne me font plus rire. Des chemins à flanc de vie que je ne fréquenterai plus. Je me souviens de ces jours où j'ai rebroussé chemin. Je me retourne souvent. Je ne fais que deviner. Comme si l'air tremblait. Quand le souvenir devient presque la vie. Cette vie qui est une incompréhension. Un souffle.

mercredi 14 août 2013

Vit(e) fait

Elle s'en souvient mais ne se souvient plus à quoi cela pouvait bien servir.

Patience

Je me souviens d'un puits. Il se trouvait dans une cour. Il fallait traverser la rue. J'étais un enfant. Plutôt petit. Enfin, encore petit. Du moins au début. Les premières années, je n'avais pas le droit de traverser cette rue. Pour le faire, je devais donner la main et me tenir éloigné du puits. Pourtant, je n'ai jamais vu ou entendu une automobile l'emprunter. Je n'imaginais pas que l'interdiction puisse être motivée par autre chose. Je n'allais pas jouer dans cette cour. Elle n'était pas faite pour ça malgré l'expression "Va jouer dans la cour". Elle était recouverte de fleurs sans intérêt, que personne n'avait jamais eu l'idée de cueillir. Plusieurs fois par jour, quelqu'un traversait la rue avec un seau en métal pour le remplir. Je ne sais plus qui c'était. Quand je replonge dans cette époque, j'ai l'impression que les seuls souvenirs qui me restent concernent les choses. Surtout le puits. Je ne me souviens pas à quoi servait l'eau du puits. Je revois le seau dans lequel l'eau continuait de se balancer au rythme des pas qui l'avaient transportée jusqu'à la cuisine. Elle était claire. Quand le seau restait sans surveillance, j'y plongeais les bras. La fraîcheur glissait sur ma peau. Je fermais les yeux et j'attendais. Dans le silence, je laissais passer le temps. Je ne bougeais plus. Comme si ils s'étaient dilués dans la transparence, je finissais par ne plus sentir mes bras. Je faisais mon apprentissage de l'immobilité. Je découvrais le temps de l'inutilité. Je faisais partie du silence. Avant que des pas ne se fassent à nouveau entendre, je sortais de la cuisine et posais mes bras sur le rebord d'une fenêtre chauffé par le soleil. Je regardais disparaître les dernières gouttes.
Un jour, j'ai eu le droit de traverser la rue tout seul.