vendredi 20 juillet 2012

Terre (1)

Des allées droites, parallèles ou qui se croisent à angle droit. Des arbres qui forment des bosquets et offrent leur ombre aux bancs qui patientent. D'autres qui sont isolés, résignés ou qui n'attendent rien si ce n'est un regard et la pluie. Ils ont été choisis parce qu'ils ne perdent pas leurs feuilles.  Ils offrent toujours la même couleur comme si la lumière n'avait aucune prise sur eux.Comme un aveux de stérilité, ils ne laissent aucune fleur apparaître sur leurs branches serrées les unes contre les autres. C'est un endroit ignoré des abeilles. Leur observation ne donne aucune indication sur la saison du moment. A leur pied, une terre sombre sans herbe parsemée de quelques cailloux. Ils sont l'absence de temps.

mercredi 11 juillet 2012

Discours pour un mariage


Chère Cathy, cher Emmanuel, si vous me permettez de vous appeler Cathy et Emmanuel. En guise d’introduction, je rappelle que vous avez souhaité placer cette journée sous le signe du cinéma. J’ai donc interrogé vos proches afin de savoir quel serait selon eux le titre de film qui pouvait le mieux symboliser votre union. Marie, sur la base de je ne sais quels critères, m’a proposé « La belle et le bête ». Agnès, peut-être plus observatrice a suggéré « L’ours et la poupée ». Quant à elle, Claire a, sans l’ombre d’une hésitation, affiché « Glissement progressif du plaisir ».
  Il est des évènements qu’il n’est pas aisé de raconter. Le mariage est de ceux- là. Car comme me l’a fort judicieusement fait remarquer Alain, frère aîné d’Emmanuel, qui vous le verrez dit beaucoup de choses et me charge souvent de transmettre ses propos, mission que j’accomplis avec plaisir. « Aujourd’hui c’est tout beau, mais demain ? » car ne dit-on pas « A demain, si vous le voulez bien ». Comment relater quelque chose qui vient à peine de commencer ?  Je pourrais faire un résumé des épisodes précédents, sachant qu’il y a deux façons de raconter un mariage. La version française qui s’apparente à l’amour courtois, style Chrétien de Troyes, cet amour éternel ponctué de pamoisons, de soupirs, de regards lancés à la dérobée, de mots doux, de vapeurs et d’évanouissements que provoque un désir qui tel un incendie enflamme les buissons en fleur et la version gauloise qui rime avec grivoise. J’ai mis tellement de temps à choisir entre les deux que je n’ai pas choisi. Ce qui veut dire que vous aurez à subir quelques saillies qui pourront être limites mais rassurez-vous jamais vulgaires puisque j’ai tenu à ce que ce texte soit relu, corrigé et approuvé par monsieur le curé. Pour tout vous dire et comme aurait pu le dire Rocco Siffredi, j’ai retourné le sujet dans tous les sens avant de pouvoir trouver l’entrée. Oui effectivement, comme me l’a dit monsieur le curé « Là Thierry, je crois que tu es un peu limite ». Avec monsieur le curé nous avons longtemps hésité et puis l’homme de dieu a fini par lâcher « Bon, user d’un peu de gaudriole n’est pas pêcher ». Comme me l’a confirmé sa gouvernante « On peut être ecclésiastique, on en demeure pas moins homme »   
 Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, les invités venant du Perche peuvent-ils lever la main ? Merci. C’était simplement pour vérifier la véracité des propos de Cathy qui, sachant que j’allais écrire un mot, a tenu à me prévenir « Tu verras, bien que gentils, les gens du Perche ne sont pas des flèches, ça se voit même sur leur visage. ». Je n’en crois évidement rien. Cathy a aussi tenu à me préciser que, pour ce qui la concernait et contrairement à ses trois soeurs, elle avait très peu vécu dans cette contrée reculée et n’avait donc pas hérité des stigmates qui s’y rattachent.

 Mais ne vous y trompez pas car comme le disent nos amis les chasseurs, protecteur de la nature et des traditions, et quelle plus belle tradition que le mariage mais entendons nous bien, car comme le disent aussi avec délicatesse nos amis les chasseurs, le mariage oui mais dès lors que c’est pour mettre la cartouche dans le fût. Donc comme disent les chasseurs, Cathy et Emmanuel ne sont pas des perdreaux de l’année, ni des tourtereaux. Ils ont, avant de convoler, procédé à quelques ajustements, quelques réglages et autres mises au point. Et si j’en crois la présence d’Angèle, on peut affirmer qu’ils sont fins prêts. Comme le dit volontiers Bertrand, du Thil, attentif observateur de la nature, l’amour se prépare et comme la culture, faut labourer avant de semer. Je vous concède que l’agriculteur peut être bourru mais quel bon sens ! Si le paysan est parfois revêche et taciturne c’est qu’il côtoie la solitude des immensités, qu’il affronte l’âpreté des saisons, qu’il s’enfonce dans l’étirement des petits matins, qu’il voit s’écouler dans la terre ses forces et sa passion. Peut-être Emmanuel pensait-il avoir atteint la plénitude dans cette quotidienne communion avec la nature. Tout comme en son temps Véronique Jeannot fit l’amour avec la mer, Emmanuel lui… D’ailleurs, plusieurs membres de sa famille, et pas des moindres, s’étaient résignés à voir dans leur frère un adepte du célibat. A telle enseigne qu’Alain, lorsqu’il apprit que son petit frère était en passe de fusionner, ne put retenir un « Comme quoi… » des plus révélateurs.  
La salle est composée de trois catégories de personnes. Celle qui ne connait pas Cathy, celle qui ne connait pas Emmanuel et celle qui connait les deux mariés. Je n’ai pas pris en compte la catégorie qui ne connait ni l’une ni l’autre. Pour ce qui me concerne, l’ayant peu pratiquée, je ne me permettrais pas d’affirmer que je connais la mariée. On peut malgré tout penser qu’elle n’est pas dénuée de quelques qualités puisqu’elle a passé avec succès le contrôle qualité imposé par la famille Drique. Et je peux vous dire qu’il y en a plus d’une qui n’a pas obtenu la certification ISO. Pas assez ceci, trop cela. Lorsque l’heureuse élue est connue, Alain, l’aîné de la famille, émet à chaque fois le même regret : que le droit de cuissage ait été abandonné. Il faut également que tu saches Cathy que l’autorisation de séjour dans la famille Drique que de haute lutte tu as obtenue n’est qu’un titre provisoire qui, pour d’autres avant toi, n’a pas toujours été renouvelée. Une des autres caractéristiques de la famille est que lorsque vous vous mariez avec un ou une Drique, vous épousez toute la famille. Ainsi, dès que vous faites quelque chose qui sort un tant soit peu de l’ordinaire, sans que l’on sache trop comment, le lendemain toute la famille est au courant.
 Cathy et Emmanuel ont des points communs. Outre le fait d’être l’un avec l’autre et inversement, ils sont tous les deux d’origine paysanne. Ils semblent malgré tout ne pas en avoir trop souffert. Que les agriculteurs présents dans la salle se rassurent. Lors d’une précédente allocution, considéré comme un représentant des élites, il m’a été reproché de brocarder le monde paysan, d’avoir mis en doute sa capacité à accéder à quelque forme de culture que ce soit. J’ai senti la colère gronder du côté du Thil en Vexin, , charmante bourgade du terroir dont les façades ont récemment été repeintes en bleu marine et représentante de cette France profonde qui, nous dit-on, ne ment jamais, se lève tôt, travaille pour de vrai et demeure silencieuse.
Mais revenons-en à Cathy et Emmanuel. Pour tout vous dire, au début ce n’était pas gagné. Ils s’aimaient mais ne le savaient pas, surtout Emmanuel. C’est donc Cathy qui a été obligée de faire de subliminaux premiers pas en faisant part à Emmanuel de son souhait de s’abonner à la France agricole, en lui posant des questions du genre « Blé sur blé est-ce jouable ?», ou en le dissuadant d’orienter son choix vers une vieille suceuse d’occasion au risque de n’en pas obtenir toutes les satisfactions attendues. Si vous souhaitez obtenir davantage d’informations sur la suceuse, d’occasion ou pas, vous pouvez vous adresser à Hervé ici présent, cousin germain d’Emmanuel et agriculteur de gauche version kolkhoze, connaît une personne qui en fin de soirée se fera un plaisir de vous faire une démonstration.  
Emmanuel a malgré tout fini par se douter de quelque chose. Les distractions étant rares au Mesnil Guilbert, un comice agricole tous les cinq ans, un cocktail au garage Leroy pour la sortie de la nouvelle 404 et autre dégustation de crottin chèvre chez les écolos du coin, Emmanuel a offert à Cathy un tour de plaine dans sa camionnette. Je ne sais pas si vous avez déjà visité ce véhicule mais pour que Cathy accepte de s’y asseoir il fallait vraiment qu’elle soit amoureuse. Parfum de gasoil marinant dans la graisse, confortable couche de poussière, clé de 12 dépassant de la boîte à gants et chiffons huileux jonchant le tapis de sol sans parler des restes de tout et de rien tapis dans l’ombre du coffre. « Demain je range » est une des règles de vie d’Emmanuel. Je vous passe l’exposé qu’il lui a fait sur l’agriculture intégrée. Peut-être à cet instant, Cathy a-t-elle senti en elle le doute s’immiscer. Il vous faut savoir que toute petite déjà, Cathy, non sans raison, s’était promis de ne jamais épouser un agriculteur. Ce qui se comprend, car si j’en crois les récits qu’elle nous en a fait, le Perche est manifestement la patrie de Jacquou le Croquant et de Cosette. Et pourtant, allez savoir pourquoi comme le dit Alain, comme la plante finit par fixer l’azote que l’on dépose à ses pieds, l’amour les a possédés. Cathy a regardé avec tendresse la clé de 12, Emmanuel s’est dit qu’il allait nettoyer la camionnette et c’est dans le doux parfum du gasoil et la lumière d’un premier soleil que leurs souffles se sont mêlés, emportant au loin la poussière du doute. Ce n’était pas du cinéma.