Une étendue blanche, toute blanche.
Je la traverse. C’est une sorte de désert qui a la forme d’un rectangle et qui
pourrait faire croire à l’absence de pensée. Peut-être pourrait-il servir de
drap aux fantômes de mes idées. Comme l’eau disparaît dans le sable, mes idées
se sont perdues entre des lignes imaginaires. Pourtant, les pensées ne sont pas
un flot. Elles sont intimes et vagabondent. Elles naissent d’images, de presque
rien. Ce sont des créations que je stocke ou que j’expose. Je dois trouver les
mots pour les faire apparaître, pour les partager.
Je noircis de mes pensées l’écran
blanc. Ce n’est après tout qu’une tentative. A petit pas mon esprit s’est
éloigné de ma plume. Livrée à elle-même, elle s’est laissée aller et, plat sur le
bord du bureau, s’est fait oublier sans laisser de trace.
Une chronique de France culture m'a donné envie d'écrire ce
qui suit.
Notre vie serait comme les mathématiques, la physique, de la
chimie ou toute autre matière scientifique. La solution à nos problèmes serait
une formule. Pas une formule par problème mais une seule et même formule qui
serait à l'homme politique ce que la pierre philosophale est à l'alchimiste. Si
cette formule change en fonction des circonstances, elle garde toujours son
caractère universelle. Chacune d'elles s'impose comme une évidence, marquée au
coin du bon sens. Une de ses particularités est qu'elle s'affranchit de tout
débat, de toute remise en cause. C'est une vérité révélée.
"Le choc de compétitivité" est la dernière formule
en date. Répétée à l'envie, en toute circonstance, dans tous les débats et par
tout un chacun, elle est devenue un gimmick, une incantation que l'on annone
sans plus s'interroger sur son sens, sur son contenu. Ah mais oui, où avais la
tête, mais c'est bien sûr le choc de compétitivité qu'il nous faut. La formule
se suffit à elle-même. Sa particularité est qu'elle concentre en son sein toute
la violence d'un modèle de société qui s'impose à nous. "Le choc"
c'est quoi? Une claque dans la gueule, un coup de pied dans le cul, une
décharge électrique à destination de notre cerveau? A bien y réfléchir, cette
formule est un pléonasme. La compétitivité est un choc, une sanction, un
couperet. Elle a l'avantage d'éviter de s'interroger car elle est présentée
comme étant une urgence. C'est un concept conservateur qui fait fi des remises
en cause, qui n'aborde pas le fond mais tente de rafistoler. La compétitivité
n'a que faire de la démocratie. Elle est à l'économie ce que l'horizon est à la
ligne d'arrivée.
Je reviendrai un autre jour sur la formule du pain au chocolat dérobé.
« Je vois ma vie comme un terrain vague. De l’herbe, des
pierres, des résidus, le vent, l’usure et l’abandon. Aucune envie d’y faire pousser quoi
que ce soit, d’y ériger une quelconque construction. J’ai une pelle et je
creuse, persuadé de trouver quelque chose que je pourrais brandir en criant
« Voilà, c’est moi ». La sensation d’être autre chose, de vivre à côté de moi. »
Dès
son plus jeune âge, il a eu la certitude d’avoir une vie intérieure intense. Comme si il ne pouvait pas se contenter de vivre.
Même si il sait que cela est
vain, il recherche toujours les mots. Des mots qui s’imprègneraient, des mots
dont il serait proche, des mots qui seraient comme des larmes d’une troublante
transparence et qui ne sécheraient jamais. Il ne renonce pas à trouver des mots
qui seraient elle, qui seraient lui. Des mots dans lesquels ils pourraient se
glisser et se blottir dans leur ombre. Pourtant, ce qui est en lui se méfie des mots, la sensation de s’y
trouver à l’étroit. Il ressent parfois une frustration de ne pouvoir exprimer la
force, la violence, la douceur, le calme qui le traversent, claquent et le
transpercent. Ce n’est peut-être que son âme qui lui échappe. Elle est l’eau
que l’on devine retenue par un barrage
« Et j’ai eu huit ans. C’est l’âge auquel je crois me
souvenir avoir fait le lien entre mon cerveau et mon pénis dont à l’époque
j’ignorais le nom. Je ne l’appelais pas alors que ma mère l’affublait de
surnoms ridicules et niais dont j’ai encore honte aujourd’hui. Ce devait être
une sorte de castration morale. Si j’étais son fils, je ne devais pas être un
homme. C’est du moins ainsi que je l’analysais. »
Ce matin, je ne sais pas pourquoi,
en arrivant au bureau je me suis souvenu de Podgorny, Nikolaï Viktorovitch
Podgorny. Il est probable que peu de personnes s'en souviennent. Il était copain avec Alexis Nikolaïevitch
Kossyguine etAndreï Gromyko dont le nom me faisait rire quand j'étais petit.
Il a toujours eu, et ce dès son plus
jeune âge, ce fantasme de l’amour courtois se nourrissant de poèmes, de regards
qui frôlent l’être aimé, de pensées secrètes. Sorte de lévitation qui mène à
cette frustration faite de douleur et de renoncement. C’est en ce sens que ce premier amour fut
peut-être le plus parfait, du moins de son point de vue. Il ne sait pas comment
a pris fin ce premier amour. Un déménagement, une lassitude,
un désintérêt unilatéral, l’usure du quotidien…Si l’on exclut les ruptures
brutales qui sont liées à un évènement conjoncturel, la fin d’un amour est
aussi mystérieuse que le début. Nous nous levons le matin et c’est en croisant
l’autre, terme un peu brutal, dans le couloir qui relie la chambre à la salle
de bain que nous aurions la révélation. Nous ne l’aimerions plus. C’est pourtant un matin comme beaucoup
d’autres. Nous l’aimions hier soir en éteignant la lumière et ce matin, c’est
fini. Notre amour aurait profité de la nuit pour s’enfuir, pour aller ailleurs.
Avec le soleil qui se lève, nous n’aimerions plus personne. Nous ne le
désirerions plus. Nous ne lui trouverions plus aucun charme. Nous irions
jusqu’à nous demander comment nous avons pu l’autoriser à nous toucher. Mais
nous sommes allés jusqu’à la salle de bain l’air de rien. Nous avons refermé la
porte. Nous nous sommes assis sur le tabouret près du lavabo. Tout en regardant
goutter le robinet nous n’avons pensé à rien, sidérés que nous sommes. L’amour
serait un tas de sable. Nous irions je ne sais où, au loin, là-bas, hors de
vue, chercher grain par grain de quoi le faire grandir. Et puis, peut-être
fatigué, inattentif nous laisserions le vent éroder notre construction. Bien sûr que non, ce n'est pas ça. Les mots ne sont jamais que des synonymes. Nous nous obstinons à choisir des mots. Nous parvenons parfois presque à le décrire. Je ne parviens pas à concevoir que d'un amour il ne puisse rien rester si ce n'est des souvenirs. L'amour se fige dans les souvenirs.
« Et puis, je ne sais pas.
Marlène a disparu. Peut-être ai-je tenté de la garder en moi malgré son
absence. Le temps a joué son rôle de pierre ponce. Son visage s’est estompé
pour finir par disparaître. Je ne lui ai jamais parlé. Je ne l’ai jamais
touchée. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir approchée. Elle n’a pourtant jamais
été un simple souvenir. Je ne pense pas tous les jours à Marlène mais son prénom
est une boîte qui est toujours presque vide. Je crois que c’est avec elle
qu’est née mon ambition d’être poète. A défaut de savoir écrire, mon esprit
l’était. Sans être capable de l’identifier, je savais qu’il y avait quelque
chose au fond de moi qu’un jour il faudrait que j’aille chercher. »
Une élue étiquetée écologiste a été mise en examen pour blanchiment d'argent et fraude fiscale. Sans que j'en discerne l'intérêt, plusieurs journaux en ont profité pour nous informer que cette élue sur internet vendait des sextoys bio. Il n'empêche que ce fait a alimenté ma réflexion. Je me suis demandé si il y avait une façon "développement durable" de faire l'amour. J'ai passé en revue chaque étape du processus. Il ressort de cette étude attentive que l'amour, que nous le fassions, que nous l'éprouvions, n'est qu'énergie renouvelable, exploitation de ressources inépuisables, création de sensations, d'innovations. L'amour nait à partir de rien et devient tout.
Pour tout dire, je n'avais à l'origine pas l'intention de traiter ce sujet de cette façon. L'ambiance de cette chronique devait être proche de celle de l'illustration. Et puis je me suis dit que j'allais sombrer. Ce qui attire mon regard ne dicte pas toujours ma pensée.
« Même si je sais que personne
ne lira ces lignes, je devine qu’il me sera difficile de me livrer, d’écrire ce
que je suis. Mes doigts hésitent déjà. De quoi ai-je peur puisque je ne lirai
pas ce que j’écris ? Mes faiblesses, mes trahisons, mes lâchetés, mes
renoncements. Ils sont pourtant une part de ce que je suis. Comme de la
broussaille que le vent agite dans un terrain vague, ils occupent le terrain de mes pensées. Ma connaissance de chaque méandre de mon cerveau
me permet de les éviter mais je sors parfois épuisé de mes pérégrinations.
C’est comme si une partie de mon cerveau était une cinémathèque où
s’entasseraient des piles de boîtes dans lesquelles j’aurais pris soin de
ranger des films en super 8. Une prise de vue incertaine, des images
tremblantes, floues, des travellings nerveux. Écrit au feutre noir sur une
étiquette, le titre de chaque bobine. Leur rangement ne répond à aucun ordre
qui me soit connu. De nombreux titres commencent par « Premier » ou
« Première fois ». « Premier amour ».
« Mon premier amour s’appelait
Marlène. C’est ainsi que les autres l’appelaient. Nous ne nous sommes jamais
adressé le moindre mot. J’avais l’âge où les filles ne sont presque plus une
autre forme de garçon mais pas encore ces êtres incompréhensibles dont il faut
se méfier. Je ne savais pas ce qu’était l’amour mais elle fut la première à
retenir mon attention. J’osais à peine la regarder. Sa seule présence me
suffisait. Elle était la douceur de mes jours, mon secret. Je n’imaginais rien.
Je me contentais de la garder en moi. Je ne savais pas ce qu’était l’amour mais
il était là. Je le vivais. C’était le mien. Cette forme d’amour que l’on ne
partage pas, même pas avec l’être aimé. L’amour est un sentiment spontané, né
de rien. Je ne sais pas si Marlène avait remarqué quelque chose mais c’est la
première à m’avoir transmis ces frissons qui vous rendent heureux. Je n’ai pas
le souvenir de m’être inquiété de savoir si elle éprouvait quelque chose pour
moi ou si le simple fait de me regarder la faisait vibrer. L’amour était un
plaisir solitaire. Solitaire mais pure, poétique, romantique, détaché de toute
contingence corporelle, absolu. Blottie dans le reflet de mes yeux, elle
restait à l’abri de mes paupières pour la nuit. »
Il aurait presque envie de sourire en
relisant cette dernière phrase. Il se lève et fait les quelques pas qui le
séparent de la chaise. Il la regarde. Un objet fait de tissu et de métal qu’ils
avaient détourné, fait dévier de sa fonction. Cette manie de vouloir
donner un sens, une signification à ce qui n’en a pas. Cette chaise devient une
bouée sentimentale. Elle entretient son goût du fétichisme. Il parvient à s’en
amuser. Il laisse défiler les images. Il se concentre sur son visage. Il était
fasciné par ce qu’il pouvait y lire. Une fois qu’elle avait ferré ce frisson
qui allait la faire vibrer, elle ne le lâchait plus. Elle devenait un concentré
d’énergie qui n’avait de cesse que d’extirper ces quelques secondes de
jouissance. Il ressentait parfois cette impression d'être un objet entre ses mains, ce qui ne lui déplaisait pas. Sans aller jusqu'à se l'avouer, il en était plutôt fier.
Dehors le jour s’avance. Il regarde
par la fenêtre. Il s’accorde un peu de présent. Dans le ciel, quelques nuages
blancs finissent de s’étirer. Ils perdent leur forme, semblent s’étioler, prêt
à disparaître. Et puis, avec lenteur, comme les cellules d’un corps dont il ne
verrait qu’une partie, ils se divisent. Leurs contours s’affirment et
projettent d’autres ombres dans la rue où défile la vie de tous les jours. Il
va bien falloir qu’il y retourne, qu’il redevienne une partie d’un tout. Il
mêlera à nouveau son histoire aux autres. Que pourrait-il raconter sans
eux ?
Il a toujours cette tendance à
plonger son romantisme dans le désespoir. Il espère que cela le rendra plus
beau, encore plus définitif. Il navigue dans les vapeurs de l’adolescence, ce
qui peut le rendre plus touchant, du moins pendant un certain temps. Il ne faut
pas s’y tromper. Il a déjà été heureux. Il a déjà aimé. Il a déjà été aimé. Ce
qu’il n’a pas encore écrit, mais il lui reste plusieurs heures pour le faire,
c’est qu’il garde en lui cette sensation de ne jamais s’être laissé aller à
l’amour, de ne jamais s’être offert sans réserve. Avec elle, il savait qu’il
allait y parvenir. Au début, c’était en pointillé. Il s’offrait des voyages,
des séjours dans la marge. Il était en quelque sorte un intermittent du
laisser-aller sentimental.
« Je ne sais pas comment d’un
presque rien est né ce furieux besoin d’aimer. La passion m’a toujours été
étrangère, ce qui en soi n’est pas une tare. Mais j’éprouvais, peut-être à
nouveau, ce besoin d’être heureux, de ressentir. Certainement détecté par des
capteurs d’une extrême sensibilité, je découvrais que cette réciproque histoire
de cul n’en était plus tout à fait une. Je l’ai découvert le jour où la tenir
simplement dans mes bras me suffisait. Je vivais ce moment. Tout ce qui me
constituait, tout ce qui faisait que j’étais moi était là en train de la
serrer, de la respirer. C’était comme si nos cellules, nos atomes cherchaient à
se mêler. Je n’ai pas eu peur. »
« Je ne sais pas pourquoi, mais
cela me rappelle la plage. Je n’ai jamais aimé me prélasser sur le sable. Je ne
peux rien y faire, même pas penser. C’est le lieu de l’inconfort, de la
vacuité, du néant, de la négation. Tous ces grains ne m’inspirent rien.
Pourquoi en vouloir à cette plage par ailleurs tant prisée, tant espérée ?
Ce sont les vagues qui m’attirent. Les vagues qui grondent, qui m’imposent leur
énergie. Je m’avance vers elles à la recherche de celle qui m’emportera, me
submergera, à laquelle je n’opposerai aucune résistance. Je deviens un
ingrédient de cette soupe agitée. Je n’ai plus de point de repère. Et puis,
comme un chat qui en aurait assez de jouer avec sa proie, la vague me rejette
sur le sable. Etourdi, heureux d’être sain et sauf, je passe la langue sur mes
lèvres mouillées pour contenter tous mes sens. »
"La
nuit, me promenant dans Paris, d’imaginer ces milliers de fentes sous
les jupes, ces clitoris, ces seins gonflés, ces ventres féconds, ces
bourses ballantes, ces queues en mouvement, ces fessiers roulant, ces
délires rodant, tout le sang grondant dans les veines, en tout lieu, à
toute heure, d’évoquer cette agitation internationale m’épuise ; puis
me métamorphose dans l’enfant d’hier qui regardait le ciel constellé à
perdre l’équilibre, pris de vertige devant l’immensité de l’intrigue."
Certainement, je suis par hasard tombé sur ces lignes qui sont extraites d'un texte de Frédéric Joignot dans lequel il se demande pourquoi la reproduction est-elle sexuée. Si je les ai copiées-collées c'est qu'elles expriment à la perfection les pensées qui souvent me traversent la tête quand je me promène en ville. Comme si j'avais besoin d'être rassuré, j'aime savoir que d'autres aussi s'égarent. En revanche, cela ne m'épuise pas mais me fait sourire. J'aime cette idée de frénésie sexuelle qui reste circonscrite à mon esprit et reste sans effet sur le reste de mon corps. C'est à peine si mon cerveau se trouve à l'étroit. Ces pensées ne sont que très rarement accompagnées d'illustrations. C'est un érotisme dématérialisé.Un souffle sur la peau.
Il entre. Elle est là. Il l'espérait. Parmi les autres livres. Derrière elle, des rayons qui semblent lui prodiguer une chaleur. Celle des mots dans tous les sens, celle des premières pages qui ont assez de souffle pour entretenir les braises. Il n'a lu aucun de ces livres. Il regarde les couvertures qui forment une mosaïque. Il lit les titres. Certain lui donnent envie de tourner les pages. Elle lui a dit que parfois toute l'énergie, toute l'âme de l'auteur se trouvait dans le titre. On ne le découvrait qu'après avoir lu le livre. Il s'approche. De son regard, elle froisse son angoisse qui roule comme une boule vers la foule. Elle disparaît entre les pieds qui se précipitent sur le trottoir. Il sera toujours temps.
« Avec elle, les choses ont pris
leur temps. Au début, ce fut purement sexuel. Ce ne fut que purement sexuel.
Pour tout dire, j’ai commencé par curiosité, sans arrière pensée. Une aventure
qui était à peine le reflet du présent et qui allait se terminer dans un bruit
de porte. Et sans que je sache pourquoi, même aujourd’hui, j’ai continué. Comme si la première fois fut déjà une habitude. Même
si elle n’était pas contre, je n’ai pas le souvenir qu’elle ait fait quoi que
ce soit pour que cet épisode pilote devienne un feuilleton fleuve. Sans en
avoir conscience, j’étais dès le premier jour sous perfusion. Elle entrait en
moi goutte après goutte. Elle se mêlait à mon sang, gonflait mes veines.
Pendant de longs mois, je n’ai rien ressenti de particulier. Pas de sensation
de chaleur. J’étais comme ces fumeurs qui se targuent de pouvoir arrêter quand
ils veulent ».
Il regarde ces quelques lignes sur
fond blanc sans oser les relire. Il sait qu’il ne parviendra pas à raconter
cette histoire. Dans une histoire d’amour, les mots sont de trop.
« Dans ma vie, j’ai souvent été
presque. Presque heureux, presque amoureux, presque intelligent, presque beau,
presque élégant. Presque est un mot curieux.
C’est un cocktail composé d’absurde, de désespoir, de lassitude et de dérision.
Il donne pourtant l’impression d’être vide de sens, d’être inutile. Une sorte
de miroir mesquin qui ferait ressortir les rides et les boutons. Alors il n’y
avait pas de raison qu’avec elle il en aille différemment. Cette relation était
presque quelque chose. »
Comme souvent, il exagère. Probablement. Il a depuis longtemps ce mot en réserve. Il lui trouve une certaine beauté. "Presque" pourrait effectivement être le résumé d'une vie mais pas de la sienne. Il en a extrait l'incertitude, l'imperfection. Presque lui donne envie de vivre demain. Presque est une frustration qui le fait vibrer, qui le maintient dans la création.
Le 18 octobre prochain à
Franqueville St Pierre, salle Bourvil, à 20h aura lieu un concert
pop-rock, au profit de l'association EMA. L'association EMA, créée en
2005, a pour objet de favoriser l’accès des enfants à la musique,
notamment en finançant la location d’instruments.L'association, en
partenariat avec l'école de musique de Rouen, aide aujourd'hui une
dizaine d'enfants en louant principalement des pianos. Son action
s'inscrit dans la durée. C'est pourquoi EMA organise régulièrement des
manifestations afin de financer son action.
La
salle de spectacle Bourvil, mise gracieusement à disposition par la
commune de Franqueville St Pierre, accueillera trois groupes qui ont
accepté de jouer au profit de l'association.Il s'agit de
Le
Second Floor Orchestra s'estformé autour de Jorge, Phil (respectivement
compositeurs chanteur et guitaristede Victoria) et Manu aux claviers.
Son nom vient du fait que le groupe a composéet répété dans un
appartement de Rouen situé au deuxième étage !!! Rejointspar
Nicolas (ex Marteen) à la batterie, Christophe (ex Familia)à la basse
etaux choeurs et Julien à la guitare, ils enregistrent un premier CD 6 titres pendant l’été 2010 . "Ils ont fait traverser l'Atlantique à leursinfluences britanniques. Dans
la droite ligned’une musique pop-rock ponctuée d’accents jazz que l’on
peut retrouver du côtédes ambiances musicales des Doors, leurs
influences vont de Lennon à Dylan enpassant par les Who, Paul Weller,
Elvis Costello ou encore Herbie Hancock.
La sortie de leur nouvel album, intituléLullabies sera disponible en octobre
A l'origine My SillyDogfish est un duo formé en septembre 2010 à Rouen .
C'est
aujourd'hui un groupe composé de 4 musiciens ( Loic a la basse
Christophe al guitare Yannick à la batterie et Claudio au chant
)venusd'horizons divers et variés jouant une pop folk influencée par
lesmaitres que sont Dylan, Lennon, Presley , Costello leurs répertoire
electroacoustique entièrement composé de morceaux originaux ne laissera
pas indifférentles amateurs de mélodies et de guitares claires
Après
une longue phase dematuration scénique entreprise tout au long de la
promotion de la compilation ILove LH vol II, ou en tant que groupe
support de très nombreux concerts (dbBAND – ex SUPERGRASS, RADIOSOFA,
THE PARISIANS, CRAIG WALKER – ex ARCHIVE), GRAPES a su trouver le chemin
del’efficacité rock, sans jamais tomber dans la citation de leurs
références (THEKINKS, WINGS) et tout en gardant l’œil rivé sur le
présent (ARCADE FIRE, ARCTICMONKEYS).
Du
côté de « l’actualitédiscographique », GRAPESa sorti le 15 mars dernier
son tout premier album« SomeKinds of Happiness » auTahiti Labde Rouen
(studio du groupe TAHITI 80).
Cet
album a été arrangé parLudwig Bosch (RADIOSOFA)et bénéficie de la
participation de nombreux invitésdont Mathieu Pigné pour les batteries
(RADIOSOFA, DA SILVA, ARMAN MELIES,JULIEN DORE), Julien Noël pour des
claviers (JULIEN DORE, DA SILVA) et MickeyQuinn pour des chœurs et
percussions (SUPERGRASS, db BAND).Le mixagede cepremier album a été
confié au belge RudyCoclet (ARNO, MUD FLOW, AN PIERLE, GIRLS IN HAWAI).
La
sortie de ce disque a étéorchestrée par l’association Porc-épic
(SHERAF, RADIOSOFA, ZIK O DOCKS,MEETZIC) qui coordonne le groupeGRAPES
depuis ses débuts.
Duo
devenu quartet, GRAPESdéfendsur scène ce premier album grâce au renfort
d’un nouveau line-up composéde Stan (guitare – claviers – chant), Cyril
(guitare – chœurs), Thomas (basse –clavier - chœurs) et Séb actuel
membre du groupe WILLO(batterie – chœurs).
Sur les hauteurs d'une lueur, battent encore les ailes de la nuit. Leurs ombres se fondent dans mes souvenirs et font disparaître mes envies de fuir. La terre des jours se réveille, libère les odeurs que le vent répand. Je vais me glisser dans les heures qui m'attendent. Je serai du temps qui passe et qui me conduit jusqu'au prochain commencement.
Comme souvent, j'écris plus vite que je ne
pense. C'est ainsi que la nécessité d'un prologue n'est parvenue à mon cerveau
qu'hier alors que je courrais dans la campagne. Le voici donc. Ce prologue a
pour objet de faire la part entre les deux rédacteurs de cette histoire. Celui
qui observe et celui qui raconte ce qui lui est arrivé. Tout en écrivant, je me
rends compte que j'ai créée une situation qui me complique la vie puisque
j'apparais en tant que troisième personnage alors que je n'ai aucun rôle dans cette
histoire. Pour simplifier, partons du principe que je n'existe pas, que je n'ai
pas écrit les phrases qui précèdent et qu'après le point mis à la fin de
celle-ci, le prologue commence.
Il m'a envoyé un début d'histoire me précisant
qu'il souhaitait avoir mon avis. Pourquoi moi? Probablement parce que je le
connais depuis longtemps, que je suis régulièrement le destinataire de ses
confidences, de ses états d'âme. Il faut que vous sachiez qu'à l'abri d'une
modestie qui ne trompe personne, il a des ambitions littéraires. J'ai donc lu.
Que pouvais-je en dire? Je n'avais pas envie de le décourager. Je lui ai donc
répondu que j'aimais. Cela ne lui a pas suffit. Il m'a demandé d'être plus
précis, de parsemer son texte de mes commentaires. Comme je n'ai pas de
prédisposition à la critique littéraire, je n'ai pas souhaité répondre à sa
demande. En revanche, afin d'éclairer d'éventuels lecteurs, j'ai ponctué son
récit de mes propres remarques. Je pourrai ainsi combler les vides, rétablir
certaines vérités et parsemer ce texte dépressif d'un peu d'humour. Il a
tendance à se complaire dans la plainte, le malheur, la souffrance. Voilà.
Il se relit et se demande s’il va conserver cette dernière
phrase. Il sait que personne ne va la lire mais sa pudeur l’empêche de parler
de façon réaliste de ce que sa mère appelait « les choses du sexe ».
C’est d’ailleurs à ça que s’est résumée son éducation en la matière. Il savait
qu’il y avait des choses et que ces choses étaient en relation avec le sexe.
Pendant de nombreuses années, seul avec son sexe, il ignora ce que pouvait être
ces choses. Il n’établissait aucune relation entre ce sexe et son
environnement. En revanche, c’est à l’âge de huit ans, en allant voir un film
au LEM, qu’il put établir de façon irréfutable que ce qui se trouvait entre ses
jambes bénéficiait d’une grande autonomie.
Pour la première fois, il allait au cinéma. Il ne se souvient
pas du titre du film ni de l'histoire. Il conserve le souvenir des images du
hall d'entrée, des affiches de couleur, traversées par la mention
"Prochainement", des photos sur les murs sensées vous renseigner sur
l'intrigue du film, de la guérite dans laquelle une femme vous demandait
"Balcon ou orchestre?", "Plutôt au milieu ou sur le côté?"
Probablement accompagné par l'ouvreuse, il s'est assis dans le fauteuil qui devait
être rouge. C'est en regardant une scène entre une femme et un homme qu'il a
senti son sexe se dresser. Il s'est interrogé. Regarder cette intimité sur
l'écran lui avait plu. Il allait pendant longtemps se la repasser et constater
qu'elle provoquait toujours la même réaction. Avec le temps, il allait
compléter sa cinémathèque, l'enrichissant à l'occasion de productions
personnelles.
"J'attends. Les écouteurs du lecteur sur les oreilles, les sons de l'extérieur me parviennent avec moins d'intensité. Certains se perdent en route. D'habitude je suis le seul à attendre à cette heure là. Ma vie de tous les jours est faite d'habitudes. Je ne sais pas combien de temps il faut pour qu'une façon de faire devienne une habitude. Chacune d'elles me fait peur, comme si elle me faisaient vieillir plus vite, comme si elles décidaient à ma place. J'ai l'impression de vivre plus quand je modifie des éléments de ma vie quotidienne. Changer d'itinéraire pour aller travailler, ne pas toujours prendre le même bus, rompre avec le cérémonial du matin. Des riens qui me rendent plus léger. Je ne l'entends pas arriver. Elle me regarde. Aucun étonnement sur son visage. Elle me sourit. Je lis sur ses lèvres qu'elle me dit bonjour. Comme s'il était curieux qu'une femme m'adresse la parole, les oreilles envahies par une mélodie de SFO, je bredouille un truc du genre "Merjour". J'espère qu'elle n'a rien entendu. Elle prend place sur le banc de métal qui se trouve dans le coin de l'abri et consulte son portable. Elle ne me regarde plus. J'ai quitté son esprit. Je ne sais pas pourquoi cela semble avoir de l'importance."
" Ce dont je suis sûr, c’est que
ce ne fut pas un coup de foudre. Même au loin, je n’aurais pas pu distinguer le
moindre nuage noir annonciateur d’un orage. J’étais à l’abri, le cœur surmonté
d’un paratonnerre. Mais l’on ne peut se prémunir de tout si ce n’est en
arrêtant de vivre. Je ne sais pas à quel moment je suis passé de l’indifférence
à un commencement d’intérêt. De nombreuses femmes avaient éveillé mon intérêt,
l’espace d’une seconde, le temps de les croiser, de les apercevoir, d’imaginer
je ne sais quoi. Si, je sais ce que j’imaginais. C’était de l’instantané, du
furtif, comme un fantasme précoce que je ne prenais pas la peine de formuler.
C’était un peu comme dans les restaurants chinois, dans mon cerveau reptilien à
un numéro correspondait un fantasme. Je n’avais pas le temps d’en voir les
premières images que déjà il disparaissait. Des chiffres me faisaient bander
mais le reflux était rapide "
« Le jour où nous nous sommes
rencontrés pour la première fois, je crois que nous ne nous sommes pas vu. Je
n’ai plus qu’un vague souvenir de cette rencontre. Nous étions trop nombreux.
Les visages défilaient. Les regards allaient dans tous les sens, sans rien
retenir. Comme un tableau dont l’auteur aurait omis les détails, les caractères
pour ne rendre qu’une sorte de désordre, d’agitation qui n’aurait pas permis à
la curiosité de se satisfaire. Une bande-annonce qui n’aurait pas donné envie
d’aller voir le film. Et puis le calme est revenu. J’ai beau creuser,
feuilleter l’album de cette journée, elle n’y figure pas. Ensuite, c’est plutôt
vague. Nous avons bien fini par nous retrouver l’un en face de l’autre, au
moins pour nous permettre de se faire une idée. »
Ses doigts quittent le clavier. Ce n'est pas ce qu'il voulait écrire. Il efface. Les mots quittent l'écran. Place nette. Il se souvient avoir vu des manuscrits d'écrivains. Chaque page contenait des ratures. Des traits horizontaux pour les mots ou les lignes, des traits diagonaux pour les paragraphes. Parfois des phrases qui n'allaient pas jusqu'au point. Mais quelque soit le sort qui leur était réservé, rayés, raturés, les mots demeuraient et pouvaient être lus. Ainsi pouvaient-ils garder l'espoir d'être choisis un peu plus tard, plus loin et pourquoi pas dans un autre livre. Même abandonnés, les mots restaient ceux de l'écrivain. Il reprit.
"Comme
souvent, ce matin là j'attendais le bus. J'étais seul dans l'abri. J'ai à de
nombreuses reprises constaté qu'en ce lieu je ne suis à l'abri de rien, ni des
intempéries ni des autres. Aux premières heures du jour, je n'aime pas les
autres, tous ces inconnus qui pour quelques secondes ou quelques minutes
traversent ma vie, entrent dans mon champ de vision, viennent perturber mon
odorat, parlent de tout et de rien. Par tous les moyens, je m'isole. J'entre
dans mes pensées, j'abandonne mon corps qui devient autonome, libre de réagir
comme bon lui semble dès l'instant où il me laisse en paix. C'est du moins ce à quoi j'aimerais parvenir. Il y a toujours des trous dans la défense."
Vous êtes chez vous, dans la pièce où vous vous sentez le
plus chez vous. Il n'existe pas d'autre endroit où vous préféreriez être à cet
instant précis. Dans la main droite vous tenez le nouveau disque de Second
Floor Orchestra. Probablement jalouse, votre main gauche attend son tour.
Encore protégées par la cellophane, les trois lettres SFO. Vous les
regardez. Vous vous souvenez de leur précédente galette argentée. Une six
titres comme autant de balles qui sifflent encore à vos oreilles. C'est pour ça
que vous hésitez. Et si la nouvelle était moins bonne. Vous savez que c'est
ridicule mais vous sentez en vous le doute s'immiscer. Vous aviez écouté les
six plages et imperceptiblement vous vous vous étiez éloigné du rivage en
partance vers un autre continent. Comme la dernière goutte d'une substance
inconnue, le dernier riff de "Lemon tree" a transpercé votre cortex
et s'est répandu, transformant votre cerveau en une zone d'infinis plaisirs. Et
puis plus rien. Vous étiez là, seul, abandonné au milieu de l'océan, avec déjà
cette sensation de manque. Bercé par des vagues de désespoir, vous étiez prêt à
balancer un SFO à la mer.
Et puis un nouvel opus s'est, comme une fleur, déposé dans
les bac (expression un peu vieillotte). Vous êtes comme Ulysse découvrant le
sixième continent. Avec un peu d'appréhension, comme une première fois, vous
glissez l'objet dans la fente. Et là vous découvrez que les gaziers sont sur le toit de l'immeuble. Vous savez que cette galette couleur diamant vous allez vous la mettre et vous la remettre jusqu'à assèchement des muqueuses. Comme si les désormais six garçons de Second
Floor avaient conscience de votre attente, le premier titre, une bouée à
laquelle on s'accroche, s'appelle "I need to believe". Un peu qu'on a
besoin d'y croire! Et puis? Et puis dès les premières notes vous avez la
sensation que SFO à croisé le chemin de Phil Spector. A coups de riffs, de
caresses blanches et noires, de baffes rythmiques et de suavité vocale s'édifie
entre vos oreilles le mur du son. C'est la tour Eiffel qui s'érige, c'est
l'obélisque qui surgit. Vous avez envie de toucher ces "Little
creatures", un titre qui commence avec la voix de Jorge, un sucre d'orge
qui va et vient entre les lèvres, une mélodie qui vous fait sautiller, une
rythmique qui se retient, un clavier qui frôle. Et d'un seul coup, alors que
vous pensiez finir le morceau en souplesse, Phil et Julien font déferler une vague de riffs qui vous découpent, vous décapitent, vous vrillent, vous dévastent pendant que la voix vous intime l'ordre "Go away!" mais quand bien même vous le voudriez, de ses baguettes magiques Nicolas vous renvoient dans les cordes de Chris. Manu est le seul qui vous offre ses touches de compassion. Épuisé mais heureux, une dernière salve de toms et cymbales vous achève et termine le boulot. Une seule envie flotte dans votre esprit encore chaviré "Again, bloody SFO!"
Vous avez l'irrépressible envie de leur crier "Hey guys, I'm still crazy about you!"
CONCERT LE 18 OCTOBRE 20H FRANQUEVILLE SAINT PIERRE
Toujours
le dos au mur, il reste dans le vague. Il sait qu’il devra partir, quitter cet
endroit. Il le fera demain matin. Il a à la fois envie d’oublier et de se
souvenir. L’idée lui vient d’écrire, de raconter. Ce serait bien sûr sa
version. Ce sera peut-être un moyen de mettre un point au bout de la ligne, de
consigner ce passage de sa vie et de le ranger ou de le détruire. Il se donne
jusqu’aux premières lueurs du prochain jour pour trouver les mots. Ce qu’il
aimerait, c’est que chaque souvenir une fois écrit quitte sa mémoire. Une sorte
de couper/coller, un transfert d’un disque dur à un autre.
Il pose
le portable sur ses genoux. Il regarde l’écran s’illuminer. Les lettres
blanches se détachent sur les touches. Le sablier s’agite. Ce sont des secondes
qui ne servent à rien. C’est à peine si elles existent. Il ne fait rien pour
les retenir. Elles disparaîtront. Peut-être qu’un jour, comme des petites
bulles, viendront-elles se mêler à l’air de la surface. Comment savoir ce qui
restera. Il est possible que chaque seconde passée soit stockée quelque part à
la disposition de son propriétaire. Il suffirait de demander pour qu’elle nous
revienne en mémoire. Il pourrait faire le tri dans toutes ces secondes et
offrir les plus belles à celle qu’il aime. Il se souvient de cette phrase
prononcée par un jésuite qui avait donné son temps « Tout ce qui n’est pas
donné est perdu ».
Il pose ses doigts sur les touches. « Je… ». Il
regarde les deux lettres. Il est peu de chose. Il n’a jamais rien écrit. Du
moins rien qui de près ou de loin pourrait être lui. Sans se l’avouer, il
aimerait donner un certain style à ce qu’il va tenter d’écrire. Il sourit comme
si il voulait se persuader qu’il n’est pas dupe de cette dérisoire ambition.
Doit-il débuter par ce « je ». Il est vrai que c’est sa version d’une
histoire. Pourtant, commencer ainsi ne lui ressemble pas. L’expression poser le
décor s’applique bien à lui, à sa vie. Avant de commencer, comme un oiseau construit
son nid, il a besoin de s’entourer de
mots quitte parfois à oublier ce qu’il doit déposer dans le nid. Il préfère les
caresses, des lèvres qui se posent sur une épaule, une main qui parcourt un
corps.
Il fait disparaître le j et le e.
Patient, le curseur clignote. Il connait l’histoire mais cherche les mots. Il
lui faut écrire ce qu’il n’a jamais dit. Comme toujours, il hésite. Les
histoires d’amour n’ont besoin de rien si ce n’est d’être vécu. Les mots sont
comme des bijoux de pacotille, des morceaux de rubans roses qui flottent dans
la niaiserie ambiante, des écorchures, des miroirs dans lesquels on ne
reconnait rien. Même si il sait qu’il lui suffira d’appuyer sur
« suppr » pour que tout disparaisse. « Le jour où nous nous
sommes rencontrés pour la première fois… »
Il se
souvient avoir lu que les étoiles en fin de vie se contractaient jusqu’à
devenir un point minuscule dans l’espace, concentraient leur énergie avant
d’exploser et de disparaître. Il se sentait ainsi, comme si toutes ses
terminaisons nerveuses, comme si les milliards de cellules dont il était composé, comme si sa mémoire, comme si son passé, comme si tous ses désirs rejoignaient seconde après seconde le
creux de cette main. Sa chair et son sang étaient attirés, comme aspirés en cet
endroit. Il n’était plus que ces quelques grammes à la merci de ces doigts
qu’il sentait. Ses veines lui donnaient l’impression de vibrer comme des
cordes. Il devinait son regard. Elle déposait ses lèvres sur sa peau. Leurs
chaleurs se mêlaient.
Il
ressentait parfois une peur. Cette peur de sombrer, de ne plus avoir prise.
C’était comme si, attiré, il pénétrait dans une pièce plongée dans le noir avec
la peur que la porte ne se referme dans son dos. Peut-être le devinait-elle.
Elle le guidait pas à pas, lui laissant jusqu’au dernier moment la possibilité
de repasser le seuil. Ces relents de morale, de conscience, quelque soit leur
origine, n’étaient jamais assez puissants pour qu’il renonce. Il vivait la puissance de l'instant. Il était un instant qui se prolongeait, se dilatait. Il n'existait pas d'instrument qui aurait pu mesurer l'intensité. Il disparaissait de la surface de la terre. Ce qui l'entravait semblait avoir désserré l'étau, ou avait peut-être même quitté son esprit. Il lui était arrivé de pleurer.
Il relève
la tête. Une tourterelle s’est posée sur le rebord de la fenêtre. D’un œil qui
semble sans expression, elle le fixe. Ses plumes varient du blanc au gris. Un
geste de la main, un mouvement et elle prendrait son envol. Il s’est souvent
demandé pourquoi les oiseaux décident de voler, de déployer leurs ailes pour
aller se poser ailleurs et recommencer ainsi à longueur de journée. Et puis un
jour, sans force, malades, incapables de prendre les airs, ils renoncent à tout
et se laissant mourir dans l’apparente indifférence de leurs congénères.
Elle posait ses mains sur le haut de ses cuisses. Il
s’imaginait en statue grecque dans le musée de sa muse, offert aux caresses et
aux promesses. Il fermait les yeux et rejetait la tête en arrière. Au plus
profond de son corps il sentait monter comme l’appréhension de succomber sur le
chemin qu’elle allait lui faire découvrir. Il sentait la première caresse de
cette main qui le parcourait, qui furetait, se glissait, se faufilait, le
découvrait, le fouillait, le frôlait, lui révélait ce qu’il n’avait jamais
soupçonné. De cette main, sur sa peau elle écrivait un poème que lui seul
pouvait lire.
C’est avec elle qu’il eut la sensation d’être un homme. Comme
une révélation de la puissance, une glorification de la virilité. Une attente
qu’il faisait tout pour satisfaire sans me sentir obligé. L’orgasme n’est pas
un long fleuve tranquille. On en sent parfois les premières ondes et, sans que
l’on sache pourquoi, il s’évanouit sans passer par la case souvenir. Il est
tout près, à portée de peau. On croit en sentir l'odeur Il repart là-bas,
s'échappe au loin. On se retrouve perdu en pleine mer sans savoir dans quelle
direction se trouve le rivage. Il cherchait le souvenir d’un orgasme
particulier, celui qui l’aurait fait mourir, ou presque. Celui qui fait
trembler, celui que l’on a senti venir, qui s’est formé comme une vague au
large, qui à la dernière seconde nous aurait presque fait peur, emportant et
remplissant les espaces, se précipitant par-dessus la digue. Cet orgasme qui se
perd au loin, que l’on entend gronder encore longtemps. Il en avait le souvenir
et du lieu où elle lui avait offert. Ce n’est pas le seul présent qu’elle lui
ait fait mais il avait eu l’impression de frôler quelque chose, d’avoir été
transporté le plus loin que l’on puisse l’être. Ralentissant, le battement de
mon cœur le ramenait là où tout avait commencé, à cet endroit d’où elle l’avait
propulsé. Comme si elle avait possédé le droit de vie ou de mort. Il était
revenu à la vie, cette vie paisible qui n’est qu’un répit que l’on voudrait
abréger pour retourner là-bas, au-delà du plus loin que l’on puisse
concevoir.
C'est avec hésitation que j'ai utilisé ce mot orgasme. Il a
ce côté technique, performance, magazine féminin qui éloigne la poésie,
le sentiment. J'aurais pu utiliser jouissance mais c'est un mot qui déborde et
dégouline, qui expose son impudeur.
Ils se parlaient peu. Peut-être la peur de perdre leur temps,
de faire croire que c'était presque. Ils n'avaient que l'envie de suggérer.
L'appréhension de se laisser emporter par les mots, d'en dire trop, de
brusquer, d'égratigner leur pudeur figeaient leurs lèvres. La fragilité des sentiments. Il aimait la regarder, s'imprégner de son visage quand elle dormait. Souvent lorsqu'ils voyageaient en voiture pour de longs trajets vers les vacances, elle finissait par s'endormir. Quand il s'en apercevait, il ralentissait pour pouvoir la regarder. Parfois il s'arrêtait sur le bas côté. Elle était à l'abandon. Il avait envie de la caresser, de s'immiscer entre ses lèvres entrouvertes. Il la prenait en photo sous tous les angles. Il n'en gardait jamais aucune, les effaçait après les avoir regardées. C'était comme si il avait volé ce qui ne lui appartenait pas, ce qui ne serait jamais à lui. Elle rêvait. Il se demande ce que deviennent les rêves que l'on a oubliés au réveil. Avec le temps,
c'était comme si il avait oublié que chaque fois pouvait être la dernière.
Le matin avance. Il finira par disparaître. Il ne parvient
pas à se lever. Comme pour quitter cet endroit, s'offrir un répit, il fixe les
nuages pour y découvrir des formes, d'autres paysages. Il discerne souvent les
contours d'animaux fantastiques, surgissant d'une mythologie inconnue. Ils
finissent par se déformer, puis disparaissent. Pris par la peur de ne plus rien
voir, d'être contraint de reprendre le cours de ses pensées, il cherche une
nouvelle forme, l'esquisse d'une création brumeuse qu'il laissera son imagination
compléter.
Ses yeux changent d’angle et se retrouvent dans cette pièce.
Au fond, dans un coin, une chaise. Il sourit. Ce n’est pas une chaise, mais la
chaise, qu'il préférait au lit. Ou plutôt, leur chaise, qui se balançait au gré de leur passion. Cette
envie avait germé alors qu’il regardait « L’ange bleu ». Lola-Lola
qui enfourchait une chaise, qui fascinait le professeur. Il prenait souvent
place le premier. Elle le regardait. Son regard, qu’il absorbait, plongeait
comme le premier signe d’une possession. Elle s’avançait et décidait. Il en
était toujours ainsi. Il se laissait aller, se livrait, s’offrait. Il avait
déjà remarqué qu’en faisant l’amour avec d’autres femmes, il lui arrivait de
penser à autre chose, de s‘évader. Parfois, lorsque son esprit réintégrait son corps
c’était pour constater que tout était fini. Mais avec elle il ne quittait
jamais les lieux. Le simple fait qu’elle puisse le voir tel qu’il était, était
pour lui une source de plaisir. Par petites touches elle lui avait appris à se
laisser aller, à abandonner en sa présence toute pudeur. Il était devenu fier
d’exposer sans retenue son corps, de laisser s’exprimer sa virilité. Quand elle
le regardait il se sentait beau, désirable. Elle était la seule à lui avoir
procuré cette sensation de légèreté, de liberté.