Il a toujours eu, et ce dès son plus
jeune âge, ce fantasme de l’amour courtois se nourrissant de poèmes, de regards
qui frôlent l’être aimé, de pensées secrètes. Sorte de lévitation qui mène à
cette frustration faite de douleur et de renoncement. C’est en ce sens que ce premier amour fut
peut-être le plus parfait, du moins de son point de vue. Il ne sait pas comment
a pris fin ce premier amour. Un déménagement, une lassitude,
un désintérêt unilatéral, l’usure du quotidien…Si l’on exclut les ruptures
brutales qui sont liées à un évènement conjoncturel, la fin d’un amour est
aussi mystérieuse que le début. Nous nous levons le matin et c’est en croisant
l’autre, terme un peu brutal, dans le couloir qui relie la chambre à la salle
de bain que nous aurions la révélation. Nous ne l’aimerions plus. C’est pourtant un matin comme beaucoup
d’autres. Nous l’aimions hier soir en éteignant la lumière et ce matin, c’est
fini. Notre amour aurait profité de la nuit pour s’enfuir, pour aller ailleurs.
Avec le soleil qui se lève, nous n’aimerions plus personne. Nous ne le
désirerions plus. Nous ne lui trouverions plus aucun charme. Nous irions
jusqu’à nous demander comment nous avons pu l’autoriser à nous toucher. Mais
nous sommes allés jusqu’à la salle de bain l’air de rien. Nous avons refermé la
porte. Nous nous sommes assis sur le tabouret près du lavabo. Tout en regardant
goutter le robinet nous n’avons pensé à rien, sidérés que nous sommes. L’amour
serait un tas de sable. Nous irions je ne sais où, au loin, là-bas, hors de
vue, chercher grain par grain de quoi le faire grandir. Et puis, peut-être
fatigué, inattentif nous laisserions le vent éroder notre construction. Bien sûr que non, ce n'est pas ça. Les mots ne sont jamais que des synonymes. Nous nous obstinons à choisir des mots. Nous parvenons parfois presque à le décrire. Je ne parviens pas à concevoir que d'un amour il ne puisse rien rester si ce n'est des souvenirs. L'amour se fige dans les souvenirs.
« Et puis, je ne sais pas.
Marlène a disparu. Peut-être ai-je tenté de la garder en moi malgré son
absence. Le temps a joué son rôle de pierre ponce. Son visage s’est estompé
pour finir par disparaître. Je ne lui ai jamais parlé. Je ne l’ai jamais
touchée. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir approchée. Elle n’a pourtant jamais
été un simple souvenir. Je ne pense pas tous les jours à Marlène mais son prénom
est une boîte qui est toujours presque vide. Je crois que c’est avec elle
qu’est née mon ambition d’être poète. A défaut de savoir écrire, mon esprit
l’était. Sans être capable de l’identifier, je savais qu’il y avait quelque
chose au fond de moi qu’un jour il faudrait que j’aille chercher. »
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