vendredi 5 octobre 2012

A autre chose (9)

Toujours le dos au mur, il reste dans le vague. Il sait qu’il devra partir, quitter cet endroit. Il le fera demain matin. Il a à la fois envie d’oublier et de se souvenir. L’idée lui vient d’écrire, de raconter. Ce serait bien sûr sa version. Ce sera peut-être un moyen de mettre un point au bout de la ligne, de consigner ce passage de sa vie et de le ranger ou de le détruire. Il se donne jusqu’aux premières lueurs du prochain jour pour trouver les mots. Ce qu’il aimerait, c’est que chaque souvenir une fois écrit quitte sa mémoire. Une sorte de couper/coller, un transfert d’un disque dur à un autre.
Il pose le portable sur ses genoux. Il regarde l’écran s’illuminer. Les lettres blanches se détachent sur les touches. Le sablier s’agite. Ce sont des secondes qui ne servent à rien. C’est à peine si elles existent. Il ne fait rien pour les retenir. Elles disparaîtront. Peut-être qu’un jour, comme des petites bulles, viendront-elles se mêler à l’air de la surface. Comment savoir ce qui restera. Il est possible que chaque seconde passée soit stockée quelque part à la disposition de son propriétaire. Il suffirait de demander pour qu’elle nous revienne en mémoire. Il pourrait faire le tri dans toutes ces secondes et offrir les plus belles à celle qu’il aime. Il se souvient de cette phrase prononcée par un jésuite qui avait donné son temps « Tout ce qui n’est pas donné est perdu ».
Il pose ses doigts sur les touches. « Je… ». Il regarde les deux lettres. Il est peu de chose. Il n’a jamais rien écrit. Du moins rien qui de près ou de loin pourrait être lui. Sans se l’avouer, il aimerait donner un certain style à ce qu’il va tenter d’écrire. Il sourit comme si il voulait se persuader qu’il n’est pas dupe de cette dérisoire ambition. Doit-il débuter par ce « je ». Il est vrai que c’est sa version d’une histoire. Pourtant, commencer ainsi ne lui ressemble pas. L’expression poser le décor s’applique bien à lui, à sa vie. Avant de commencer, comme un oiseau construit son nid,  il a besoin de s’entourer de mots quitte parfois à oublier ce qu’il doit déposer dans le nid. Il préfère les caresses, des lèvres qui se posent sur une épaule, une main qui parcourt un corps.
Il fait disparaître le j et le e. Patient, le curseur clignote. Il connait l’histoire mais cherche les mots. Il lui faut écrire ce qu’il n’a jamais dit. Comme toujours, il hésite. Les histoires d’amour n’ont besoin de rien si ce n’est d’être vécu. Les mots sont comme des bijoux de pacotille, des morceaux de rubans roses qui flottent dans la niaiserie ambiante, des écorchures, des miroirs dans lesquels on ne reconnait rien. Même si il sait qu’il lui suffira d’appuyer sur « suppr » pour que tout disparaisse. « Le jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois… »

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