dimanche 31 juillet 2016
Si loin
C’était
un matin. Un matin de vacances. Un matin déjà bien avancé. Un matin qui allait bientôt disparaître dans les douze coups de midi. Douze coups de midi... A l'origine j'avais marché jusqu'au front de mer pour m'informer de l'état de l'océan. Pour être plus précis, je souhaitais savoir si des vagues il y avait. Constatant leur absence, par déception ou histoire de ne pas m'être déplacé pour rien, muni de ma serviette, je pris place sur un banc. De là, je pouvais regarder la mer et son horizon ainsi que les estivants se baguenaudant sur la promenade surplombant la plage. J'étais dans la position du voyeur. Le voyeur en tout bien tout honneur. Le voyeur du tout venant. Regarder passer. Le regard qui s'accroche à toutes sortes de détails. Détails physiques, vestimentaires et autres dont le qualificatif m'échappe. Tout à ma tentative de classification anthropologique de la faune fréquentant les abords océaniques, mon regard fut attiré par une jeune femme dont l'aspect général laissait deviner qu'elle n'avait pas l'intention de se mettre du sable entre les doigts de pied. Vêtue d'un téléphone et d'une jupe sensible aux variations du vent, elle me tournait le dos. Je ne pense pas que son attitude traduisait une quelconque position à mon égard. Elle ondulait imperceptiblement d'un pied sur l'autre face à la mer qu'elle semblait ignorer. Je compris un peu plus tard que l'impatience teinté d'un certain agacement était à l'origine de ce balancement corporel. Elle était dans l'attente de quelqu'un, qu'elle essayait de le joindre au téléphone mais ce quelqu'un qui n'avait manifestement pas l'intention de lui répondre. Après quelques tentatives qui la laissèrent dépitée, me tournant toujours le dos avec constance, elle s'accouda à une colonne de grès rose qui marquait l'entrée de la plage. Compte tenu de la taille modeste de la colonne, la position adoptée provoquait la cambrure de son dos. Cette cambrure marquée rehaussait les formes arrondies qui prolongeaient son dos. Et là, comme si le temps avait ralenti son cours, l'allure des promeneurs se fit plus lente, leur regard fixé à mi hauteur devint furtif. Sur leur visage, se lisaient la gêne d'être tenté, la surprise, le désir et pour finir la frustration. Pour ce qui me concerne, mon regard était fixe, dissimulé derrière des lunettes de soleil. J'attendais qu'elle se retourne pour découvrir son visage. Cette attente était distraite par le vent qui tentait de transformer sa jupe en montgolfière. Le tissu se gonflait, prenait la forme d'une large corolle en laissant deviner l'inconnu. Mais à chaque fois, prise d'une prude timidité, la brise renonçait, laissant à nouveau la jupe retomber et caresser l'inconnue. Son téléphone dans la main, elle continuait de regarder au loin.
vendredi 29 juillet 2016
Quand même
Dépité d'avoir perdu l'être. As-tu tête? Jamais plus. Tu ne me plais plus. Je me démène quand même quand tu m'aimes. Ce qui n'a plus de sens s'écoule. Sang d'hier. Dans l'horreur de ma dernière heure, je pleure. Dans la douleur, tu me quittes épique. J'étripe le cœur de mon amour. Et coulent les vaisseaux monstrueux.
mercredi 27 juillet 2016
Quitte à rester
"La lassitude de l'habitude. Elle marchait dans les rayons poussiéreux de la lumière d'hier. Les sentiments se détachaient emportés par la fatigue. Les lueurs de l'heure allaient lui parvenir. Elles précipiteraient la disparition. A cet instant qui s'étire. Jusqu'aux ombres qui se dissimulent dans les incertitudes de l'horizon. Son pas, d'abord emprunté, s'élançait. On aurait pu deviner un sourire." Et alors il s'éveillait. Chaque matin, il en était ainsi. Frustré de ne savoir à qui elle allait sourire. Il aurait tellement aimé que ce soit à lui. Sans en être certain, il avait l'impression de la connaître. Mais elle échappait à chaque fois à sa mémoire. L'illusion d'une caresse. Une nuit certainement...
mardi 26 juillet 2016
L'ombre
T'ai-je assez aimé? Blessée dans le jour indifférent. Depuis si longtemps. Qu'ai-je oublié? Que reste-t-il? Le hasard s'enroule et passe. Quand les êtres se détachent. Écoute l'aveuglement. Notre souffle d'autant. Tu aspires. Tu t'éveilles. Que vois-tu?
jeudi 14 juillet 2016
Vain
Quelle est-elle? Ce temps existe-t-il encore? Perdu dans l'éparpillement. Le relief s'éloigne des souvenirs. Le sens des baisers. Pourquoi n'en avoir rien gardé?
lundi 4 juillet 2016
Exactement
Ce matin dans le bus. Au début, rien de particulier. Dans
les oreilles, les journaux matinaux. Une attention volatile encouragée par des
yeux dans le vague. Sur la droite, une jeune fille que je devine blonde. Sur la gauche, comme un refrain lancinant,
des nuages gorgés de promesses pluvieuses qui suscitent une indifférence
résignée. Une journée sur le point de commencer et dont je devine la fin.
Retour dans le sens inverse.
Et pourtant. Et pourtant, sans crier gare, sur la gauche,
hasard dû à l’orientation des sièges, entre deux bourgeonnements grisonnants,
apparaît le soleil. C’est lui. Aucun doute, je l’ai reconnu. Pas de quoi
m’éblouir mais il est là. Proche. Tout proche. Une légère chaleur sur le peu de
peau encore exposé. Même s’il disparaît après quelques secondes, je suis
rassuré. Je sais qu’il est là. Bientôt, je serai sous le soleil exactement.
vendredi 1 juillet 2016
Compliment pour deux départs
Au tout début, comme qui dirait au
commencement j’avais prévu d’écrire un poème où Nicole aurait rimé avec rock’n
roll, ras le bol, bagnole, frivole, torgnole et où Laurent aurait rimé avec je
fous le camp, plein le cul de Rouen-Caen et puis, comme souvent, j’ai renoncé.
Ensuite, je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis dit que je pourrais écrire
un truc rigolo sur la fusion, sur la réunification mais avant même d’écrire le
premier mot, je me suis mis à pleurer.
J’aurais également pu relater votre
vie professionnelle. Mais qui s’en soucie ici ? Personne. Qui sait même
qui vous êtes ? Après la fusion, nous avons disparu dans la confusion,
dans un environnement parsemé de tables rases. Passé et présent se sont
évanouis dans les cellules d’un immense tableau qui donne à lire la sécheresse
d’un avenir qui nous éloigne les uns des autres.
Incrédules, vous avez ingurgité
jusqu’à la nausée les plans, les objectifs, les axes de progrès, les
indicateurs, les abus de langage et de pouvoir. De vos yeux étonnés, vous avez
vu s’installer la virtualité numérique qui nous rapproche de la solitude. La
chaleur humaine a fait place à la froideur de l’avatar. Je vous sens heureux de
partir. Pour une fois, vous pouvez en être reconnaissant à votre employeur de vous
apporter cette satisfaction.
Et d’un seul coup, l’évidence m’a
sauté aux yeux. C’est aujourd’hui votre
dernier jour et comme me l’a confié Fabrice, on va mettre les deux momies dans
le sarcophage. Le mot « dernier » a fini par s’imposer. Le dernier a
ceci de particulier, contrairement au premier, que l’on ne sait pas toujours
que c’est le dernier. Si l’on prend l’exemple du dernier souffle, par manque de
temps, l’on n’en prend pas conscience. Seuls ceux qui continuent à respirer
constatent que c’était pour nous le dernier. Pour toi Laurent, auras-tu conscience de ta
dernière érection exploitable ? Doté d’un sens aigu de la délicatesse et
de la retenue, pour toi Nicole, je n’ai
pas cherché le pendant féminin de cette particularité masculine. La vie est
parsemée de ces dernières fois qui deviennent de plus en plus nombreuses avec le temps qui semble se
précipiter.
Cette ignorance de la dernière fois
peut être source de regret, de nostalgie, de cette prise de conscience de
l’inéluctable qui nous projette dans l’inconnu de l’après. Alors, pour éviter
de se perdre dans le passé, d’utiliser son temps à préparer demain, vivons
comme si aujourd’hui n’était fait que de dernières fois, derniers désirs,
derniers plaisir à consommer tout de suite et sans modération dans ce présent qui,
souriant et accueillant, et souvent en vain, nous tend les bras.
Votre dernière heure est donc
venue. Alors quel qu’ait pu être votre passé dans cette maison, profitez de ce
dernier présent parmi nous. Plutôt que de se préoccuper de l’avenir, laissez demain
devenir aujourd’hui pour le vivre.
VIVEZ.
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