Au tout début, comme qui dirait au
commencement j’avais prévu d’écrire un poème où Nicole aurait rimé avec rock’n
roll, ras le bol, bagnole, frivole, torgnole et où Laurent aurait rimé avec je
fous le camp, plein le cul de Rouen-Caen et puis, comme souvent, j’ai renoncé.
Ensuite, je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis dit que je pourrais écrire
un truc rigolo sur la fusion, sur la réunification mais avant même d’écrire le
premier mot, je me suis mis à pleurer.
J’aurais également pu relater votre
vie professionnelle. Mais qui s’en soucie ici ? Personne. Qui sait même
qui vous êtes ? Après la fusion, nous avons disparu dans la confusion,
dans un environnement parsemé de tables rases. Passé et présent se sont
évanouis dans les cellules d’un immense tableau qui donne à lire la sécheresse
d’un avenir qui nous éloigne les uns des autres.
Incrédules, vous avez ingurgité
jusqu’à la nausée les plans, les objectifs, les axes de progrès, les
indicateurs, les abus de langage et de pouvoir. De vos yeux étonnés, vous avez
vu s’installer la virtualité numérique qui nous rapproche de la solitude. La
chaleur humaine a fait place à la froideur de l’avatar. Je vous sens heureux de
partir. Pour une fois, vous pouvez en être reconnaissant à votre employeur de vous
apporter cette satisfaction.
Et d’un seul coup, l’évidence m’a
sauté aux yeux. C’est aujourd’hui votre
dernier jour et comme me l’a confié Fabrice, on va mettre les deux momies dans
le sarcophage. Le mot « dernier » a fini par s’imposer. Le dernier a
ceci de particulier, contrairement au premier, que l’on ne sait pas toujours
que c’est le dernier. Si l’on prend l’exemple du dernier souffle, par manque de
temps, l’on n’en prend pas conscience. Seuls ceux qui continuent à respirer
constatent que c’était pour nous le dernier. Pour toi Laurent, auras-tu conscience de ta
dernière érection exploitable ? Doté d’un sens aigu de la délicatesse et
de la retenue, pour toi Nicole, je n’ai
pas cherché le pendant féminin de cette particularité masculine. La vie est
parsemée de ces dernières fois qui deviennent de plus en plus nombreuses avec le temps qui semble se
précipiter.
Cette ignorance de la dernière fois
peut être source de regret, de nostalgie, de cette prise de conscience de
l’inéluctable qui nous projette dans l’inconnu de l’après. Alors, pour éviter
de se perdre dans le passé, d’utiliser son temps à préparer demain, vivons
comme si aujourd’hui n’était fait que de dernières fois, derniers désirs,
derniers plaisir à consommer tout de suite et sans modération dans ce présent qui,
souriant et accueillant, et souvent en vain, nous tend les bras.
Votre dernière heure est donc
venue. Alors quel qu’ait pu être votre passé dans cette maison, profitez de ce
dernier présent parmi nous. Plutôt que de se préoccuper de l’avenir, laissez demain
devenir aujourd’hui pour le vivre.
VIVEZ.
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