mercredi 30 septembre 2015

Peu importe

Proche de l'infime abîme, l'infini de la profondeur se reflète dans ton sourire. Le souffle se perd dans les flots. Je me noie dans la lumière du matin.

mardi 29 septembre 2015

Les revenants

Ce sont des revenants, non parce qu'ils seraient partis, ne serait-ce que quelques secondes, mais parce qu'ils me font peur. Je n'aime pas avoir peur et je n'aime pas que l'on me fasse peur. Pourtant, s'ils parviennent à me faire peur c'est que je demeure attentif, que je suis conscient du danger, que les mots et les phrases qu'ils forment ont un sens. L'effet des mots se propage au-delà de l'instant où ils sont prononcés. Parler de race blanche, des millions d'immigrés qui attendraient l'instant propice pour débarquer sur nos belles plages et nous envahir n'a pas pour objet d'alimenter un quelconque débat ou de nous faire réfléchir ou d'en appeler à notre humanité.  Ces mots qui propagent la haine, qui entretiennent la peur, qui confortent l'ignorance nous insultent et sont une insulte aux valeurs que nous partageons et qui nous permettent de vivre ensemble. La fraternité, la solidarité, l’empathie, le partage, la générosité et bien d'autres encore. Ces propos tenus par des républicains autoproclamés me salissent, me souillent, me rabaissent.
« Mais pourtant les Français se reconnaissent dans ce discours de vérité qui est tenu par le Front national »
La prochaine fois je décortiquerai cette phrase.

lundi 28 septembre 2015

Tracer

Ce matin j'attendais que le thé avec patience infuse. Je profitais encore de l'élan des rêves. C'est un moment vide, qui n'est pas relié. Du temps dont on ne fait pas grand chose. Du moins pour ce qui me concerne. Je regardais le pot de miel dont le contenu est un des éléments essentiels de ce début de journée. Comme chaque matin, je lisais les mots blancs qui indiquent son nom, son origine et le patronyme du producteur ainsi que son adresse. Je ne sais pas si c'est l'instant Alzheimer ou poisson rouge mais chaque fois j'ai l'impression de lire ces indications pour la première fois. Aussitôt lu, j'oublie.
L'infusion ayant eu lieu, je me saisis du dit pot de miel. Et se produit ce que je ne supporte pas, à savoir que mes doigts entrent en contact avec le miel. Sensation désagréable et poisseuse. Si l'on prend le temps d'y réfléchir, nous sommes tous d'accord pour dire que le miel doit rester dans son pot jusqu'au moment où nous en avons besoin. Sinon, sinon si l'on n'y prend garde, il finit par y en avoir partout. Et là, le miel appelant le miel, on en retrouve sur la table, sur l'étagère et c'est l'envahissement. Pour ce qui me concerne, le miel n'a d'autre utilité que de sucrer mon thé. Il en va de même pour la confiture. Si l'on n'est pas vigilant, tout finit par se mélanger et on ne sait plus quoi est quoi.

Tracer

Exil. Comme des îles à dérive sur les rives qui décrivent avec les mots salés. Ils échouent sur l'inlassable sable. Décrire les cris. Et que dit-on sur les estrades érigées, minarets qui répandent l'ignorance et la haine, la peur et le mépris? Ils sont de millions dans l'ombre prêts à fondre, péril informe et hirsute qui ravage les rivages. 

mardi 22 septembre 2015

Tracer

Après avoir été un temps poreuses, les frontières redeviennent peureuses. Elles se hérissent. Elles se murent, se recroquevillent. Elles étaient des bras ouverts, des promesses, un sourire, un trait d'union, des échanges. Elles sont devenues des images. Des images brutes de brutalité, de rejet. Des lieux entre deux d'où aurait été exclue l'humanité, où s'exerce une violence sur des corps fatigués de coups, fatigués de tout, écrasés par le présent. Le désespoir qui lutte pour une place dans un train est photogénique. La misère est envahissante. Elle menace, elle déferle, elle se rue, elle piétine, elle s'entasse, elle se répand, elle est prête à tout.

vendredi 18 septembre 2015

Discours anniversaire

Avant d'entrer dans le vif du sujet, par le truchement de ce propos liminaire, je me dois de préciser,  par respect de celle à qui je vais m'adresser et de ceux que je vais citer tout au long de ce texte que mes propos sont pour 95% d'entre eux sans fondement, issus de mon imagination. 

Claire, si tu me permets de t'appeler Claire, comme le disait un œuf de mes amis, avec qui depuis je me suis brouillé, même parfumée au mimosa, la vie est dure. En cette période de confusion, où l'expression " l'un dans l'autre" le cède à la polymorphie, nous avons besoin de repères, d'un retour aux valeurs, ces valeurs qui ont fondé notre civilisation. Nous avons besoin de ces lumières qui nous tiennent éloignées des ténèbres, de ces phares qui nous préservent des écueils de l'outrance, de la suffisance, du mépris, de l'indifférence et de l'ignorance. Et bien Claire, tu es l'un de ces phares qui jour après jour nous prodiguent sa lumière  pour que nos nuits ne sombrent pas dans l'ombre de nos solitudes. Voilà ce que l'on appelle une introduction en douceur et qui me semblait-il te correspondait bien. Pour le confirmer je l'ai soumise à une de tes amies anglo-saxonnes dont je tairai le nom, qui m'a fait remarquer que tu étais plutôt un phare que l'on aurait oublié d'allumer.

 Pour autant, cela n'a pas été simple. Pour tout te dire, confronté à la feuille blanche, j'ai longtemps hésité. Cette feuille était-elle réellement blanche? Ne t'avais-je pas déjà croquée par le passé, mise noir sur blanc, mise en mots, mise en bouche à l'occasion d'une autre dizaine? Ceci dit c'est aujourd'hui qu'enfin tu parviens non sans mal (vous reviendra à l'esprit, pour ceux qui en ont un, toute l'acuité rétrospective de cette expression "non sans mal"), à fêter ton anniversaire. Cet élément qui pourrait paraître anecdotique est on ne peut plus révélateur de ton moi profond (vous reviendra à l'esprit, pour ceux qui en ont un, toute l'acuité rétrospective de cette expression "ton moi profond"). De façon tout à fait exceptionnelle, j'ai donc été chargé de rédiger un discours en ton honneur. Mais pourquoi moi, car, comme aime à le dire Bertrand, émigré de la quatrième génération, hobereau et potentat local tendance Roundup, vouant un culte à la PAC plutôt qu'à la résurrection du Christ  "C'est incroyable qu'on laisse encore ce gars qui se croit drôle faire le pitre sur une estrade". J'ai fini par comprendre pourquoi j'avais été choisi quand je suis allé voir tes sœurs et frères pour leur demander ce qu'ils souhaitaient que je te dise en leur nom et qu'ils m'ont répondu "Bah euh, rien, je sais pas". Il est certainement des sentiments que les mots ne sauraient traduire.

 Tu es donc la benjamine de quatre sœurs et à ce titre tes proches étaient légitimement en droit d'attendre que tu sois la quintessence de la série, l'archétype d'une perfection au féminin, soit rurale mais au moins débarrassée des scories qui caractérisent les progénitures terriennes. Mais comme me l'a dit Michel ton beau-frère, tu aurais plutôt les caractéristiques d'une fin de série, ce qui en soit est un défi à la génétique. 
Quoi qu'il en soit, chacun sait que tu fêtes tes 50 ans avec quelques années de retard, ceci pouvant expliquer cela. Mais comme me l'a dit Marie, ta sœur ainée, les années sont comme des cadavres jetés dans les eaux boueuses de la honte, elles finissent par revenir à la surface qu'elles rident à souhait.


Quoi qu'il en soit je ne vais pas ici relater par le menu, ce que tu ne fus pas toujours, ta vie, ton œuvre. Non que cela me prendrait beaucoup de temps mais il n'est pas dans mes intentions de m’immiscer trop avant dans ton intimité. D'une part, par respect pour ceux qui eux s'y sont immiscés et, d'autre part, parce que comme le dit Jamal, que l'on surnomme Quota, ce qui, lors de soirées comme celle-ci, nous permet de dire que nous avons notre quota, donc comme le dit Jamal qui fréquente assidument la paysanne cauchoise, l'intimité, quoi qu'on fasse c'est jamais bien net. A propos d'intimité, pour donner un semblant de cohérence à ton existence, il me fallait en trouver le fil rouge. Après avoir longuement cherché, j'ai trouvé en me souvenant de ce que m'avait dit un gynécologue de mes amis lors de l'examen prémenstruel d'une adolescente que son père aimait très tendrement. Tout en farfouillant, l'air très pénétré il m'affirma "La vie est une perte." Autant sur le moment cette assertion ne me sembla pas couler de source autant, après réflexion, j'ai trouvé qu'elle s'appliquait pile poil à ta vie. 

Je me suis donc retourné sur notre vie commune. Non que nous ayons jamais partagé la même couche, ou je ne m'en souviens plus, mais nos vies se sont croisées à de très nombreuses reprises pour finir par s'entremêler inextricablement, car chacun sait, au-delà même des frontières du Vexin pouilleux, que se marier avec une ou un Lamble implique que l'on va se coltiner toute la famille, partout, en toute circonstance, famille au sens large puisque, après avoir fait preuve d'un semblant de retenue, la cousine et le cousin ainsi que leur progéniture, originaires de ce Nord lointain, ont fini par s'agréger au noyau originel. Malgré tout, j'ai cherché à découvrir ce que contenaient ces années au cours desquelles je ne t'ai pas pratiquée. J'ai pour ce faire exhumé quelques photos que par respect je n'exhiberai pas mais qui, comme me le faisait remarquer Agnès, montre que tu ne ressemblais à rien, ou à tout le moins à rien de connu. Tu as longtemps été une hésitation. Mais, comme me l'a confié Alain, ton frère ainé, tes parents ayant en mémoire l'histoire du vilain petit canard, gardèrent plus que de raison espoir. Alors qu'aujourd'hui rien ne semble devoir échapper à la frénésie d'immortalisation photographique, de ton temps la parcimonie était une règle de conduite, je n'ai ainsi retrouvé que peu d'éléments argentiques. Je me suis donc appuyé sur le témoignage de quelques croquants locaux pour reconstituer ta prime jeunesse. C'est ainsi que j'ai eu connaissance de ta première perte. Peut-être n'est-ce qu'une légende campagnarde mais il semble que c'est dans cette grange même, et plus précisément entre deux ballots de paille et une vieille suceuse d'occasion, qu'une fin d'après-midi d'été, ce moment de la journée où les odeurs exacerbent les désirs et libèrent les instincts, que tu perdis ta virginité. C'était une bonne chose de faite, même si le consentement n'a pas été formellement établi. Pour qu'il n'y ait pas d’ambiguïté, ce n'est que quelque temps plus tard que je vais faire ta connaissance. Pour tout dire, je t'ai connue tu étais grosse comme ça. Au moins en cela étais-tu fidèle à la tradition familiale. Mis à part ce détail physique, rien en toi ne retint mon attention.

 Ensuite va s'ouvrir une période pour le moins chaotique de ta vie au cours de laquelle tu vas perdre le sens des valeurs, ces valeurs féminines qui sont le fondement de la famille telles la soumission, l'obéissance, la modestie, la fierté de la belle ouvrage, le respect de l'autorité des aînés et enfin l'infaillibilité de notre saint Père le pape.Tu va ainsi devenir la Dany la rousse du Mesnil, la Louise Michel de Bézu, t'éloignant un peu plus de "la terre qui elle ne ment pas" comme a pu l'écrire le regretté Emmanuel Berl. Tu fréquenteras une cellule révolutionnaire implantée à Bézu Saint Eloi au sein de laquelle évoluait le célèbre et vénéneux Corlosquet, plus connu dans le milieu sous le pseudo de Kerlos Quéquette, je vous laisse deviner pourquoi.  Compte tenu du conservatisme ambiant tu passas aisément pour une rebelle. Je passe sous silence ces soirées fumeuses baignant dans le stupre qui te voyaient échouer au bowling de Cergy où les quilles aux formes arrondies étaient autant d'invitation à une luxure débridée. Rien qu'une classique crise de l'adolescence va-t-on penser, cette période où l'on est contre, rétif, incompris, transi, à fleur de peau, révolté, boutonneux et surtout con. Mais pour ce qui te concerne, cette crise se prolongera bien au-delà de l’adolescence pour finir... Pour tout dire, on ne sait pas trop. Tu es un volcan qui nous gratifie régulièrement d'une éruption. Comme le dit Michel, ton beauf, la mère Claire, elle est bien gentille avec sa veuve et son orphelin mais elle nous emmerde. Sur le principe nous ne sommes pas contre la sollicitude si elle est empreinte d'une certaine retenue et d'une discrétion de bon aloi. Et puis pour reprendre une célèbre phrase, tu n'as pas le monopole du cœur. Voilà comment tu eus à déplorer plusieurs pertes. Perte de temps, perte du sens commun, perte de vue, pertes et fracas.

Il est pourtant un domaine où pendant longtemps tu réussis à compenser pertes et profits. Celui du poids. Tu fis tellement de régimes que ton frère Emmanuel , on reconnaîtra là toute la finesse de l'humour terrien, a fini par t'appeler la banane. Il ne se passait pas une semaine sans que tu nous demandes, le regard plein d'espoir, "Tu trouves pas que j'ai maigri?". Que pouvions-nous répondre. Pour toi un oui te rendait si heureuse et pour nous un petit mensonge était sans conséquence. Non sans mal, tu tentais de donner forme à ton corps, de le faire ressembler à quelque chose qui puisse faire naître le désir, car sans mâle tu l'étais, déplorant que personne ne veuille s'intéresser de plus près à ton moi profond. Car si tu cherchais à être bien dans ton corps tu aurais aussi aimé qu'ils soient également plus nombreux à  s'y sentir bien.

 J'aborde là le délicat sujet de ta vie sexuelle. Si j'en parle si librement c'est que tu n'en fais pas mystère. Il faut dire que, même si ce fut sur le tard, tu commences à posséder un tableau de chasse bien garni sans que je puisse juger de la qualité du gibier. Cette quête effrénée de chair prouve qu'il te reste quelques livres à lire. Quoi qu'il en soit, nous ne saurions dire s'il s'agit des effets d'un épanouissement tardif, mais il semble que tu sois devenue une attractive girl et comme me l'a dit Cathy, une de tes charmantes et attentionnées belles-sœurs, il est bien rare qu'il n'y ait pas au moins une baguette dans le fournil. Je crois me souvenir que c'est à cette occasion, que ton autre charmante et attentionnée belle-sœur, j'ai nommé Christel, répondit, alors que je lui demandais de te caractériser en une phrase, que tu es au sexe ce que la levure est à la pâte. Mais surtout, n'allez pas, comme Bertrand, en conclure un peu hâtivement que Claire est une salope. Car Claire, si tu me permets encore de t'appeler Claire, tu as simplement compris que l'on n'a qu'une vie et qu'il sera trop tard bien assez tôt.

Pour me faire pardonner de t'avoir un tantinet culbutée, c'est avec plaisir que je vais relire ce texte à rimes qu'en son temps je t'ai lu.
  
Claire

Quand je t'ai connu petite et pas peu fière
Vive et piquante dans le profil d'un fil de fer
Peut-être la jolie môme et son pull de Ferré
Courant dans la cour pour dire adieu à l'hiver
Tu n'avais alors dans le regard qu'une prière
Que ta vie soit peuplée d'aujourd'hui et non d'hier
Et tu allais dévaler, arpenter, te confronter à la morale de fer
Jusqu'à plonger dans ta destinée fraîche et claire
Comme nous entraîne vers nos rêves l'eau de la rivière
Bien sûr tu laisses ton temps couler sur les berges pour atténuer la misère
Et pendant ces jours qui se traînent et où tout leur semblent amer
Tu écoutes, tu parles, tu regardes, tu ris pour que le bonheur ne soit pas qu'un éclair
Bien sûr il arrive que fragile se casse le verre
Et pour un peu de chaleur ne reste plus qu'à entourer et se taire
Alors s'il nous arrive de nous agacer sans en avoir l'air
Sache que comme les gouttes de tendresse reviennent à la mer
Chaque instant, chaque geste, chaque pensée de ta vie nous est cher    
Cela fait un certain temps que tu es sur terre
Serait-ce pour cela que tu es terre à terre
Même si tu sais comme une ritournelle t'envoyer dans les airs
Pour retrouver sans cesse l'amour et te sentir légère
Et quand on y est que peut-on faire sur cette Terre
Si ce n'est s'aimer comme des sœurs et des frères
Et encore plus puisque c'est ton anniversaire









 

mercredi 16 septembre 2015

Tracer

Je me souviens de la carte de la France placée à la gauche du tableau. D'un côté le bleu des mers et de l'océan et de l'autre un gros trait noir qui descendait comme un rempart qui nous séparait des autres pays dont on ne voyait que des bouts. Les couleurs étaient douces. Immuable, figé et rassurant. Parfois, de son estrade, la main prolongée d'une baguette, le maître nous désignait les pays qui nous entouraient. On n'en voyait que des bouts qui s'encastraient parfaitement. Je ne retenais rien.Je savais qu'au cas où, il nous restait le large comme nous quittions la classe pour rejoindre la cour où des groupes se formaient. C'était comme une constellation sur bitume. Des amas, des planètes constituées de filles ou de garçons. La cour était divisée en territoires qui ne se recoupaient pas. D'invisibles lignes que l'on ne franchissait pas.

samedi 12 septembre 2015

J'aurais pas cru

L'autre matin, je patientais dans la cuisine attendant que le thé soit moins fumant. La radio était allumée mais je n'y prêtais pas attention. Ne rien penser mobilisait toutes mes ressources. Je me contentais de regarder ce qui m'entourait. Tous ces objets que l'on trouve habituellement en un tel lieu. Comme l'a dit Boris Vian, un frigidaire, un atomixaire, une cuisinière avec un four en verre, des tas de couverts et des pelle à gâteaux et tout ce qui se cache dans les tiroirs et les placards. Et une table sur laquelle reposaient mes coudes. La confiture, le beurre, des fruits pour faire joli, des bols. Je ne sais par quel cheminement, je me suis demandé combien de petits déjeuners j'avais pu prendre dans cette cuisine. Par un calcul qui n'avait rien de savant, j'en suis arrivé au nombre de huit mille. Je me suis ensuite demandé combien de temps cela avait-il bien pu me prendre. A l'aide de multiplications et de divisions j'ai obtenu 2666 heures soit 111 jours. Ce qui m'a épaté, c'est que j'ai pu m'assoir huit mille fois à la même place et d'être incapable de me souvenir d'un petit déjeuner en particulier. Ma mémoire n'a rien retenu alors qu'il est communément admis que c'est le moment le plus important de la journée. Peut-être parce que je suis toujours seul face à mon bol. Que peut-on retenir de la solitude matinale?

jeudi 10 septembre 2015

Tracer

La frontière. Jusqu'ici c'était un ensemble de traits sur une carte. Des traits qui serpentaient. D'autres tirés à la règle. Selon des règles coloniales, géographiques, culturelles, hasardeuses. Comme un puzzle. Je me souviens des cartes muettes qu'il fallait compléter, qui me laissaient sans voix. Écrire des noms de pays dans ses frontières. J'ai longtemps cru que les pays étaient prisonniers ou respectueux de leurs frontières. Il peuvent les repousser, les abolir, les ignorer et même les violer. Violer une frontière. Ça consiste en quoi, violer une frontière? Passer en force. Faire fi de l'intégrité. C'est s'affranchir du respect de l'autre pour l'asservir ou plus radicalement pour le faire disparaître. Et pourtant, quoi que l'on fasse, on finit par se rétablir, par être rétabli dans ses frontières. Parfois, peu sûr de soi, peureux, paranoïaque, étriqué, on double la frontière d'un mur. Un mur pour ne pas voir. Pour ne pas voir l'autre, pour ne pas voir la vie, pour étouffer son souffle. Un mur qui serpente et s'enroule autour de la liberté pour la broyer. Mais rien n'est jamais définitif, ni l'oppression ni la souffrance. Il suffit parfois d'un peu de musique pour que le mur s'écroule. Il arrive que les frontières frémissent, qu'elles soient emportées par une irrépressible envie de liberté. La frontière devient nomade, voire hésitante. Elle se reforme ailleurs. Plus loin, plus près de notre destin.
Il arrive que la frontière soit naturelle. Elle symbolise peut-être le mieux l'autre côté, l'au-delà, un là-bas dont la nature nous a séparé. Un jour, cela ne faisait qu'un mais nous ne devions pas encore être là. Pouvons-nous l'imaginer, l'envisager? Pendant longtemps nous nous en sommes fait toute une montagne. Elle est parfois liquide, faite de vagues, probablement nées sur un autre rivage, qui s'échouent sur nos plages. Par endroit, les marées grignotent les falaises qui avec le temps s'affaissent. Nous essayons bien de construire des digues sans pour autant être convaincus. Mais nous avons tellement besoin d'être rassurés, de nous persuader que la meilleure solution est de résister.
Je me souviens de 89. Le mur s'ouvrait et laissait passer. Une frontière idéologique érigée pour s'isoler de la liberté. Il n'était question d'aucun flux migratoire, d'aucune invasion, d'aucun quota. La joie et l'allégresse se partageaient. Sourires et bras ouverts. Pourtant, je me souviens que dans nos esprits, cette frontière faite de parpaings était entrée dans la normalité, comme une fatalité historique. Il est étonnant comme ces régimes totalitaires pouvaient nous sembler installés pour longtemps. Et pourtant leur violence n'avait d'égale que leur fragilité, leur précarité. Dès l'instant où le peuple ne vis plus dans la crainte, dès l'instant où il n'a plus peur, la tyrannie se désagrège. 

lundi 7 septembre 2015

Pas tant que ça

Depuis quelque temps le monde politique s'éclate. Le monolithique a disparu. Il y a encore des chefs, des chefs élus, des chefs autoproclamés, des chefs faute de mieux, des chefs pourquoi pas, des chefs en attendant. Ils semblent tous être des chefs en quête de légitimité, des chefs à l'autorité éparpillée, des chefs qui courent après d'autres chefs. Tout cela pour dire que l'on ne sait plus très bien ni quoi ni qu'est-ce alors que tout un chacun a besoin de repères, de constance au risque d'avoir cette désagréable impression que tout lui échappe.
Heureusement il y en a au moins un qui répond à notre besoin de continuité et ce avec une louable et remarquable constance. Même s'il ne manque pas une occasion de nous dire qu'il a changé je suis a chaque fois rassuré par le fait qu'il parle sûrement de sa chemise car pour le reste...
Ainsi, invité à une bucolique université, son intervention me rassura, m'apaisa car je dois avouer qu'à chacune de ses apparitions je ressens malgré tout cette angoisse de découvrir qu'il ait un tant soit peu changé. Mais là, non, égal à lui même. Malgré tout, je ne cacherais pas qu'il est un domaine où sa constance me laisse pantois, même si elle me réjouit. C'est un homme qui a exercé les plus hautes responsabilités, qui a côtoyé les grands de ce monde, qui a représenté notre pays par delà le monde, qui a lu des discours écrit par ce cultivé et intransigeant Henri Gaino, qui est avocat, qui fait des conférences devant des parterres de décideurs de tous poils et qui aspire à redevenir ce qu'il a été mais en mieux. Et pourtant, c'est un homme qui ne maîtrise qu'imparfaitement cette langue qui devrait lui être maternelle. Comme il s'est présenté à ce rassemblement politique sans discours écrit, les mains dans les poches, sans se donner la peine de préparer puisqu'il allait parler de l'immigration et du front national, sujet qu'il maîtrise, ça n'a pas manqué. Il nous a offert un dérapage syntaxique du plus bel effet et pour le moins acrobatique. Ce qui donna  "Ya quelque chose que je suis très attaché..." Il est vrai que cela ne nous empêcha pas de comprendre ce qu'il a voulu dire. N'est-ce pas là l'essentiel, cette phrase se terminant par "La France a toujours été du côté des dictateurs".  


Repos

Je perçois le bruit et la fureur des jours qui s'entassent dans le fracas des souvenirs métalliques. Si parfois la mouvance de la vie me fait peur, je goûte la rémanence des souvenirs qui me semblent encore si proches. Ce sont des échos caressants. Ils assèchent le chagrin des profondeurs. 

dimanche 6 septembre 2015

Observations

C'était un matin. Un de ces matins que je n'avais pas vécus depuis plusieurs mois. Sur le quai j'attendais le métro. Comme sortis de je ne sais où, partout, comme une invasion concertée, des jeunes. Des filles et des garçons. Si ce fut le cas à une certaine époque, la confusion des sexes n'est aujourd'hui plus possible même si... J'attendais donc, peut-être encore plus conscient du temps qui me séparait d'eux. Sans trop savoir pourquoi, je me suis demandé si nous étions prêts à accueillir toute cette jeunesse qui envahissait notre espace. Garçons qui se bousculaient et jeunes filles boudeuses. Peut-être qu'une répartition reposant sur des quotas régionaux permettrait une prise en charge plus équitable. Toujours est-il que le métro a fini par arriver. Comme sur tous les quais français, le flot des sortants lutta contre celui des entrants. Ceci fait, je pris place. Ma principale occupation dans les transports en commun étant l'observation, j'observais. Sur la gauche, trois jeunes filles. Debout, formant un triangle mouvant, elles parlent. J'hésite à écrire qu'elles se parlent. Elles ont de commun une façon d'être qu'il n'est pas aisé de décrire, qui se retrouve dans la posture, les gestes. Elles disposent des mêmes accessoires. Chacune est le miroir des autres. Mon attention se porte plus particulièrement sur l'une d'elles. Afin de ne pas prendre le risque de passer pour un pervers pépère, j'adopte le regard léger agrémenté d'un sourire bienveillant. Je m'imagine inoffensif. Cette jeune fille, que j'appellerai Zap, est bien sûr munie d'un sac à main d'une taille respectable ainsi que d'un portable qui tient à peine dans sa main. Elle s'entretient d'abord avec ses deux copines. L'une d'elles décroche rapidement pour offrir toute son attention à son appareil téléphonique. Plus personne n'accole ces deux mots. Il ne s'agit donc plus que d'un dialogue. Dans les faits, c'est un monologue. Zap partage son attention entre celle qui lui parle et son portable. Sans cesse son regard voyage entre le visage qui lui fait face et l'écran qu'elle allume, qu'elle éteint toutes les cinq secondes. Ses lèvres ne bougent pas. Elle finit par ranger son portable dans son sac. Je n'ai pas le temps d'esquisser la moindre pensée qu'elle l'en extrait et allume à nouveau l'écran. Rien d'important semble-t-il. Elle le glisse dans la poche arrière de son pantalon. Peut-être deux secondes ont-elles eu le temps de s'écouler, elle le reprend en main et vérifie au cas où pendant qu'à peu de distance continue le monologue. Arrivé à destination, c'est à regret que je descends.

vendredi 4 septembre 2015

Tracer

La frontière. Jusqu'ici c'était un ensemble de traits sur une carte. Des traits qui serpentaient. D'autres tirés à la règle. Selon des règles coloniales, géographiques, culturelles, hasardeuses. Comme un puzzle. Je me souviens des cartes muettes qu'il fallait compléter, qui me laissaient sans voix. Écrire des noms de pays dans ses frontières. J'ai longtemps cru que les pays étaient prisonniers ou respectueux de leurs frontières. Il peuvent les repousser, les abolir, les ignorer et même les violer. Violer une frontière. Ça consiste en quoi, violer une frontière? Passer en force. Faire fi de l'intégrité. C'est s'affranchir du respect de l'autre pour l'asservir ou plus radicalement pour le faire disparaître. Et pourtant, quoi que l'on fasse, on finit par se rétablir, par être rétabli dans ses frontières. Parfois, peu sûr de soi, peureux, paranoïaque, étriqué, on double la frontière d'un mur. Un mur pour ne pas voir. Pour ne pas voir l'autre, pour ne pas voir la vie, pour étouffer son souffle. Un mur qui serpente et s'enroule autour de la liberté pour la broyer. Mais rien n'est jamais définitif, ni l'oppression ni la souffrance. Il suffit parfois d'un peu de musique pour que le mur s'écroule. Il arrive que les frontières frémissent, qu'elles soient emportées par une irrépressible envie de liberté. La frontière devient nomade, voire hésitante. Elle se reforme ailleurs. Plus loin, plus près de notre destin.
Il arrive que la frontière soit naturelle. Elle symbolise peut-être le mieux l'autre côté, l'au-delà, un là-bas dont la nature nous a séparé. Un jour, cela ne faisait qu'un mais nous ne devions pas encore être là. Pouvons-nous l'imaginer, l'envisager? Pendant longtemps nous nous en sommes fait toute une montagne. Elle est parfois liquide, faite de vagues, probablement nées sur un autre rivage, qui s'échouent sur nos plages. Par endroit, les marées grignotent les falaises qui avec le temps s'affaissent. Nous essayons bien de construire des digues sans pour autant être convaincus. Mais nous avons tellement besoin d'être rassurés, de nous persuader que la meilleure solution est de résister.  

mercredi 2 septembre 2015

tracer

La frontière. Jusqu'ici c'était un ensemble de traits sur une carte. Des traits qui serpentaient. D'autres tirés à la règle. Selon des règles coloniales, géographiques, culturelles, hasardeuses. Comme un puzzle. Je me souviens des cartes muettes qu'il fallait compléter, qui me laissaient sans voix. Écrire des noms de pays dans ses frontières. J'ai longtemps cru que les pays étaient prisonniers ou respectueux de leurs frontières. Il peuvent les repousser, les abolir, les ignorer et même les violer. Violer une frontière. Ça consiste en quoi, violer une frontière? Passer en force. Faire fi de l'intégrité. C'est s'affranchir du respect de l'autre pour l'asservir ou plus radicalement pour le faire disparaître. Et pourtant, quoi que l'on fasse, on finit par se rétablir, par être rétabli dans ses frontières. Parfois, peu sûr de soi, peureux, paranoïaque, étriqué, on double la frontière d'un mur. Un mur pour ne pas voir. Pour ne pas voir l'autre, pour ne pas voir la vie, pour étouffer son souffle. Un mur qui serpente et s'enroule autour de la liberté pour la broyer. Mais rien n'est jamais définitif, ni l'oppression ni la souffrance. Il suffit parfois d'un peu de musique pour que le mur s'écroule. Il arrive que les frontières frémissent, qu'elles soient emportées par une irrépressible envie de liberté. La frontière devient nomade, voire hésitante. Elle se reforme ailleurs. Plus loin, plus près de notre destin. 

mardi 1 septembre 2015

Tracer

La frontière. Jusqu'ici c'était un ensemble de traits sur une carte. Des traits qui serpentaient. D'autres tirés à la règle. Selon des règles coloniales, géographiques, culturelles, hasardeuses. Comme un puzzle. Je me souviens des cartes muettes qu'il fallait compléter, qui me laissaient sans voix. Écrire des noms de pays dans ses frontières. J'ai longtemps cru que les pays étaient prisonniers ou respectueux de leurs frontières. Il peuvent les repousser, les abolir, les ignorer et même les violer. Violer une frontière. Ça consiste en quoi, violer une frontière?