vendredi 18 septembre 2015

Discours anniversaire

Avant d'entrer dans le vif du sujet, par le truchement de ce propos liminaire, je me dois de préciser,  par respect de celle à qui je vais m'adresser et de ceux que je vais citer tout au long de ce texte que mes propos sont pour 95% d'entre eux sans fondement, issus de mon imagination. 

Claire, si tu me permets de t'appeler Claire, comme le disait un œuf de mes amis, avec qui depuis je me suis brouillé, même parfumée au mimosa, la vie est dure. En cette période de confusion, où l'expression " l'un dans l'autre" le cède à la polymorphie, nous avons besoin de repères, d'un retour aux valeurs, ces valeurs qui ont fondé notre civilisation. Nous avons besoin de ces lumières qui nous tiennent éloignées des ténèbres, de ces phares qui nous préservent des écueils de l'outrance, de la suffisance, du mépris, de l'indifférence et de l'ignorance. Et bien Claire, tu es l'un de ces phares qui jour après jour nous prodiguent sa lumière  pour que nos nuits ne sombrent pas dans l'ombre de nos solitudes. Voilà ce que l'on appelle une introduction en douceur et qui me semblait-il te correspondait bien. Pour le confirmer je l'ai soumise à une de tes amies anglo-saxonnes dont je tairai le nom, qui m'a fait remarquer que tu étais plutôt un phare que l'on aurait oublié d'allumer.

 Pour autant, cela n'a pas été simple. Pour tout te dire, confronté à la feuille blanche, j'ai longtemps hésité. Cette feuille était-elle réellement blanche? Ne t'avais-je pas déjà croquée par le passé, mise noir sur blanc, mise en mots, mise en bouche à l'occasion d'une autre dizaine? Ceci dit c'est aujourd'hui qu'enfin tu parviens non sans mal (vous reviendra à l'esprit, pour ceux qui en ont un, toute l'acuité rétrospective de cette expression "non sans mal"), à fêter ton anniversaire. Cet élément qui pourrait paraître anecdotique est on ne peut plus révélateur de ton moi profond (vous reviendra à l'esprit, pour ceux qui en ont un, toute l'acuité rétrospective de cette expression "ton moi profond"). De façon tout à fait exceptionnelle, j'ai donc été chargé de rédiger un discours en ton honneur. Mais pourquoi moi, car, comme aime à le dire Bertrand, émigré de la quatrième génération, hobereau et potentat local tendance Roundup, vouant un culte à la PAC plutôt qu'à la résurrection du Christ  "C'est incroyable qu'on laisse encore ce gars qui se croit drôle faire le pitre sur une estrade". J'ai fini par comprendre pourquoi j'avais été choisi quand je suis allé voir tes sœurs et frères pour leur demander ce qu'ils souhaitaient que je te dise en leur nom et qu'ils m'ont répondu "Bah euh, rien, je sais pas". Il est certainement des sentiments que les mots ne sauraient traduire.

 Tu es donc la benjamine de quatre sœurs et à ce titre tes proches étaient légitimement en droit d'attendre que tu sois la quintessence de la série, l'archétype d'une perfection au féminin, soit rurale mais au moins débarrassée des scories qui caractérisent les progénitures terriennes. Mais comme me l'a dit Michel ton beau-frère, tu aurais plutôt les caractéristiques d'une fin de série, ce qui en soit est un défi à la génétique. 
Quoi qu'il en soit, chacun sait que tu fêtes tes 50 ans avec quelques années de retard, ceci pouvant expliquer cela. Mais comme me l'a dit Marie, ta sœur ainée, les années sont comme des cadavres jetés dans les eaux boueuses de la honte, elles finissent par revenir à la surface qu'elles rident à souhait.


Quoi qu'il en soit je ne vais pas ici relater par le menu, ce que tu ne fus pas toujours, ta vie, ton œuvre. Non que cela me prendrait beaucoup de temps mais il n'est pas dans mes intentions de m’immiscer trop avant dans ton intimité. D'une part, par respect pour ceux qui eux s'y sont immiscés et, d'autre part, parce que comme le dit Jamal, que l'on surnomme Quota, ce qui, lors de soirées comme celle-ci, nous permet de dire que nous avons notre quota, donc comme le dit Jamal qui fréquente assidument la paysanne cauchoise, l'intimité, quoi qu'on fasse c'est jamais bien net. A propos d'intimité, pour donner un semblant de cohérence à ton existence, il me fallait en trouver le fil rouge. Après avoir longuement cherché, j'ai trouvé en me souvenant de ce que m'avait dit un gynécologue de mes amis lors de l'examen prémenstruel d'une adolescente que son père aimait très tendrement. Tout en farfouillant, l'air très pénétré il m'affirma "La vie est une perte." Autant sur le moment cette assertion ne me sembla pas couler de source autant, après réflexion, j'ai trouvé qu'elle s'appliquait pile poil à ta vie. 

Je me suis donc retourné sur notre vie commune. Non que nous ayons jamais partagé la même couche, ou je ne m'en souviens plus, mais nos vies se sont croisées à de très nombreuses reprises pour finir par s'entremêler inextricablement, car chacun sait, au-delà même des frontières du Vexin pouilleux, que se marier avec une ou un Lamble implique que l'on va se coltiner toute la famille, partout, en toute circonstance, famille au sens large puisque, après avoir fait preuve d'un semblant de retenue, la cousine et le cousin ainsi que leur progéniture, originaires de ce Nord lointain, ont fini par s'agréger au noyau originel. Malgré tout, j'ai cherché à découvrir ce que contenaient ces années au cours desquelles je ne t'ai pas pratiquée. J'ai pour ce faire exhumé quelques photos que par respect je n'exhiberai pas mais qui, comme me le faisait remarquer Agnès, montre que tu ne ressemblais à rien, ou à tout le moins à rien de connu. Tu as longtemps été une hésitation. Mais, comme me l'a confié Alain, ton frère ainé, tes parents ayant en mémoire l'histoire du vilain petit canard, gardèrent plus que de raison espoir. Alors qu'aujourd'hui rien ne semble devoir échapper à la frénésie d'immortalisation photographique, de ton temps la parcimonie était une règle de conduite, je n'ai ainsi retrouvé que peu d'éléments argentiques. Je me suis donc appuyé sur le témoignage de quelques croquants locaux pour reconstituer ta prime jeunesse. C'est ainsi que j'ai eu connaissance de ta première perte. Peut-être n'est-ce qu'une légende campagnarde mais il semble que c'est dans cette grange même, et plus précisément entre deux ballots de paille et une vieille suceuse d'occasion, qu'une fin d'après-midi d'été, ce moment de la journée où les odeurs exacerbent les désirs et libèrent les instincts, que tu perdis ta virginité. C'était une bonne chose de faite, même si le consentement n'a pas été formellement établi. Pour qu'il n'y ait pas d’ambiguïté, ce n'est que quelque temps plus tard que je vais faire ta connaissance. Pour tout dire, je t'ai connue tu étais grosse comme ça. Au moins en cela étais-tu fidèle à la tradition familiale. Mis à part ce détail physique, rien en toi ne retint mon attention.

 Ensuite va s'ouvrir une période pour le moins chaotique de ta vie au cours de laquelle tu vas perdre le sens des valeurs, ces valeurs féminines qui sont le fondement de la famille telles la soumission, l'obéissance, la modestie, la fierté de la belle ouvrage, le respect de l'autorité des aînés et enfin l'infaillibilité de notre saint Père le pape.Tu va ainsi devenir la Dany la rousse du Mesnil, la Louise Michel de Bézu, t'éloignant un peu plus de "la terre qui elle ne ment pas" comme a pu l'écrire le regretté Emmanuel Berl. Tu fréquenteras une cellule révolutionnaire implantée à Bézu Saint Eloi au sein de laquelle évoluait le célèbre et vénéneux Corlosquet, plus connu dans le milieu sous le pseudo de Kerlos Quéquette, je vous laisse deviner pourquoi.  Compte tenu du conservatisme ambiant tu passas aisément pour une rebelle. Je passe sous silence ces soirées fumeuses baignant dans le stupre qui te voyaient échouer au bowling de Cergy où les quilles aux formes arrondies étaient autant d'invitation à une luxure débridée. Rien qu'une classique crise de l'adolescence va-t-on penser, cette période où l'on est contre, rétif, incompris, transi, à fleur de peau, révolté, boutonneux et surtout con. Mais pour ce qui te concerne, cette crise se prolongera bien au-delà de l’adolescence pour finir... Pour tout dire, on ne sait pas trop. Tu es un volcan qui nous gratifie régulièrement d'une éruption. Comme le dit Michel, ton beauf, la mère Claire, elle est bien gentille avec sa veuve et son orphelin mais elle nous emmerde. Sur le principe nous ne sommes pas contre la sollicitude si elle est empreinte d'une certaine retenue et d'une discrétion de bon aloi. Et puis pour reprendre une célèbre phrase, tu n'as pas le monopole du cœur. Voilà comment tu eus à déplorer plusieurs pertes. Perte de temps, perte du sens commun, perte de vue, pertes et fracas.

Il est pourtant un domaine où pendant longtemps tu réussis à compenser pertes et profits. Celui du poids. Tu fis tellement de régimes que ton frère Emmanuel , on reconnaîtra là toute la finesse de l'humour terrien, a fini par t'appeler la banane. Il ne se passait pas une semaine sans que tu nous demandes, le regard plein d'espoir, "Tu trouves pas que j'ai maigri?". Que pouvions-nous répondre. Pour toi un oui te rendait si heureuse et pour nous un petit mensonge était sans conséquence. Non sans mal, tu tentais de donner forme à ton corps, de le faire ressembler à quelque chose qui puisse faire naître le désir, car sans mâle tu l'étais, déplorant que personne ne veuille s'intéresser de plus près à ton moi profond. Car si tu cherchais à être bien dans ton corps tu aurais aussi aimé qu'ils soient également plus nombreux à  s'y sentir bien.

 J'aborde là le délicat sujet de ta vie sexuelle. Si j'en parle si librement c'est que tu n'en fais pas mystère. Il faut dire que, même si ce fut sur le tard, tu commences à posséder un tableau de chasse bien garni sans que je puisse juger de la qualité du gibier. Cette quête effrénée de chair prouve qu'il te reste quelques livres à lire. Quoi qu'il en soit, nous ne saurions dire s'il s'agit des effets d'un épanouissement tardif, mais il semble que tu sois devenue une attractive girl et comme me l'a dit Cathy, une de tes charmantes et attentionnées belles-sœurs, il est bien rare qu'il n'y ait pas au moins une baguette dans le fournil. Je crois me souvenir que c'est à cette occasion, que ton autre charmante et attentionnée belle-sœur, j'ai nommé Christel, répondit, alors que je lui demandais de te caractériser en une phrase, que tu es au sexe ce que la levure est à la pâte. Mais surtout, n'allez pas, comme Bertrand, en conclure un peu hâtivement que Claire est une salope. Car Claire, si tu me permets encore de t'appeler Claire, tu as simplement compris que l'on n'a qu'une vie et qu'il sera trop tard bien assez tôt.

Pour me faire pardonner de t'avoir un tantinet culbutée, c'est avec plaisir que je vais relire ce texte à rimes qu'en son temps je t'ai lu.
  
Claire

Quand je t'ai connu petite et pas peu fière
Vive et piquante dans le profil d'un fil de fer
Peut-être la jolie môme et son pull de Ferré
Courant dans la cour pour dire adieu à l'hiver
Tu n'avais alors dans le regard qu'une prière
Que ta vie soit peuplée d'aujourd'hui et non d'hier
Et tu allais dévaler, arpenter, te confronter à la morale de fer
Jusqu'à plonger dans ta destinée fraîche et claire
Comme nous entraîne vers nos rêves l'eau de la rivière
Bien sûr tu laisses ton temps couler sur les berges pour atténuer la misère
Et pendant ces jours qui se traînent et où tout leur semblent amer
Tu écoutes, tu parles, tu regardes, tu ris pour que le bonheur ne soit pas qu'un éclair
Bien sûr il arrive que fragile se casse le verre
Et pour un peu de chaleur ne reste plus qu'à entourer et se taire
Alors s'il nous arrive de nous agacer sans en avoir l'air
Sache que comme les gouttes de tendresse reviennent à la mer
Chaque instant, chaque geste, chaque pensée de ta vie nous est cher    
Cela fait un certain temps que tu es sur terre
Serait-ce pour cela que tu es terre à terre
Même si tu sais comme une ritournelle t'envoyer dans les airs
Pour retrouver sans cesse l'amour et te sentir légère
Et quand on y est que peut-on faire sur cette Terre
Si ce n'est s'aimer comme des sœurs et des frères
Et encore plus puisque c'est ton anniversaire









 

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