lundi 22 octobre 2012

A autre chose (16)

« Même si je sais que personne ne lira ces lignes, je devine qu’il me sera difficile de me livrer, d’écrire ce que je suis. Mes doigts hésitent déjà. De quoi ai-je peur puisque je ne lirai pas ce que j’écris ? Mes faiblesses, mes trahisons, mes lâchetés, mes renoncements. Ils sont pourtant une part de ce que je suis. Comme de la broussaille que le vent agite dans un terrain vague, ils occupent le terrain de mes pensées. Ma connaissance de chaque méandre de mon cerveau me permet de les éviter mais je sors parfois épuisé de mes pérégrinations. C’est comme si une partie de mon cerveau était une cinémathèque où s’entasseraient des piles de boîtes dans lesquelles j’aurais pris soin de ranger des films en super 8. Une prise de vue incertaine, des images tremblantes, floues, des travellings nerveux. Écrit au feutre noir sur une étiquette, le titre de chaque bobine. Leur rangement ne répond à aucun ordre qui me soit connu. De nombreux titres commencent par « Premier » ou « Première fois ». « Premier amour ».
« Mon premier amour s’appelait Marlène. C’est ainsi que les autres l’appelaient. Nous ne nous sommes jamais adressé le moindre mot. J’avais l’âge où les filles ne sont presque plus une autre forme de garçon mais pas encore ces êtres incompréhensibles dont il faut se méfier. Je ne savais pas ce qu’était l’amour mais elle fut la première à retenir mon attention. J’osais à peine la regarder. Sa seule présence me suffisait. Elle était la douceur de mes jours, mon secret. Je n’imaginais rien. Je me contentais de la garder en moi. Je ne savais pas ce qu’était l’amour mais il était là. Je le vivais. C’était le mien. Cette forme d’amour que l’on ne partage pas, même pas avec l’être aimé. L’amour est un sentiment spontané, né de rien. Je ne sais pas si Marlène avait remarqué quelque chose mais c’est la première à m’avoir transmis ces frissons qui vous rendent heureux. Je n’ai pas le souvenir de m’être inquiété de savoir si elle éprouvait quelque chose pour moi ou si le simple fait de me regarder la faisait vibrer. L’amour était un plaisir solitaire. Solitaire mais pure, poétique, romantique, détaché de toute contingence corporelle, absolu. Blottie dans le reflet de mes yeux, elle restait à l’abri de mes paupières pour la nuit. »

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