lundi 1 octobre 2012

A autre chose (6)

Ils se parlaient peu. Peut-être la peur de perdre leur temps, de faire croire que c'était presque. Ils n'avaient que l'envie de suggérer. L'appréhension de se laisser emporter par les mots, d'en dire trop, de brusquer, d'égratigner leur pudeur figeaient leurs lèvres. La fragilité des sentiments. Il aimait la regarder, s'imprégner de son visage quand elle dormait. Souvent lorsqu'ils voyageaient en voiture pour de longs trajets vers les vacances, elle finissait par s'endormir. Quand il s'en apercevait, il ralentissait pour pouvoir la regarder. Parfois il s'arrêtait sur le bas côté. Elle était à l'abandon. Il avait envie de la caresser, de s'immiscer entre ses lèvres entrouvertes. Il la prenait en photo sous tous les angles. Il n'en gardait jamais aucune, les effaçait après les avoir regardées. C'était comme si il avait volé ce qui ne lui appartenait pas, ce qui ne serait jamais à lui.   Elle rêvait. Il se demande ce que deviennent les rêves que l'on a oubliés au réveil.
  Avec le temps, c'était comme si il avait oublié que chaque fois pouvait être la dernière. 

Le matin avance. Il finira par disparaître. Il ne parvient pas à se lever. Comme pour quitter cet endroit, s'offrir un répit, il fixe les nuages pour y découvrir des formes, d'autres paysages. Il discerne souvent les contours d'animaux fantastiques, surgissant d'une mythologie inconnue. Ils finissent par se déformer, puis disparaissent. Pris par la peur de ne plus rien voir, d'être contraint de reprendre le cours de ses pensées, il cherche une nouvelle forme, l'esquisse d'une création brumeuse qu'il laissera son imagination compléter.
Ses yeux changent d’angle et se retrouvent dans cette pièce. Au fond, dans un coin, une chaise. Il sourit. Ce n’est pas une chaise, mais la chaise, qu'il préférait au lit. Ou plutôt, leur chaise, qui se balançait au gré de leur passion. Cette envie avait germé alors qu’il regardait « L’ange bleu ». Lola-Lola qui enfourchait une chaise, qui fascinait le professeur. Il prenait souvent place le premier. Elle le regardait. Son regard, qu’il absorbait, plongeait comme le premier signe d’une possession. Elle s’avançait et décidait. Il en était toujours ainsi. Il se laissait aller, se livrait, s’offrait. Il avait déjà remarqué qu’en faisant l’amour avec d’autres femmes, il lui arrivait de penser à autre chose, de s‘évader. Parfois, lorsque son esprit réintégrait son corps c’était pour constater que tout était fini. Mais avec elle il ne quittait jamais les lieux. Le simple fait qu’elle puisse le voir tel qu’il était, était pour lui une source de plaisir. Par petites touches elle lui avait appris à se laisser aller, à abandonner en sa présence toute pudeur. Il était devenu fier d’exposer sans retenue son corps, de laisser s’exprimer sa virilité. Quand elle le regardait il se sentait beau, désirable. Elle était la seule à lui avoir procuré cette sensation de légèreté, de liberté.

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