mercredi 18 septembre 2013

Etude

J'ai relevé la tête et je l'ai vu tomber. Ou plus précisément, il a disparu de mon champ de vision. Mais cela s'est passé si rapidement, en une fraction de seconde, que seule une chute pouvait expliquer cette soudaineté. Jusqu'à ce moment, il ne s'était rien passé. Rien qui puisse justifier que je prenne du temps pour le raconter. Je n'aime pas relater le rien. Ce n'est ni une posture, ni un principe. J'ai déjà tenté l'expérience mais je n'en ai pas tiré toute la satisfaction que j'en espérais. J'étais parti du principe que toute vie est passionnante si l'on prend un temps soi peu le temps de s'y intéresser. J'ai choisi ma vie. Non pas tant parce que c'était la mienne mais plutôt parce qu'elle m'était plus familière que toute autre. Comme je ne voulais pas écrire un roman, j'ai décidé de décrire  par le détail un jour de ma vie. Il fallait que ce soit un jour de la semaine plutôt neutre. Le week-end était souvent chargé en évènements. Le lundi était trop marqué en tant que premier jour de la semaine. Le vendredi était trop influencé par le samedi. Il restait donc trois jours. Mon choix se porta sur le mardi. J'appréciais sa relative neutralité. Il était principalement et généralement constitué de riens. C'était le jour de la banalité. Le mardi choisi, je le vécu pleinement, avec attention, minute par minute afin que ma mémoire puisse le lendemain me rapporter tous mes faits et gestes. Et j'ai passé mon mercredi à décrire mon mardi. Pas tout à fait. Arrivé mercredi minuit, je n'avais pas fini de raconter mon mardi. Alors, j'ai laissé tomber.
J'ai donc supposé qu'il était tombé. Disons que j'avais de bonne raisons pour le croire. A cette époque, j'aimais observer les autres et plus particulièrement les passants qui, ensemble, formaient une foule. Je les regardais aller vers la gauche, vers la droite. Ils bifurquaient parfois pour changer de trottoir mais la plupart du temps ils suivaient une ligne droite. Cela donnait ainsi un mouvement régulier, une sorte de douceur ondulante. Et là, en un point précis, cette régularité à été comme contrariée. Le flot a hésité. Sans vouloir exagérer, je crois que la panique n'était pas loin. Des trajectoires ont été contraintes de s'écarter de leur ligne habituelle. C'est ainsi que certains passants n'ont eu d'autre choix que faire quelques pas sur la chaussée avant de pouvoir à nouveau marcher sur le trottoir. Mais ce fut l'histoire de quelques secondes au terme desquelles, comme si un coup de gomme avait fait disparaître une imperfection, il ne restait plus trace de l'incident. Ce ne fut pas pour me déplaire. J'aimais regarder ce mouvement vivant, cette densité qui ne permettait pas de discerner les individus. C'était une masse de couleur plutôt sombre, compacte qui emportait mes pensées. Je pensais retrouver ma tranquillité mais cet incident continuait de me trotter dans la tête.
Seul un évènement imprévu pouvait être la cause de cette chute car je restais persuadé que c'était une chute. Il est vrai que je n'avais pour ainsi dire rien vu. Je ne savais pas si c'était une femme ou un homme. J'ignorais si cette inconnu avait trébuché, s'il avait été bousculé, s'il avait été poussé volontairement. A bien y réfléchir, je dois me résoudre à avouer que je n'ai rien vu. Du moins pas au sens où on l'entend communément. Si je puis oser une comparaison, j'étais dans la position de l'astronome qui, étudiant la trajectoire de planètes, en déduit l'existence d'une nouvelle jusqu'à lors inconnue. La comparaison a ses limites dans la mesure où je ne peux pas prouver la réalité de cet incident par le calcul comme peut le faire l'astronome pour sa planète.   

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