mercredi 14 août 2013

Patience

Je me souviens d'un puits. Il se trouvait dans une cour. Il fallait traverser la rue. J'étais un enfant. Plutôt petit. Enfin, encore petit. Du moins au début. Les premières années, je n'avais pas le droit de traverser cette rue. Pour le faire, je devais donner la main et me tenir éloigné du puits. Pourtant, je n'ai jamais vu ou entendu une automobile l'emprunter. Je n'imaginais pas que l'interdiction puisse être motivée par autre chose. Je n'allais pas jouer dans cette cour. Elle n'était pas faite pour ça malgré l'expression "Va jouer dans la cour". Elle était recouverte de fleurs sans intérêt, que personne n'avait jamais eu l'idée de cueillir. Plusieurs fois par jour, quelqu'un traversait la rue avec un seau en métal pour le remplir. Je ne sais plus qui c'était. Quand je replonge dans cette époque, j'ai l'impression que les seuls souvenirs qui me restent concernent les choses. Surtout le puits. Je ne me souviens pas à quoi servait l'eau du puits. Je revois le seau dans lequel l'eau continuait de se balancer au rythme des pas qui l'avaient transportée jusqu'à la cuisine. Elle était claire. Quand le seau restait sans surveillance, j'y plongeais les bras. La fraîcheur glissait sur ma peau. Je fermais les yeux et j'attendais. Dans le silence, je laissais passer le temps. Je ne bougeais plus. Comme si ils s'étaient dilués dans la transparence, je finissais par ne plus sentir mes bras. Je faisais mon apprentissage de l'immobilité. Je découvrais le temps de l'inutilité. Je faisais partie du silence. Avant que des pas ne se fassent à nouveau entendre, je sortais de la cuisine et posais mes bras sur le rebord d'une fenêtre chauffé par le soleil. Je regardais disparaître les dernières gouttes.
Un jour, j'ai eu le droit de traverser la rue tout seul.

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