lundi 22 février 2016

Comme un os

Il est des jours où je me demande. Je me demande, comme aurait presque pu le dire Louis XVI, mais où ai-je la tête? Hier, j'ai découvert, shame on me, alors que j'étais le centre du monde, chacun son monde, que le 21 février 1916 débutait la bataille de Verdun. Il m'a fallu 59 ans. Les premières années, je ne dis pas mais après. Comment ai-je fait pour toutes ces années passer à côté. 300 000 morts en 9 mois. 9 mois pour répandre la mort.
Mais tel n'est pas directement le sujet. Hier midi, comme tous les dimanches, l'air de rien, innocent, ce qui pour un catholique n'est pas le moindre des exploits, je vais chez Jean-Christophe. Jean-Christophe est mon boucher. Nous avons cette curieuse pratique de faire nôtres ces personnes de notre quotidien. Mon boucher, mon coiffeur (pour ce qui me concerne c'est de l'histoire ancienne), mon boulanger, mon garagiste... Toujours est-il qu'à peine entré dans la boucherie Jean-Christophe m'interpelle.
" T'as vu, ils ont recommencé. Ils ne peuvent pas s'en empêcher. A chaque fois c'est pareil. Et encore, si on avait un droit de réponse. Et même. C'est quand même incroyable de jeter ainsi le discrédit (Jean-Christophe a des lettres) sur toute une profession."
A la vue de mon regard interloqué, il prend conscience qu'il manque un wagon.
"Je ne vais pas te l'apprendre, aujourd'hui c'est le centenaire de la bataille de Verdun. Bon. Tu n'as rien remarqué? Il n'y a pas quelque chose qui t'a choqué? Je vois que ça te passe au-dessus de la tête. (Jean-Christophe est assez familier avec le client). Et bien, si tu étais un tant soit peu observateur tu aurais remarqué que dans les journaux, à la radio, à la télé, sur internet fleurit le titre "Verdun, une vraie boucherie". Tu te rends compte. 300 000 morts, une boucherie. Un massacre, une tuerie, une folie, une catastrophe, un charnier je ne dis pas, mais une boucherie? Qu'est-ce qu'il fait l'artilleur? Il balance ses obus et il ne s'occupe plus de rien. Résultat, des corps disloqués dans tous les sens, de la bidoche éparpillée, du sang, des boyaux, des bouts de cervelle, des membres arrachés. Et ici, qu'est-ce que tu vois? De la viande bien découpée, bien présentée, bien identifiée dans un présentoir bien achalandé, faux-filet ici, entrecôte là. Ce que tu vois là, c'est l'amour du travail bien fait. Tu en connais toi, des artilleurs meilleur ouvrier de France? Je vais te dire, il y a des jours où je me demande."

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