dimanche 4 décembre 2016

Ma grand-mère (3)

Dès l'impulsion, j'ai su que c'était le bon. Le bon bond. Effaçant l'obstacle, l'espace d'un instant, c'est du moins le souvenir que j'en ai, je me retrouvais au-dessus de l'édredon. L'instant parfait. Le plaisir d'une première fois. Cette sensation d'être unique, inatteignable, grandiose. Comme la première fois où dans le regard d'une jeune fille pas trop regardante j'avais discerné une lueur de plaisir. J'étais le roi du monde. J'allais toutes les faire hurler. Elles me diraient toutes encore. Je dus pourtant me rendre à l'évidence que cette lueur devait beaucoup au hasard. De nombreuses rencontres se produisirent avant que je ne puisse renouveler ce qui manifestement relevait encore de l'exploit.
C'est ainsi que je finis par retomber au milieu de l'édredon. Je m'y enfonçais profondément. Comme la bouche molle d'un monstre marin à l'affût, les bords se rabattirent pour m’engloutir. Je disparaissais dans l'épaisseur d'un autre univers. De là, je pouvais voir le haut de l'armoire, l'endroit où ma grand-mère rangeait les draps. Ils me faisaient l'effet de n'avoir jamais servi. D'un blanc crémeux, repassés et pliés avec un soin extrême, ils paraissaient tout droit sorti d'une vitrine. Des lingots de textile. Constitués d'arrondis, ils étaient rangés par trois. On les devinait lourds et épais. Je ne pouvais encore que les atteindre des yeux. Je voyais parfois ma grand-mère s'en saisir. Avec soin et comme avec respect, elle glissait une main sous celui se trouvant en haut de la pile et posait l'autre sur le dessus. Elle l'extrayait ensuite de l'armoire. Ainsi plié, il représentait à mes yeux une certaine forme de perfection. C'était toujours avec un léger dépit que je le voyais être déplié, perdre de sa superbe. Recouvrant le matelas, des corps allaient se frotter contre lui, le froisser, le salir. Et je n'avais pas encore découvert tout ce qu'il était possible de faire dans un lit. 

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