J'avais l'idée d'une autre fin mais après réflexion, je me suis dit que c'était une bonne chute. A quoi bon vouloir prolonger. Le dernier mot peut être prononcé à tout moment avant que ce ne soit le mot de trop.
"Tout petit il rêvait d'une princesse charmante. Alors il attendait.
Il faisait de son mieux et attendait. Au début, le fait d'attendre en
vain ne l'affectait pas. C'est à peine s'il était déçu d'être chaque
matin réveillé par le baiser de sa maman sur la joue. Ce qui pour
l'avenir était rassurant est qu'un simple baiser suffisait à le sortir
du sommeil. Mais il lui arrivait de répondre par un grognement à cette
marque de tendresse. Alors, vous imaginez la réaction d'une princesse
charmante en pareille circonstance. Elle risquait de partir sans
demander son reste. Ce qui serait d'autant plus dramatique s'il
n'existait qu'une seule princesse charmante pour chaque bel endormi.
Avec abnégation et plaisir, il s'astreignit à gratifier chaque matin sa
mère d'un sourire étonné jusqu'au jour où cela devint naturel. Il
pouvait ainsi s'endormir chaque soir sans appréhension.Les matins
continuaient de se succéder.
Le temps finit par passer si vite
qu'un matin, il prit conscience qu'il avait de nouvelles préoccupations,
nombre d'anciennes ayant quitté son esprit. L'attente du baiser de
princesse, de l'être aimé, de l'amour étaient plus que jamais là mais
aussi autre chose. Cette autre chose qui pouvait le rendre fébrile et
même faire naître en lui de l'impatience.
Un matin, alors qu'elle
venait de déposer un baiser sur sa joue, il regarda sa mère. Il la
regarda comme si... Il ne permit pas à sa pensée d'aller plus avant.
Même si elle n'était qu'esquissée, il la regretta.
Il chercha
des raisons à cette vaine attente. Il changea de lit, de chambre, alla
dormir ailleurs, dormit sur le dos, sur le ventre, fit semblant de
dormir, le fit nu, habillé, à même le sol, sous le lit. Rien n'y fit.
Allait-il désespérer? Cette absence de princesse pouvait-elle être de
son fait? Un matin, avant même d'entreprendre quoi que ce soit, il se
regarda dans le miroir de la salle de bain. D'accord, il n'était en rien
une beauté de papier glacé. Se reculant de quelques pas, il concéda
qu'il ne possédait ni les attributs ni la plastique d'un apollon. Pour
autant, il n'était pas dénué de charme, du moins était-ce son
appréciation de ce qui lui était donné de voir. Il est vrai qu'il
n'avait pas eu le loisir de se confronter au jugement des autres. Bien
sûr, sa mère le trouvait très beau, mais quel crédit pouvait-on donner à
cette évaluation?
Un jour, en son for intérieur, alors que se
perpétuait l'immuable enchaînement des évènements matinaux, il
reformula son attente.
« J’attends l’amour. Cet amour m’apparaîtra un matin sous la forme d’une
princesse charmante. Elle déposera un baiser sur ma joue qui me fera sortir du
sommeil. J’ouvrirai les yeux et elle m’apparaîtra. Je saurai tout de suite que
c’est elle. Je lui sourirai. Elle me sourira en me caressant la joue. Et puis… »
Si dans les grandes lignes cela correspondait à ce qui était écrit dans le
livre, quelque chose ne collait pas. Par contre, il ne faisait aucun doute que
princesse charmante il y aurait. Toujours seul dans son lit, il se tourna vers
sa table de chevet. Près de la lampe, décorée de figurines représentant Mickey
et Minnie, se trouvait le livre que chaque soir sa mère lui lisait. Il le prit
et l’ouvrit à la page du baiser. Il lut lentement. Rassuré, il constata à
nouveau qu’il n’y avait aucun doute. Un baiser et tout s’enchaînait. Il ne put,
malgré tout, s’empêcher de revenir en arrière. La lecture des évènements
pré-baiser lui permit de mettre le doigt sur la faiblesse de son propre
scénario. Le sommeil dont il était question dans le livre n’était pas n’importe
quel sommeil. C’était un sommeil profond. Un sommeil d’une durée inhabituel. Un sommeil qui se mesurait en années.
Bien
sûr, si l'on se souvient de cette histoire, qui ne s'en souvient pas,
on pourrait objecter que la distribution des rôles est quelque peu
fantaisiste dans cette nouvelle version. La finesse de notre héros
réside dans le fait que d'une part, il retient l'esprit
de l'histoire et que d'autre part il l'adapte aux mœurs de son époque
qui ont somme toute beaucoup évolué. Tout compte fait, il milite à sa
façon pour le triomphe de l'amour. Un tendre amour qui peut se
déchaîner. Pour autant, il lui fallait régler ce problème du sommeil.
Après
avoir bien cherché vainement de la cave au grenier un instrument dont
la piqure pourrait le plonger dans un sommeil au long cours, il choisit
un moyen plus contemporain.
Après une longue, voire très longue réflexion, il dressa un constat.
S'il ne faisait aucun doute que sa princesse charmante existait,
peut-être vivait-elle loin, très loin de lui. Si au temps du beau au
bois dormant la distance pouvait être un obstacle insurmontable, ce
n'était, en ce temps déformé, plus le cas. Nous étions proches, si
proches les uns des autres. Il suffisait de se trouver. Pour ce faire,
il fallait faire preuve de son existence.
Après quelques
tentatives infructueuses, mauvais angle, éclairage insuffisant, batterie
déchargée, il parvint, à l'aide de son portable, à se filmer durant son
sommeil. A la suite de quoi, il avait dû procéder à un long et
fastidieux montage. Il est vrai que l'on ne peut tout au long d'une nuit
de sommeil apparaître sous son meilleur jour. C'est ainsi qu'il fit
disparaître les moments où il était agité, les poses bouche ouverte, les
grimaces, les postures ridicules. Il devait présenter un visage sur
lequel une princesse charmante aurait envie de poser ses lèvres.
Pourtant, malgré toutes ces précautions faites de coupures et de
raccords, une sourde inquiétude parcourait son esprit.
Etait-il si beau que ça? Ou peut-être, était-il beau? Ou mieux encore,
quelqu'un aurait-il envie, en l’occurrence une princesse charmante, de
déposer ses lèvres sur son visage? A la réflexion, il était plus sage de
compter sur son charme, même endormi. Après un dernier visionnage, avec
application il déposa sa vidéo sur la toile. En guise de mode d'emploi
il précisa : beau au bois dormant dans l'attente du baiser de sa
princesse charmante qui le sortira d'un profond sommeil. Et il attendit.
Chaque matin, impatient, il se saisissait de son portable.
Insupportable portable qui ne révélait aucune trace, qui ne faisait
mention d'aucun passage. Il se persuada que cette attente était bon
signe. La toile était immense, un univers en expansion qui échappait à
tout ordre de grandeur si ce n'est celui de l'absurdité. Sa princesse
charmante allait certainement devoir traverser moult épreuves qui la
ralentiraient sur le chemin qui la mènerait à sa joue. A sa joue? La
princesse n'était pas sa mère. Sans vouloir se montrer par trop
exigeant, il pouvait espérer mieux qu'un baiser sur la joue. Et
qu'importait le temps qui passait, dans sa vidéo il était à l'abri du
vieillissement."
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