lundi 9 novembre 2015

De beurre

Nous avons tous connu ça. A la réflexion, pas tous. Alors disons certains parmi nous. En tout cas moi, il n'y a pas de doute. Assez souvent même. Le pire étant que la précédente ne me sert jamais de leçon. Je le sais et pourtant je recommence. A chaque fois je me dis "Mais arrête, bordel (parfois je le cède à la grossièreté et je finis par le regretter mais à chaque fois je recommence), tu sais comment ça va se terminer". C'est vrai que je le sais mais il y a quelque chose en moi qui me dit cette fois-ci ce sera différent. Et je fais comme si j'y croyais alors que je ne suis pas dupe de moi-même.
Par exemple, quand j'étais petit, j'allais à l'école. Un petit peu comme l'on va à l'abattoir. Ça me tuait. A chaque fin de journée ou de cours, selon le niveau atteint, il fallait sortir le cahier de textes. Je n'ai jamais su me servir de ce truc. Toujours est-il qu'il fallait noter leçons et devoirs. A peine refermé ce foutu cahier, je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que j'avais le temps. Les jours passaient. Je ne faisais rien mais j'avais le temps. Le temps de ne rien faire. Je finissais par me retrouver à la veille de l'échéance sans avoir rien fait. Mais ne rien faire n'était pas une matière. Tout au plus, une matière à réflexion. Et je m'en voulais. Je m'en voulais d'être comme ça. D'en être réduit à rendre un devoir qui n'avait ni queue ni tête, à espérer que le prof m'oublierait au moment de l'interrogation. Et pourtant, je savais pertinemment que ça se terminerait aussi piteusement. Mais rien n'y faisait. A chaque fois, j'avais le temps. C'est ainsi que tout ce qui comportait une échéance était prétexte à procrastination. Je savais que je courrais à la catastrophe mais je ne parvenais pas à prendre conscience des conséquences qui pourtant m'étaient régulièrement répétées par les autorités tant professorale que parentale. Mais tout cela me semblait abstrait et probablement exagéré.
Exagéré. La transition est toute faite même si tout reste à faire. "Vous exagérez" m'a ainsi interpelé une marmotte de mes amis. J'ai fait sa connaissance un jour que je gravissais le col d'Agnel, qui, soit dit en passant, n'est pas des plus connus mais n'en est pas moins pentu. Arrivé au sommet, entre neige et verdure, je me suis offert une pause qui devait notamment me permettre de trancher. Soit je rebroussais chemin soit je me lançais dans la descente côté transalpin tout en sachant qu'il me faudrait inévitablement remonter. Tout à ma réflexion, je fis quelques pas dans les herbages alentour. Et c'est alors que je laissais mon esprit vagabonder, qu'un mouvement aussi furtif que coloré m'a fait lever la tête. Face à moi, à peine à quelques pas, autant dire à portée de souffle, une marmotte. Elle me regarde. Je fais de même. Je lui souris. Elle me fait un signe de la patte. Et nous finissons par sympathiser. Au début, encore un peu sur la réserve, nous parlons de tout et de rien, de la pluie et du beau temps. Des enfants qui sont turbulents. Du temps qui passe. La confiance venant, elle avait besoin de se confier, elle me fait part de ses craintes. Des craintes qui étaient liées au climat. Déjà à l'époque, il lui semblait que les saisons manquaient de caractère, que la neige ne rimait plus avec abondance. Je lui répondis, summum de l'analyse, qu'elle se faisait certainement des idées. Le temps a continué de passer. Le réchauffement climatique était devenu d'une quotidienne actualité mais ses conséquences me semblaient toujours aussi lointaines qu'abstraites. Alors je continuais comme si de rien n'était. Je me disais que j'avais le temps. Mais hier, alors que sur deux roues je traversais la plaine, sur le bord de la route j'aperçois mon amie la marmotte. Surpris, je mets quelques secondes pour me convaincre que c'est bien elle et je fais demi-tour pour la retrouver. Après les embrassades et autres manifestations d'amitié, je lui fais part de mon étonnement de la trouver sous nos latitudes. A part quelques timides collines, notre région n'est pas connue pour sa haute altitude. Elle en convient. Devant ma surprise, elle m'explique que depuis notre dernière rencontre les conditions climatiques se sont dégradées, qu'il faut aller de plus en plus haut pour trouver de la neige et que, surtout, il fait désormais trop chaud pour hiberner, que de fait, la civilisation marmottienne est en voie de disparition, que l'expression dormir comme une marmotte n'a plus de sens. La montagne est devenue une vallée d'altitude. C'est la raison pour laquelle elle avait quitté son habitat qui ne lui était plus naturel. Là, devant moi, j'avais l'incarnation, le symbole de mon inconscience. J'avais exagéré. Il était trop tard pour avoir le temps. Je lui ai proposé de l'héberger dans mon réfrigérateur. 

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