mardi 22 novembre 2016

Ma grand-mère (1)

Je me souviens de mes vacances en Bretagne quand j'étais petit. Vraiment petit. Autant dire tout petit. René Coty était président. C'est dire. Je ne l'ai pas connu personnellement mais je ne crois pas que sa femme ait été chanteuse. Un village de quelques centaines d'âmes était mon lieu de villégiature. Un extrait de ruralité catholique dont les activités étaient rythmées par le son des cloches qui parvenait jusqu'aux hameaux dont personne ne se souvenait de l'existence. L’âpreté terrienne, bénite des prélats se prélassant, régnait sur une immobilité parsemée de renoncements. La messe du dimanche les voyait tous, comme un chapelet de viande rance, entrer un à un dans l'église. C'était encore un temps où le dimanche avait ses habits. Les femmes, à petits pas pressés, surmontées d'une coiffe, comme le signe d'une féminité prédestinée et insatisfaite, laissaient leur robe retenir les regards traversés de regrets. Les hommes, avant de pénétrer dans l'allée, encore traversée du parfum de l'encens de l'office du petit matin, se regroupaient et, les mains dans les poches de costumes étriqués, semblaient se parler. Ce monde m'était étranger, lointain et incompréhensible. Seule ma grand-mère partageait mon monde. Elle me souriait en me disant "t'en fais un sacré gamin". Avec elle, j'occupais une place, j'existais dans cette contrée d'où la tendresse avait fui. Elle n’emmenait parfois au lavoir qui se situait à la sortie du village. Nous y rejoignions d'autres femmes déjà affairées. Cette activité faite d'éclaboussures, de claquements, de frottements, de bouillonnements, d'apostrophes et de confidences, d'éclats et de connivences me laissait coi. Je regardais ces femmes plonger leurs mains dans l'eau, parsemée de bulles, qui peu à peu devenait bleue. Je devinais et enviais leur puissance, celle de leurs gestes, celle de leur envie que prolongeait le ruissellement. Je me souviens de cette fois où ma grand-mère avait transporté des draps jusqu'au lavoir. Ces draps épais et rêches qui traversaient les héritages vous assuraient un gommage des fesses tout au long de l'année. Le tissu d'une blancheur crème imprégnée de secrets flottait sur la surface colorée. Ce jour là, alors que l'après-midi s'achevait dans la fraîcheur, je restais seul au bord du lavoir avec ma grand-mère qui essorait le dernier drap. Profitant peut-être de mon innocente candeur, elle me raconta l'histoire de ces draps.  

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