mercredi 30 novembre 2016

Dans le bus

Ce matin, dans le noir et le froid, arpentant un trottoir gagné par le blanc de la nuit, je semblais décidé à rejoindre mon lieu de travail. J'avais la vague conscience que j'allais devoir, après une première tentative ratée, relever à nouveau le défi des 39h. Pour tout dire, la semaine précédente, gagné par une volonté de synthèse, je m'étais essayé au concept du 39 dans les 35 qui, comme son nom l'indique, consiste à faire le travail prévu pour 39h en 35h. Ce fut un échec que l'on pourrait qualifier de lamentable. Probablement tétanisé par l'enjeu, je suis péniblement parvenu à un 28 dans les 35. Homme de défi s'il en est, je suis bien décidé à me lancer à nouveau dans l'aventure mais la semaine prochaine, la présente semaine étant consacrée à l'analyse de mon échec. Donc ce matin, avant même les premières lueurs, j'étais dehors. Comme parsemées de cristaux de givre, les étoiles semblaient briller d'une intensité inhabituelle. Plongé au plus profond de mes pensées, je laissai mes jambes se mouvoir en toute autonomie. Elles me conduisirent vers l'abri bus. Et c'est avec d'autres pauvres hères que j'attendis le bus. Comme mus par le désir de partager ne serait-ce que l'air ambiant, nos souffles brumeux se mêlaient dans l'attente commune. L'espace de quelques minutes, nous formâmes une communauté qui se disloqua dès que les portes s'ouvrirent. Je montai dans le véhicule. Une forte affluence me contraignit à rester debout. Je me risquai à un coup d’œil semi-circulaire afin de vérifier si quelqu'un de ma connaissance ne se trouvait pas dans l'assistance. Personne. Je n'aime pas partager les transports en communs avec quelqu'un que je connais. Il faut dire bonjour, parler, faire semblant de s'intéresser. Fatiguant. Et c'est alors que je me laissais gagner par la torpeur que favorise la chaleur des corps contraints à la promiscuité, que je le vis pénétrer dans le bus. Surmonté d'une chevelure tout aussi plaquée que grasse, la tête rentrée dans des épaules timides (oui ça existe des épaules timides), le pas parcimonieux (oui ça existe...), le regard vérifiant l'existence du sol, vêtu de pantalons de survêtement et d'un blouson et se frottant aux autres corps qui se trouvaient entre lui et moi, il s'approcha. Parvenu à ma hauteur, il me tourna le dos pour faire face à la porte. Je découvris alors sa passion, tout le paradoxe apparent de sa passion. Je dois avouer qu'il força mon admiration, une admiration teintée de respect. Ce qui m'amena à me demander si je serais capable de m'exposer au yeux de tous vêtu d'un blouson avec une chatte dans le dos.

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