vendredi 18 décembre 2015

Discours départ en retraite

Cher Alain, si tu me permets de t'appeler Alain, je vais commencer par parler de moi, et ce n'est pas sans émotion que six ans après mon départ je reviens en ces lieux où j'ai sévi à tous les étages et dans de nombreux bureaux, bureaux individuels, à deux, à trois, à quatre et plus selon affinités. Je peux dire que, dans tous les sens du terme, ici pris mon pied j'ai. Pour ce qui te concerne je ne sais pas ce qu'il en a été mais puisque tu vas d'ici peu partir en retraite, cela veut dire qu'il n'est pas loin d'être trop tard pour la prise de pied. Mais cette fois-ci, ce n'est pas pour le plaisir que je suis revenu. Alors que le samedi 30 juin, comme chaque samedi, je feuilletais les dernières publications du journal officiel, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que tu étais radié. A-t-il oublié de pointer me demandai-je. Je continuai ma lecture pour découvrir que tu étais radié, oui mais des cadres. C'est ce qu'on appelle, faute de mieux, tirer un trait.  Et oui, tu vas partir en retraite, autant dire que tu vas disparaître des écrans radar. Disparaître peu à peu des mémoires. Un jour le plus vieux des plus vieux en activité dira "Tu te souviens d'Alain Ninauve?". Son interlocuteur lui répondra "Qui ça?" et le plus vieux des plus vieux en activité en viendra à douter que tu aies jamais exister. C'est notre lot commun.  Retraité tu vas devenir. Et qu'est-ce qu'un retraité si ce n'est un vieux qui jour après jour le devient un peu plus? Et quelle est la principale occupation d'un vieux si ce n'est d'attendre la mort en espérant qu'elle soit douce et clémente. Arrive un jour où si l'on veut revoir ses anciens collègues le plus sûr est d'aller au cimetière.


Voici donc en guise d'introduction. Comme le dit Jean-Marc, avec une légère touche de vulgarité de bon aloi, une fois faite l'introduction ça glisse tout seul. Du moins en règle générale. Pour tout dire, en commençant la rédaction de ce compliment, j'avais l'intention de relater ton œuvre au sein de ce ministère devenu protéiforme. Mais j'ai dû rapidement me rendre à l'évidence que la tâche serait immense, insurmontable tant ton œuvre est monumentale, indicible, tant elle défie l'entendement. Ne souhaitant pourtant pas renoncer, j'ai fait le tour des services pour recueillir quelques témoignages. Si dans certains bureaux j'ai été accueilli comme un patron par un IT de l'Eure affilié à la CGT, j'ai malgré tout eu droit à quelques sourires jusqu'à ce que je prononce ton nom. Pour tout dire, si je retire ceux qui ne te connaissent pas et ceux qui pensaient que tu étais déjà parti, il reste... Il reste les autres. Après réflexion, pour que tu finisses sur une bonne note, j'ai préféré faire appel, appel à quelques dates et à mes souvenirs. Avons-nous les mêmes? Rien n'est moins sûr. Après une jeunesse rythmée par les turpitudes de la promiscuité avinée qui règne dans les corons, ce qui explique beaucoup de choses et qui justifie notre indulgence, et  une scolarité fantaisiste et plutôt orienté langue à Valencienne, navigant entre deux veines,  tu vas errer quelques années entre Maubeuge et Valenciennes. Puis hasard, concours de circonstances, en 84 du siècle dernier, tu vas intégrer l'INTEFP. Tu vas alors dévorer le code du travail qui, il faut le dire, ne fait encore que 250 pages, code qui quelques années plus tard deviendra la principale cause du chômage dans notre pays, les tenant de cette perspicace théorie, voyant rouge, n'hésitant pas à mettre le dit pensum sur la balance pour donner plus de poids à leur argumentation. En 85 toujours du même siècle, tout auréolé du titre d'inspecteur, tu vas aller sévir au pays de la moule à l'occasion nappée de crème. Face à la plage, tu vas écumer tous les estaminets dans les cuisines desquels prolifèrent presque aussi rapidement travailleurs au noir et coliformes. Après maints PV, mises en demeure et constats d'entrave, tu vas rejoindre la direction régionale qui à l'époque est celle du travail et de l'emploi qui est un des plus célèbre oxymore. Donc à la DRTE tu occupes la fonction d'organisateur régional. Encore aujourd'hui, malgré des fouilles approfondies, comme le dit Rocco, on est encore dans l'incapacité de déterminer ce que tu as organisé si ce n'est ton départ. C'est quelques mois avant ton départ que pour la première fois tu seras brièvement mon chef de service à l'occasion de la création de la DRTEFP, née de l'incestueuse fusion DRTE/DRFP, nouvelle entité qui traînera les stigmates de la consanguinité. Donc en 95, tu vogueras vers le pays des champignons, à savoir Tahiti. Ce que tu fis à Tahiti, nul ne le sut jamais et pour tout te dire, garant d'une certaine morale, je préfère ne pas le savoir. Il y a bien sûr des rumeurs comme quoi t'exhibant devant les vahinés vêtu d'un pagne de taille réduite qui laissait poindre tes intentions...Ensuite, délaissant le siècle dernier, tu vas revenir vers la civilisation en réintégrant la DRTEFP. En tant que directeur adjoint tu vas devenir mon chef et par la même occasion je deviendrai ton subalterne, ton exécutant, parfois des basses œuvres. Tu auras en responsabilité un certain nombre de choses dont le célèbre dialogue social qui dans notre pays s'apparente davantage au monologue social. Pour tout te dire tu as été un chef que j'ai apprécié car tu m'as toujours foutu la paix. Même si je n'ai jamais réussi à me faire une idée précise de tes compétences, je te rassure cette constatation s'applique à la quasi totalité des chefs car je pense que personne ici ne me contredira en disant que la principale fonction d'un chef est d'être nul. Combien de fois ai-je entendu un fonctionnaire sortant du bureau de son chef en marmonnant qu'est-ce qu'il est nul, le chef en question en ayant autant à son service.
Ensuite nos chemins se sont séparés. Je suis allé rejoindre d'autres nuls et toi tu es resté avec les tiens.
Voilà, c'est la fin. Il faut savoir dire stop. Comme le disait le docteur Ogino, il faut savoir se retirer, même, et je le conçois aisément, si cela peut s'avérer frustrant. Mais rassure-toi, le devoir est accompli. Et puis, jusqu'à un certain point g parfois, retraite et plaisir peuvent faire bon ménage.    
               


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