mardi 23 octobre 2007

Merci beaucoup Pierre

Sans sa permission, je me permets ici de reproduire un billet de Pierre Assouline sur la journée du 22 octobre. Je vous encourage à le lire. En le lisant, on a l'impression que tout est dit. Je ne vous cacherais pas que le passage sur Henri Guaino me comble.
Bonne journée.



Que faire de Guy Môquet ?
Il y a ceux qui, comme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, liront eux-mêmes ce lundi la lettre d’adieu de Guy Môquet dans un lycée en prenant soin de la replacer dans son contexte et en faisant fi des problèmes de récupération que cela pose, persuadés de rendre ainsi un hommage à la Résistance à travers cette lecture tenue également comme une forme de “contestation de la politique qui est actuellement menée dans notre pays”.

Il y a ceux qui, tel Guy Krivopissko, conservateur du Musée de la Résistance nationale, recommanderont plutôt la lecture du poème saisi sur Guy Môquet le jour de son arrestation.

Il y a ceux qui, comme les adhérents syndiqués du SNES, appellent à un boycott collectif de cette lecture.

Il y a ceux qui appellent à manifester à Paris à la station de métro Guy-Môquet.

Il y a ceux qui, tel le psychiatre Xavier Pommereau, appellent à la plus grande prudence lorsque cette lettre sera lue à des adolescents, en la resituant précisément dans son contexte afin d’éviter tout contresens et de lever toute ambiguité, en précisant bien que “ce n’est pas la lettre de quelqu’un qui a choisi de mourir car (…) aujourd’hui, un adolescent qui voudrait en finir n’écrirait pas autre chose que ce qu’a écrit Guy Môquet”, précision qui a son importance lorsqu’on sait que le suicide est la seconde cause mortalité chez les 15-24 ans.

Il y a ceux qui, tels ces comédiens du Français, se réuniront avec Michel Favory à 20h au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris pour lire les écrits des poètes de la Résistance.

Il y a ceux tels ces historiens membres du Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire, qui dénoncent dans cette initiative son aspect purement commémoratif ajoutant l’esprit de communion, l’apologie du sacrifice et le désir d’union nationale à la dimension cérémonielle (monument aux morts, flamme de l’Arc de triomphe, devoir de mémoire) : “Chaque acteur de l’espace scolaire jugera de l’attitude qui lui paraît la plus juste, mais il ne nous apparaît pas possible, en tant qu’enseignants comme en tant que chercheurs, de cautionner un tel risque de confusion mémorielle“.

Il y a ceux qui, tel le journaliste Laurent Joffrin, directeur de Libération, pensent exactement le contraire et appellent les enseignants à lire cette lettre en cours… pour toutes les raisons invoquées justement par ses détracteurs car, selon lui, s’y refuser reviendrait à juger le chef de l’Etat non sur ses actes mais sur ses intentions…

Il y a ceux, tels les membres de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, qui refusent que la rôle de l’Etat aille au-delà de la commémoration, que son chef édicte ce qui doit s’enseigner et se permette d’empiéter sur la liberté pédagogique en rendant obligatoire ce qui devrait être laissé à l’appréciation de chacun. L’historien Jean-Pierre Azéma, l’un des meilleurs spécialistes de l’Occupation, ne dit rien d’autre lorsqu’il refuse “cette caporalisation mémorielle” (”Guy Môquet, Sarkozy et le roman national” in L’Histoire, No323, septembre 2007).

Il y a ceux telle Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, qui assisteront ce matin à 9h à la lecture de cette lettre au collège Paul Vaillant-Couturier à Argenteuil, et ce soir à 20h30 au concert de Paul MacCartney à l’Olympia.

Il y a ceux qui, tel le conseiller de l’Elysée Henri Guaino qui a eu cette idée de génie de rendre la mémoire obligatoire à jour et à heure fixes, liraient cette lettre à leurs élèves s’ils étaient leur professeur tout en soulignant son caractère universel, ne se formaliseraient de ce que “quelqu’un” a cru bon y remplacer “camarade” par “compagnon” dans l’intitulé de l’hommage officiel, ne comprendraient même pas que tous les enseignants ne la lisent pas, pousseraient le cynisme jusqu’à dénoncer dans “cette agitation de quelques professeurs (…) une attitude purement politicienne (..) une prise d’otage idéologique” et manifesteraient leur colère car “la nation mérite un peu de respect de la part de ceux qui sont sensés la servir”.

Afin que nul n’en ignore, rappelons donc que ce lundi 22 octobre 2007, les enseignants des écoles françaises sont requis par le président de la République, via une note de service du ministre de l’Education nationale, de lire solennellement en classe les derniers mots de Guy Môquet à la veille de son exécution le 22 octobre 1941. L’Elysée a tenu à rappeler que cette lecture était obligatoire mais que néanmoins, les contrevenants ne seraient pas sanctionnés. On croit rêver, mais non.


Si j’étais dans la situation d’un professeur du secondaire, j’annoncerais aujourd’hui à mes élèves que nous parlerons toute l’année, régulièrement, sauf ce lundi 22 octobre, de l’esprit de résistance tel qu’il s’illustre dans de magnifiques lettres de lycéens et d’étudiants, de toutes origines et de toutes tendances, dont celles de Guy Môquet et de ses compagnons, adressées à leurs proches à la veille d’être exécutés par les Allemands entre 1940 et 1944. L’Histoire n’est pas la mémoire. Sous l’influence d’Henri Guaino, ce type dangereux qui lui sert de plume et de conseiller, et qui lui a déjà pondu un discours affligeant aux Africains pour leur expliquer leur incapacité fondamentale à entrer dans l’Histoire, le chef de l’Etat a commis l’erreur non seulement d’instrumentaliser une mémoire et une tradition qui lui sont étrangères (pas la moindre impasse Guy Môquet à Neuilly mais un boulevard Maurice Barrès, ce qui n’est pas pour déplaire à M. Guaino qui se dit justement “de sensibilité barrésienne”) mais aussi la maladresse de l’incarner personnellement. Ce qu’il fait systématiquement en toutes circonstances au risque de se voir renvoyer à la figure une initiative qui pourrait être louable en son principe mais qui se métamorphose par sa faute en réflexe antisarkozyste. Cette fois, c’était une fois de trop. L’Elysée le sait mieux que quiconque car depuis des semaines, on y observe avec inquiétude, de rapports en notes confidentielles, la montée d’un mécontentement qui ne vient pas que de la gauche enseignante, il s’en faut.

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