vendredi 24 juin 2016

Se souvient-il?

De tous ces instants. Il se souvient de tous ces instants. Instants d'une nuit d'hiver illuminée. Des instants bien rangés dans sa mémoire. Il vérifie régulièrement qu'ils sont bien là. Des fois que le temps les aurait altéré, les aurait rendu illisibles. Il s'est constitué une bibliothèque cérébrale dans laquelle il puise des images, des sons, des musiques, des courts métrages, des voix, des phrases. Il est vrai que c'est une bibliothèque qui lui ressemble, dans laquelle il ne s'y retrouve pas toujours. Il n'a jamais eu d'ordre. Il se souvient parfois vaguement. Il sait que certains souvenirs ne tiennent à pas grand chose. S'il ne les remet pas rapidement sur le dessus de la pile ils disparaîtront à jamais. Combien sont-ils déjà revenus à l'état de feuille blanche? Il tombe parfois dessus pendant l'une de ses recherches. Il essaye de percer cette blancheur, de voir s'il ne resterait pas quelque chose, un indice qui lui permettrait de reconstituer ce souvenir. Il sait qu'un jour les feuilles blanches seront les plus nombreuses. Pour finir, peut-être même ne restera-t-il plus que des feuilles blanches que personne n'utilisera à nouveau. Il se demande parfois à quoi bon garder des souvenirs si c'est pour qu'ils disparaissent avec lui. Quand il s'enferme dans sa bibliothèque, il lui arrive de tomber sur des perles, des souvenirs qu'il avait oubliés. Il ne sait plus quand, au gré d'une de ses déambulations entre les circonvolutions, il était tombé sur son premier amour. L'image n'était plus très nette. Il n'était pas parvenu à distinguer son visage mais avait reconnu sa silhouette. Malgré le flou, sans savoir comment, il était certain que c'était elle. Un amour secret, tout en retenue. Un amour qui n'avait besoin de rien d'autre que d'exister. Un amour avec lequel il s'endormait. Un amour qui le faisait rêver. Ce qui n'est pas le cas de tous. Au détour de ses pérégrinations, il lui arrive de distinguer des endroits sombres. Il ne ressent pas l'envie de s'y aventurer. Le coin des mauvais souvenirs. Contrairement aux autres, le temps ne semble n'avoir aucune prise sur eux. Ils demeurent dans l'ombre, imputrescibles, toujours aussi toxiques, prêts à absorber la clarté. Il s'en éloigne sans toujours pouvoir leur échapper. Comme pour les péchés, parmi ces mauvais souvenirs se mêlent ceux qu'il qualifie de "véniels", ils ont le don de lui gâcher la journée quand ils refont surface mais finissent soit par reprendre leur place jusqu'à une éventuelle réapparition soit par devenir inoffensifs. Les souvenirs étiquetés "mortels' quant à eux, selon leur contenu, le plongent dans une torpeur où peuvent se côtoyer les remords, les regrets, la honte, la douleur, la tristesse. Lentement, ils diffusent le mal-être. Il prend son mal en patience, "non son bien en urgence" attendant que les effets disparaissent. A défaut d'affronter l'ombre, il tente de vivre le plus souvent possible dans le présent, s'autorisant de temps à autre une incursion dans les allées d'un passé apaisant, bienfaisant. 

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