dimanche 12 mai 2013

Discours anniversaire 50 ans Jamal


Cher Jamal si tu me permets de t'appeler Jamal, Fabienne a voulu te faire une surprise en invitant des gens pour fêter ton anniversaire. Sa première idée était de passer la soirée en amoureux mais comme elle me l'a confié, deux heures en tête à tête avec toi ça risquait d'être long et puis avec les participations ça permet de répartir les frais pour le cadeau d’anniversaire et peut-être même de faire un bénéfice.

Je dois t'avouer que j'ai écrit ce texte par devoir et non par plaisir. En effet, il y a dix ans, lorsque tu as fêté tes 50 ans, tu m'avais reproché de ne pas avoir écrit de discours à cette occasion. Donc, pour être tranquille et ne pas en reprendre pour 10 ans de reproches feutrés, c'est avec mes petits doigts que j'ai tapé sur les touches du clavier.

A propos de touche, j'ai longtemps cru que notre première rencontre avait eu lieu sur un terrain de foot-ball. Mais tel ne fut pas le cas. Nous nous sommes rencontrés un jour qu'Agnès fêtait ses 30 ans. Je ne me souvenais pas que cela faisait si peu de temps. Quand je dis rencontrés, il serait plus juste de dire croisés ou aperçus car en cette soirée Fabienne, qui est d'habitude si mesurée, "c'est la tempérance même" me confiait récemment Pierre, pour une raison que l'on ne s'explique toujours pas, se précipita sur la sangria et avant même que ne craquent les premières chips, à coups d'avides gorgées se mit le cervelet en vrac, perdant ainsi rapidement la notion de ligne droite et tu fus, Jamal, obligé d'organiser un rapatriement d'urgence.

Comme tu peux le constater, même dans mes discours les femmes sont envahissantes, alors revenons à toi. Les textes que j'écris, notamment pour des anniversaires, sont toujours l'occasion de me demander quelle est la place du récipiendaire dans mon environnement. Et bien Jamal, je dois t'avouer que tu tiens une place essentielle dans ma vie et que tu m'es précieux. Comme tu le sais, cela fait déjà bien longtemps que je ne suis plus de droite, ce depuis le jour où, avec mon mange-disques, j'ai écouté Michel Sardou chanter "Si les ricains n'étaient pas là". Ce fut comme une révélation. En un éclair, j'étais devenu de gauche mais, au moins au début, à mon insu. Quand je dis de gauche, que l'on se rassure, je parle de gauche de bon aloi, de cette gauche de loin, de cette gauche pensante, de cette gauche moelleuse. Malgré tout, pendant de nombreuses années, j'ai senti comme un manque. Je pensais avoir tous les attributs du citoyen de gauche, à savoir la conscience, l'indignation, l’empathie, l'humour, la finesse, l'intelligence, le charme. C'est quand je t'ai vu que j'ai compris ce qui me manquait. Un immigré. Alors que Le Pen pouvait dire qu'il n'était pas raciste la preuve en était qu'il comptait parmi ses amis un avocat africain, moi pourtant défenseur acharné des minorités opprimées, je n'avais que des blancs dans mon entourage. Tu es en quelque sorte notre immigré pour tous. C'est pourquoi je tenais à te remercier pour m'avoir permis d'être un homme de gauche épanoui.

Mais Jamal tu n'es pas qu'un immigré. Ainsi que me l'avouait Fabienne, arborant un sourire gourmand, tu es un homme complet. Malgré les handicaps liés à ta condition, maîtrise approximative du français, accent ne laissant aucun doute sur tes origines, pratiques dites culturelles étranges comme celle qui consiste à s’exhiber nu dans les sous-bois et à se faire prendre en photo par une bande de pervers, tu as non seulement réussi à t'intégrer, avec quelques adaptations il est vrai, mais en plus tu as su tirer profit des facilités qui t’étaient offertes pour devenir médecin. Ce n'était pas gagné car qui aurait cru qu'un jour une cauchoise accepte de se faire tripoter le périnée par quelqu'un se prénommant Jamal. Je ne vous le fais pas dire. Qui, passant devant cette luxueuse demeure bourgeoise pourrait imaginer qu’elle appartient à un ancien boat-people. Des envieux font remarquer que dans Afrique, continent qui t’a vu naître, il y a frique. Comme le disait Bobby Fisher "Ce n'est pas parce que l'on est mate que l'on est voué à l'échec."

Mais Jamal, tu n'es pas qu'un esprit, tu es aussi un corps qui, m'a-t-on dit, ne fait pas que des envieuses. Fut une époque où nous fréquentions le même vestiaire. En ce temps là, sans que, de mon point de vue, cela soit le moins du monde justifié, tu jouais en équipe première et moi en réserve. Autant sur le principe je suis pour l’intégration autant pour ce qui est de son application je ne suis pas opposé à ce que l’on fixe des limites. J’ai donc à de nombreuses reprises pu t’observer notamment parcourant le chemin menant à la douche. J’ai déjà à plusieurs reprises évoqué ce moment particulier de la douche entre hommes, de cette virilité qu’enveloppe la vapeur, de ces corps qui dans la chaleur moite se relâche, de cet abandon que provoque la fatigue musculaire, de cette simplicité provocante, de ces regards furtifs qui cherchent à se rassurer en minimisant les différences car tous ces mâles transpirants le constataient, même si elle est du nord tu es né en Afrique. D’ailleurs, comme me le faisait remarquer Christel, dans Afrique n’y a-t-il pas « que » ?  Pour ce qui est de Fabienne, elle ne fut pas toujours, au cours de ces années, sensible à cette particularité, préférant un Jamal plus féminin qui aurait consacré davantage de temps pour s’occuper des enfants.

Mais comme chacun le sait, quand bien même j’utiliserais tous les mots de toutes les langues, toutes les phrases de tous les romans, toutes les images de tous les films  je ne pourrais dessiner qu’une vague esquisse de ce que tu es, des émotions qui me traversent quand je pense à toi, quand je vois ton sourire, quand je t’entends parler fort pour raconter une blague qui ne fait rire personne, quand se dessine sur ton visage cette attention que tu me prêtes, que tu me donnes les rares fois où j’ai quelque chose à dire. Je me contenterais de te dire, une fois sorti de la douche et rhabillé, Jamal, je t’aime.     

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