vendredi 6 janvier 2012

Discours départ en retraite

Comme tu l’as souhaité Marie-Claude, si tu permets que je t’appelle Marie-Claude, je n’ai pas écrit de discours pour ton départ, respectant ainsi un désir que j’ai deviné profond, irrépressible. Et comme chacun le sait, il ne m’est rien de plus cher que de combler les désirs d’une femme. Mais que les restantes ne se réjouissent pas trop vite, il faut savoir raison garder car si le désir ne connaît pas de limite, moi si. Comme le chapelier d’Alice fêtait les non anniversaires, nous célébrons donc aujourd’hui un non-départ en retraite. Alors, à qui donc s’adresse ce discours vous demandez-vous ? C’est aussi la question que je me suis posé en l’écrivant. Comme je l’ai déjà signifié lors d’une précédente intervention, la retraite est une disparition et, prise avec plaisir, c’est une petite mort. Cette mort mérite un hommage, un hommage solennel auquel il ne manquera que la couronne. Car, ne nous y trompons pas, les agents de pôle emploi sont des combattants, du moins si j’en crois ceux qui sont chargés de galvaniser les troupes. N’avons-nous pas droit aux expressions « Il faut lutter sur le front de l’emploi » front qui semble se confondre avec l’horizon. « Nous sommes engagés dans la bataille contre le chômage » « L’offensive contre le chômage se gagnera par la création d’emploi » « Pôle emploi est en ordre de bataille » « Le chômage reculera dès l’instant où l’emploi progressera ». Je vous fais grâce des bouts du tunnel, des feux qui sont au vert, des embellies, des désormais célèbres baisses de l’augmentation et ralentissement de l’accélération et autres perspectives encourageantes et frémissements prometteurs.

Soldats du service public de l’emploi, certains, comme abandonnés en rase campagne électorale sont tombés au champ d’honneur parsemé de bras, de ces bras cassés qui dans un dernier spasme tapent avec les trois doigts des deux mains un ultime ctrl-alt-suppr et saisissent que la fin est proche comme l’est le passage de DE à DELD. Il m’a donc semblé juste de glorifier tous ces anonymes en rendant hommage à l’agent inconnu de Pôle emploi. Une cérémonie annuelle sera organisée le jour de la saint Lazare, jour symbolique à plus d’un titre (de transport). En cette période de RGPP, l’agent inconnu a l’immense avantage d’être irremplaçable.

Alors, quelle fut la vie de cette combattante de l’emploi ? Combattante car j’ai l’intime conviction que ce fut une femme pour ainsi chaque matin croire et convaincre le DE que l’embellie est pour demain et qu’elle va lui trouver un emploi. Au commencement était l’ASSEDIC. Acronyme qui désignait une officine qui d’un côté ponctionnait les travailleurs sous forme de cotisations et qui de l’autre côté dilapidait le fruit de sa rapine au bénéfice d’une multitude d’assistés ayant, inattentifs qu’ils étaient, perdu leur emploi. L’existence de cette combine se propageant, les adeptes de la perte d’emploi se firent de plus en plus nombreux. Perdeur d’emploi, plus connu sous l’abréviation PE, devint un métier à plein temps dont les savoir-faire se transmettaient de génération en génération. Avec le temps, perdeur d’emploi est devenu un de ces petits métiers bien de chez nous, de tradition française, qu’il nous faut défendre pour que ne s’appauvrisse pas notre patrimoine. Ainsi notre agent inconnu maniait-il les liasses de billets, à peine sec de la sueur des travailleurs. Généreuse avec l’argent des autres, l’agente voyait les choses en grand.

Pour ainsi dire de l’autre côté de la rue, l’ANPE, dont la mission, impossible, était de convaincre le perdeur d’emploi de devenir un accepteur d’emploi. Il est vrai que passer du statut de PE aisé à celui de travailleur pauvre, l’hésitation était légitime. Le PE mettait en application une des grandes lois du capitalisme, à savoir la loi des avantages comparatifs. Question de bon sens. L’agent ANPE se devait donc de la jouer fine. Il fallait prendre garde de ne pas effrayer le gibier. Pour ce faire, quelques règles simples étaient à respecter. Règle numéro une : ne jamais parler travail ou offre d’emploi lors du premier entretien au risque d’éveiller les soupçons du client. Règle numéro deux : lui proposer de faire le point, lui faire découvrir ses compétences, même si elles ne lui ont et ne lui serviront jamais à rien. Règle numéro trois : lui demander ce qu’il aimerait faire comme si on allait en tenir compte. Règle numéro quatre appâter le gardon en lui proposant une prestation, une formation, ceci dans une ambiance conviviale (le port de la chemise hawaïenne était recommandé), lui précisant que cela ne l’engage à rien et que comme tout un chacun il dispose d’un délai de rétractation de sept jours francs. Ainsi mis en confiance et persuadé que l’on ne lui voulait aucun mal, le PE acceptait-il de consulter des offres d’emploi sachant que par principe il est toujours possible de décliner une offre. Autant vous dire que cette empathie, si respectueuse de la psychologie du PE, avait des effets désastreux sur la situation de l’emploi et ce d’autant qu’un PE partant en retraite était remplacé par deux collègues. Il fallait donc agir et ce au plus vite. Et l’on parla de fusion. De deux organismes distincts allait en naître un seul. Seule, c’est ainsi que se retrouva notre agente. Elle fut victime de manipulations génétiques qui devaient lui permettre de porter deux casquettes en même temps, indemnisation et placement. Tout comme Hercule ne pouvait faire marche arrière au risque de stigmatiser ses origines grecques, cette moderne combattante ne pouvait que voler de victoire en victoire sur le champ de bataille de l’emploi. Mais faute de terrasser l’hydre, elle finit par perdre la tête pendant que son démiurge s’emmêlait les neurones dans la manipulation des fioles. Résultat des courses, de la fusion rien ne fusa et l’agente refusa de retourner au front. De l’empathie l’on passa à l’apathie. Faute de pouvoir donner naissance à l’agente bi l’on créa le binôme mais cela est une autre histoire que je vous conterai un autre jour.

E=mc2

Malgré ma promesse, vous comprendrez que je ne puisse passer sous silence l’œuvre de celle que nous appellerons EMC pour préserver son anonymat. Manieuse de dossiers hors paire, les empilant jusqu’à recréer Manhattan y compris les twin towers sur un coin de table, laissant libre cours à sa sensibilité artistique lorsqu’il s’agissait de choisir la couleur des chemises. C’est avec fermeté et un doigté incomparable qu’elle tirait sur l’élastique tout en sauvegardant son intégrité. Femme d’ordre, avec elle tout était au carré même les ronds, ronds qu’elle ne lâchait que sur facture acquittée. Mais là où elle nous éclaboussait de toute sa dextérité, son talent et sa créativité c’était dans le maniement d’OFAA, ALADIN et autre OLIMP sur lequel elle trônait en compagnie d’un ancien docker retiré des containers reconverti dans l’utilisation de fonction avec une préférence marquée pour la fonction Q et associées alors que notre anonyme EMC, plus romantique, utilisait uniquement la fonction M.

C’est sur cette lettre et cette perspective que je souhaite à notre anonyme tous les plaisirs de la liberté.

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