mercredi 6 octobre 2010

Discours pour un départ en retraite

Je pensais qu'ils allaient devenir de plus en plus nombreux mais je me trompais.

Avant que de me lancer dans la lecture proprement dite de ce discours, je ferai une déclaration liminaire. A la demande express, insistante et réitérée de la direction, j’atteste que ce texte ne contient aucun mot, aucune expression, aucun jeu de mot, aucune arrière pensée à caractère sexuel. Donc, au grand regret de M Mathé, il ne sera question ni de bites ni de couilles et je ne confondrai pas inflation et ... A la recherche d’une caution morale au dessus de tout soupçon, j’ai fait relire ce texte par M Coquebert. Ceci dit, nous pouvons maintenant entrer dans le dur.

Cher Didier, si tu me permets de t’appeler Didier, tu fais partie de ces centaines de milliers de victimes qui chaque année jonchent les bas-côtés de l’autoroute du jeunisme sur laquelle, les mains vides, errent les moins de trente ans. Entre deux découragements, ils jettent un œil vers ces vieux, comme autant d’objets de curiosité, qui ont côtoyé le travail. Se mêlent dans leur regard l’envie de rejoindre ce monde du travail et la peur de finir comme vous. Donc Didier, puisque c’est de toi dont il s’agit, tu es la victime d’un système discriminatoire qui oblige même les plus talentueux à disparaître. Reste à savoir si tu faisais partie de cette catégorie. Quand bien même tu n’aurais pas fait partie des cadors de l’institution, au sein de laquelle les aboiements sont par ailleurs fréquents sans que pour autant passe quoi que ce soit, rien ni personne ne pouvait t’obliger à partir car, à l’évidence, si tu es resté si longtemps c’est que tu devais servir à quelque chose. Quand bien même ce n’était pas le cas, ce n’était pas une raison pour ainsi, du jour au lendemain, te retirer à l’affection de tes collègues. Car quoi qu’on en dise, tu vas disparaître. Tu ne seras bientôt plus qu’un souvenir avant de tomber définitivement dans l’oubli.
Avant qu’il en soit ainsi, j’ai fait un sondage auprès de tes collègues pour savoir ce qu’ils retiendraient de toi. Ce sondage a été réalisé selon la règle des quotas. Quand j’ai prononcé ton nom les réponses ont été variées : de « Je ne fais pas de politique » à « je ne regarde pas Kho lanta » en passant par « Didier qui ?». Il y a bien sûr eu les « C’est pas trop tôt », les « Je croyais qu’il était déjà parti ». Je pourrai te donner les noms si tu le souhaites. Ce qui ressort de ce sondage, fortement marqué par notre histoire récente, c’est que, comme l’a fait si justement remarqué mademoiselle Molocco, fine observatrice du monde contemporain, si nous avons fusionné nous ne nous sommes pas pour autant mélangés. Je ne sais pas si elle exprimait là un regret, mais force est de constater que la fusion n’a pas permis à certains de se placer alors que d’autres ont été bien indemnisés.

Mais revenons à toi, puisque c’est toi qui pars.

Tu as posé le premier pied dans une agence, sans savoir que ça allait te porter bonheur, le 1er juillet 1973, point de départ d’une réussite professionnelle exemplaire. Si certains ont choisi l’ascenseur, au risque de rester bloqués, toi tu as opté pour l’échelle dont tu as gravi patiemment chaque barreau. Ta carrière fût si riche de succès en tous genres que j’ai rapidement renoncé à en faire ne serait-ce qu’un résumé. Ce n’est pas un chapitre qu’il aurait fallu écrire, mais un tome, voire une saga intitulée « Didier Evrard, un autre regard ». A ce propos, je suis intimement persuadé que tu étais prédestiné à rentrer à l’agence. Un seul élément donnera corps à cette intuition. Tes initiales ne sont-elles pas D.E ? Malgré cette somme que représente ta vie professionnelle, j’en ai extrait un élément qui pourrait la caractériser, qui serait l’élément qui a sous-tendu toute ton action. Cet élément c’est le partenariat. On peut dire, avec la queue de cheval en moins, que tu es le Karl Lagerfeld du partenariat. Virtuose ciselant les relations jusqu’au moindre accessoire. Je sais que tu t’es souvent interrogé, sans t’appesantir outre mesure, sur le sens de ton action, te demandant souvent « Mais qu’est-ce que le partenariat ? » Poser la question c’est y répondre. Comme le disait Staline, cet homme à l’humanisme tout en retenue, « Le partenariat, c’est ce qu’on nous vend comme étant indispensable mais dont tout le monde aimerait se passer. » Le partenariat c’est : on se réunit, on boit un café, on fait un tour de table, on fait le compte rendu de la réunion précédente à l’écoute duquel on est étonné d’avoir décidé de faire tant de chose et d’en avoir fait si peu. Ensuite, nouveau tour de table pour savoir où chacun en est. Vous avez complètement oublié ce que vous deviez faire. Vous répondez que c’est en cours. Les deux grands classiques sont : je dois finaliser et j’attends des infos de machin, je vais le relancer. Personne n’est dupe, mais on fait comme si. Ensuite, comme on les a oubliés, on rappelle les objectifs. On papote. On cherche une date pour la prochaine réunion, ce qui prend de 15 à 30 minutes. Tout le monde est content genre « Dis donc, on a bien bossé ». Et chacun reprend ses habitudes car ce n’est quand même pas les autres qui vont nous dire ce qu’il faut faire.

Ainsi s’approche la fin et c’est avec respect et déférence que nous t’accompagnerons jusqu’à ton dernier jour…parmi nous.

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