samedi 24 septembre 2011

Une rencontre

Oh lui alors…

J’étais à mon bureau, les mains au-dessus du clavier dont les touches attendaient le contact de mes doigts. Je regardais dehors tout en faisant semblant de réfléchir. Comme souvent, je ne pensais à rien. J’aimais bien rêvasser, laisser passer le temps sans rien lui demander. J’avais cette croyance que si je lui faisais croire qu’il ne me préoccupait pas, le temps m’épargnerait. J’essayais de ne pas déborder, de vivre maintenant, de n’être que dans le moment. Mais à force, je finissais par me perdre.

Après avoir laissé mon regard errer sur la pelouse en contrebas, je me décidai à regarder l’écran. Deux colonnes grises qui encadraient une surface blanche. Cela faisait longtemps que j’y pensais. Après avoir cherché, j’avais enfin trouvé mon sujet pour un portrait. J’hésitais encore car bien que je le connaisse très peu, je me demandais si mon sujet n’allait pas déborder de la feuille blanche. Je pouvais le découper en plusieurs morceaux et ensuite le reconstituer mais cela risquait de se terminer en « Guernica » et je ne m’en sentais pas le talent. Alors, quitte à tasser un peu, je décidai de le croquer d’un seul tenant. C’est ainsi que je commençais.

« A la lumière de la position du soleil que je devinais à travers le feuillage, je conclus que la matinée était toujours en cours. Encore engourdis par le sommeil tout proche, nos sens s’ouvraient aux sollicitations. Les parfums, les chuchotements. Le vent caressait notre peau. Reconnaissant, chacun de nous appréciait ce matin indulgent qui n’attendait rien de ses hôtes. Comme un lézard qui se gorge de chaleur avant d’entreprendre quoi que ce soit, je me laissais bercer par les voix. C’est à ce moment qu’il est apparu sur le perron. Torse nu, une serviette couvrant le reste de sa nudité, il s’offrait à mon regard. Il n’avait encore rien dit.

Il avait déjà la veille au soir attiré mon attention. Avec application, constance, générosité et talent il avait veillé à la bonne ambiance de la soirée. Je reconnus en lui l’homme d’expérience qui savait varier la nature de ses interventions. Au détour d’une gorgée, il lâchait un mot d’esprit. Constatant un ronronnement des convives, il se lançait dans une improvisation qui mettait en scène un personnage dont les mimiques et les propos nous faisaient sortir de notre torpeur. A d’autres moments, sentant une ambiance bien chaude, il nous faisait participer à un spectacle où se mêlaient chorégraphies et chants. Il ne s’agissait pas pour lui de se mettre en avant mais de ressentir le vif plaisir de faire rire. Il donnait envie de vivre. Bien que cela ne soit pas dans mes habitudes, j’avais engagé la conversation. Comme souvent dans ces circonstances, nous discutâmes de tout et de rien, peut-être surtout de rien, mais un rien qui faisait tout. Il me confia notamment que Carrie était son film culte. Ce n’est que plus tard, en me lavant les dents, que je compris.

Ce matin là, face au soleil, il laissait s’écouler sur ses épaules les dernières gouttes d’une douche récente. Il semblait s’offrir à ce jour nouveau comme pour lui signifier qu’ensemble ils allaient faire de grandes choses. Son corps généreux, comme une avancée vers les autres, semblait recéler des réserves de générosité. Il tourna son regard vers nous qui étions installés dans un environnement de bols et de tartines aux couleurs de confitures maison. Après avoir partiellement et provisoirement dissimulé sa nudité, il rejoignit la table commune. Sa compagne, comme une Mona Lisa des bords de Seine, était assise à côté de lui. Le sourire qui parcourait ses lèvres comme un frisson, donnait à son visage une expression presque moqueuse. De son regard étonné, elle avouait sa surprise de le voir repousser les limites de l’entendement. Elle aurait aimé parfois qu’il passe son tour mais pourquoi ne l’aurait-elle pas laissé aller jusqu’au bout du plaisir qui faisait naître notre rire. L’observant et l’écoutant à nouveau, je fus étonné, ravi et amusé de constater comment il concentrait l’attention des convives qui ne demandaient qu’à se laisser percuter par ses saillies. Nous étions comme les passagers mollement installés dans le confort d’une limousine dont le chauffeur nous aurait fait goûter, avec force virages, aux effets enivrants d’une suspension hydraulique. Par accélérations successives, il en vint à nous faire voyager de rires en sourires, laissant parfois d’autres prendre le volant mais qui rapidement renonçaient faute d’avoir la jambe assez longue pour atteindre la pédale d’accélérateur. Nous sachant arrivés à bon port, garé sur le côté après un magistral créneau, il nous laissa descendre.

…il devrait faire du cinéma (1).

(1) Sacré déconneur de Richard Gotainer

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