jeudi 16 juillet 2009

Bien dit

Suite à la décision prise par notre ministre de la justice de faire appel, j'ai senti que j'avais quelque chose à dire mais sans parvenir à le formuler clairement et j'ai lu cet article dans le Monde. Je vous en conseille la lecture. Nous ne pouvons pas rester indifférent face à ce type de décision politique.



Me Thierry Lévy, avocat pénaliste du barreau de Paris
"La politique des intérêts particuliers s'est introduite dans les prétoires"
LE MONDE | 14.07.09 |

Thierry Lévy est un avocat pénaliste du barreau de Paris. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de réflexion sur la justice, dont Eloge de la barbarie judiciaire (éd. Odile Jacob, 2004) dans lesquels il dénonce "la pandémie victimaire". Son dernier livre est un court essai provocateur intitulé Lévy oblige (Grasset & Fasquelle, 2008).

Que pensez-vous de la décision de la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, de faire appel du verdict rendu par la cour d'assises de Paris ?

La loi, rappelons-le, ne permet pas à la partie civile de faire appel d'un arrêt de cour d'assises. Dans cette affaire, le parquet fait appel sur un ordre du gouvernement que celui-ci a cru pouvoir donner en interprétant de manière extensive les dispositions légales qui lui permettent d'"enjoindre au ministère public d'engager ou de faire engager des poursuites" (article 30 du code de procédure pénale). On crée là un précédent.

L'usage normal est que la décision de faire appel, ou pas, soit prise par l'avocat général qui a siégé à l'audience. En l'espèce, Philippe Bilger était satisfait de la décision puisque ses réquisitions, nuancées, avaient été pour l'essentiel suivies.

Le ministère public n'avait donc pas l'intention de faire appel et ne l'aurait pas fait sans une injonction de la ministre de la justice. Pourquoi est-ce un précédent dangereux ? La garde des sceaux n'a pas assisté aux débats, elle n'a entendu ni les parties, ni les témoins, ni les arguments échangés. Sa décision, allant à l'encontre de celle du ou des représentants du ministère public, s'est évadée de la réalité concrète du dossier, a pris un caractère nécessairement politique. Il ne s'agit pas, pour la ministre, de maintenir une cohérence dans une politique pénale, mais de remplir les exigences d'une partie privée. Les parties civiles auront désormais la voie ouverte pour s'adresser au gouvernement quand les décisions de cour d'assises ne leur plairont pas, ce qui est inévitable dans un très grand nombre de cas.

Ce précédent les invite à contourner, par la voie politique, la loi qui leur interdit de faire appel. La politique des intérêts particuliers s'est introduite dans les prétoires.

Vous dénoncez régulièrement le déséquilibre du procès pénal et la place de plus en plus grande accordée aux parties civiles au détriment de celle de la défense des accusés. En l'espèce, l'équilibre vous paraît-il rompu ?

Cette façon d'agir constitue une atteinte aux droits de la défense. Au nom de quoi corrige-t-on en faveur d'une partie et au détriment d'une autre l'insuffisance des arguments présentés par celle que l'on favorise ? Et que l'on ne dise pas qu'il existe un déséquilibre à compenser entre l'accusé qui peut faire appel et la partie civile qui ne le peut pas. Cette situation, voulue par la loi, définit le rôle de la partie civile qui n'est pas de requérir une peine mais d'obtenir une réparation.

Dans le procès pénal, la partie civile occupe aujourd'hui une place tellement centrale que la défense se heurte en permanence à tous les préjugés favorables à sa thèse. En face de l'accusé, la partie civile et le ministère public constituent un front commun difficile à désunir, dont l'influence limite la marge de manoeuvre d'une défense réduite à l'impuissance lorsqu'elle renonce à susciter la réprobation.

Mais la partie civile, dans le cas d'espèce, reproche au ministère public de ne pas s'être montré assez sévère dans ses réquisitions.

Dans cette affaire, l'avocat de la partie civile est largement sorti de son rôle. Après avoir disposé pleinement des facilités de l'audience, il a développé ses arguments comme il l'a voulu, il a demandé des condamnations qu'il n'a pas obtenues, et, face à cet échec, il a supplié les responsables politiques de faire ce qu'il n'avait pas réussi à faire.

C'est d'autant plus fâcheux et déplorable que les jurés ont subi, comme dans beaucoup d'affaires, des pressions de l'opinion publique révoltée par les faits et leur cruauté. Le rôle des juges est, précisément, de résister et de se prononcer sans trop tenir compte des inévitables pressions. Et voici qu'on leur dit qu'ils ont mal jugé pour avoir fait preuve de cette résistance nécessaire. Dès lors, le procès criminel, déjà largement investi par l'opinion, devient un instrument politique destiné à faire valoir une idée politique.

Par cette attitude, la partie civile fait le jeu de l'assassin que l'on a entendu dire : "Je hais les juifs, parce qu'ils ont de l'argent, parce qu'ils ont le pouvoir." Le résultat est paradoxal. On a justement reproché à Fofana d'avoir agi à partir d'une équation à caractère raciste - les juifs sont riches, donc ils paieront - et on lui donne la satisfaction de voir aboutir des pressions exercées par certains représentants de la communauté juive. Désormais, il pourra dire - et il n'y manquera pas - qu'il a eu raison de considérer que les juifs disposent, grâce à l'argent ou au pouvoir, d'une certaine capacité d'action ou d'influence. Ce faisant, les parties civiles sont tombées à pieds joints dans le piège moral tendu par l'assassin.
Propos recueillis par Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 15.07.09.

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