dimanche 17 février 2008

Une main sur l'épaule



"Un matin de semaine. Presque un matin comme les autres. Il n'y pensera pas, il n'en parlera pas. Il regarde par la fenêtre de la cuisine. Les étoiles sont encore là. Elles disparaîtront avec le jour. Il aimerait tant que ce soit un matin comme les autres. Il n'a pas faim. La peur lui coupe l'appétit. Il a le sentiment qu'agir comme d'habitude lui permettra de conjurer le sort. Son esprit lutte avec les pensées, fait le tri et tente de détruire les mauvaises avant qu'elles ne lui parviennent."



Il sort. Le ciel s'éclaircit. Il peut voir l'air qui s'échappe de ses poumons. Cela fait plusieurs jours qu'il attend, plusieurs jours qu'il se fait discret, qu'il fait tout pour passer inaperçu. Il ne peut pas s'empêcher de se demander si il n'est pas devenu lâche. Chaque jour depuis trente cinq ans, ses jambes empruntent le même parcours, enfin presque. L'ancienne fabrique où travaillait son père a été rasée pour faire place à un lotissement qu'il traverse pour se rendre au travail.

Il passe la grille de l'usine. Il pourrait aller jusqu'à son atelier les yeux fermés.
Quelques poignées de mains. Tout compte fait, il aimerait en parler pour se rassurer, pour sentir un peu de chaleur mais personne ne s'attarde. Il rejoint son poste.

La matinée se termine. Il ne sait pas s' il doit se sentir soulagé ou si ces quelques heures passées le rapprochent de l'inévitable. A chaque fois qu'il entend des bruits de pas dans l'allée, il n'ose plus bouger. Il ne parvient pas à imaginer ce que sera sa réaction. Il sait que si son tour arrive, on ne lui permettra pas de revenir une dernière fois pour dire au revoir à ses collègues. Il passera directement du bureau au trottoir.

Il flotte dans le présent. C'est comme si son passé avait disparu, comme si sa mémoire était devenue une gomme, comme si le film de sa vie avait été exposé à une violente lumière. Sa vie est devenue comme si...Un dernier coup de gomme et il disparaîtra avec sa vie.

C'est à peine si il a entendu les pas mais il a senti la main se poser sur son épaule.


Lors de mes trajets pédestres et quotidiens, n'ayant rien de précis à faire, je finis souvent par me demander ce qui nous unit, quel est notre projet commun, qu'est-ce qui fait que nous aurions envie de vivre ensemble. J'arrive toujours à destination avant d'avoir trouvé la réponse. L'actualité fait régulièrement resurgir ce questionnement. La dernière fois c'est en écoutant un reportage qui expliquait que les dirigeants d'une entreprise avaient élaboré un plan social comportant plusieurs dizaines de licenciements, le nom des salariés concernés n'étant connu que des décideurs. Ainsi, chaque jour, on est venu chercher individuellement, à leur poste de travail, chaque personne pour la conduire dans le bureau du drh qui lui signifiait son licenciement. Ensuite, il était dirigé vers son vestiaire et reconduit aux portes de l'entreprise.

Interrogé, Xavier Bertrand déplorait ces méthodes, ce non respect de la dignité humaine. Pour le coup, je ne lui en veux pas, mais j'ai l'impression qu'il réagit comme vous et moi, qu'il n'a pas plus de pouvoir que nous, qu'il ne peut protéger un homme contre la violence d'un monde qu'il a aidé à construire mais qui n'est plus le sien. Serions-nous incapables de défendre la dignité de nos concitoyens? Sommes-nous condamnés à la résignation, à l'impuissance?

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