lundi 3 août 2015

De Marseille



J’ai le souvenir d’avoir longuement couru ce matin-là. J’avais laissé au jour à peine le temps de se pointer et j’étais sorti. Un peu plus tôt, je m’étais extirpé de mon lit avec difficulté. Poser les deux pieds sur le parquet nécessitait à chaque fois la mobilisation des restes éparpillés d’une volonté qui depuis déjà longtemps chancelait. Après avoir revêtu les attributs du coureur à pied et bu quelques verres d'eau, j'ai entamé les premières foulées sur le bitume. Le ciel était cru. Le soleil rayait encore faiblement le bleu. Dans toute sa perspective, la rue était vide. Les oiseaux interrompaient le silence. Et le temps passa. Peut-être l'esprit ailleurs, je constatai que j'avais couru deux heures. De la tête aux pieds les gouttes s'écoulaient et finirent par former une flaque sur le carrelage. Je n'allais pas tarder à avoir froid. Mais pourquoi avoir couru si longtemps alors qu'une heure aurait largement suffi? Gardant short et maillot, je me retrouvai sous la douche. J'allais laver textile et corps. Avant d'esquisser le moindre geste, je profitai du plaisir de l'eau chaude. Pour qui pratique un sport, chacun sait que la douche est le meilleur moment de l'effort. Je pris le temps de savonner assez longuement maillot et short qui s'imprégnaient de la douceur des bulles dont certaines entamaient une descente qui les mènerait à mes pieds. Est-ce une sensation particulière, je me lançais par surprise dans une séance de pleine conscience. Avec lenteur, je prenais conscience de la mousse. Je le sentais, elle était vivante. Les yeux fermés, je m'imprégnais de sa progression. Elle rendait le temps glissant. Elle se mouvait comme une caresse progressive. Chaque partie de mon corps se laissait aller à sa possession. Ma conscience l'y encourageait. La chaleur de l'eau continuait de se propager. J'étais pleinement là, entier avec cette sensation de déborder de l'espace. Mon corps se fondait dans l'épaisseur. Mon esprit semblait me regarder comme s'il avait lui aussi l'envie d'être savonné. Comme si elles n'étaient que de passage et qu'elles souhaitaient découvrir, mes mains semblèrent sortir de l'engourdissement. N'ayant jamais été aussi près de ce que je cherchais, ma conscience vint à mon aide pour prolonger l'immobilité. Je parvins à l'équilibre qui permet de disposer de soi, d'échapper à l'entrave du quotidien. N'ayant pourtant décelé aucun mouvement, je sentis ce que j'identifiai comme des doigts me parcourir le torse, glisser sur mon ventre. La douceur de ma peau s'incrustait, se prolongeait. Ils se déplacèrent jusqu'à mes épaules, se rassemblèrent jusqu'à former une ondulation apaisante. Emportés par la pente, ils se répandirent dans un massage dorsale. J'avais l'impression de fondre, d'être un liquide suspendu par la seule volonté d'un sculpteur magnétique. Mes mains le long du corps ne bougeaient toujours pas. Je n'avais plus qu'un désir. Que ces doigts, peu m'importait à qui ils appartenaient, continuent leur progression.    
Ailleurs une porte s'ouvrit et ploc fit la bulle. 

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