dimanche 28 avril 2013

Discours anniversaire



Avant de commencer la lecture de ce discours, un propos liminaire afin de vous informer que le texte qui va suivre ne contient que 5% de vérité, qu’il se veut quelque peu humoristique, humour enrobé de délicatesse et autant que faire ce peut fourré de finesse. Donc, je commence.

Chère Nénette, si tu me permets de t’appeler Nénette, en contrepartie de quoi tu pourras m’appeler Thierry le temps de la soirée, tu as souhaité fêter ton dernier anniversaire…en date. Même si ce n’est pas le premier discours que j’écris en l’honneur du quatrième âge, celui-ci est à l’évidence particulier. C’est en effet le premier que je vais lire à Rennes. Si j’ai choisi de le lire en début de repas c’est que je savais que compte tenu de la moyenne d’âge de l’auditoire je risquais si j’attendais le dessert de me retrouver face à un parterre de retraités somnolant. D’ailleurs Nénette m’a mis en garde en me disant « Tu verras, ce sont loin d’être des perdreaux de l’année et surtout tu lis lentement et tu n’utilises pas de mots trop compliqués ». Mais revenons au sujet du moment.

Nous sommes au siècle dernier. La troisième République ne va pas tarder à entamer son agonie. Daladier et Lebrun président aux destinées du pays. Il n’est encore question ni de maréchal tout court ni de général. Dans quelques jours sera procédé au premier tirage de la loterie nationale. Mais loin de toute cette agitation, pour tout dire loin de tout, nous sommes à Augan. ( ) Pour ceux qui ne connaîtraient pas, ce n’est pas un village à l’écart de tout perdu au milieu de la lande, ce n’est pas un bourg, fut-il gros, ce n’est pas une capitale fut-elle tentaculaire, c’est tout simplement le centre du monde, du moins pour ceux qui y habitent, c’est même pour certains tout simplement le monde, délimité à l’Ouest par le col et à l’Est par Rochette.

Pour être plus précis, nous sommes en 1933, l’année du médecin. En ce temps là, on naissait, on vivait, on mourrait à Augan. Bien sûr, il arrivait, pour les moins farouches et ceux qui avaient découvert l’usage du savon, qu’on aille à la ville, là-bas à Ploërmel, par delà les bois et les forets. Pour ce qui était de Rennes, ce n’était qu’un gros point sur la carte de France suspendue à la gauche du tableau noir. Ce n’était d’ailleurs pas sans appréhension qu’on allait rencontrer les gens de la ville. Bah dam oui, c’était ti qu’on allait comprende squi disaient ? Nous sommes donc à Augan, sa mairie, son église, ses chapelles qu’on allait de gaîté de cœur visiter le dimanche après-midi, son presbytère avec m’sieur l’curé, ses châteaux, ses nobles, son maréchal-ferrant et son enclume, ses troupeaux de vaches, ses fermes dans la cour desquelles trônait le tas de fumier amoureusement confectionné année après année et nurserie préférée des mouches , ses femmes courbées qui à petits pas traversaient la place pour se rendre à l’église, ses paysans que l’on reconnaissait à la sortie de la messe à leurs bas de pantalon de costume de premier communiant qui flottaient entre la cheville et le mollet et remonté jusque sous les aisselles, son école religieuse peuplée de bonnes sœurs attentionnées dans le regard desquelles  on pouvait deviner toute la compassion d’un cœur irrigué par des décennies de missel, de vêpres, de mâtines, de carêmes et autres neuvaines. On sentait chez elles cette ouverture d’esprit qui aujourd’hui les aurait sans aucun doute amenées à manifester en faveur du mariage pour tous, Augan et ses 88 débits de boissons officiellement déclarés plus tous les clandestins dont le nombre est jusqu’à ce jour resté inconnu. Ces nombreuses possibilités d’incliner la bouteille et de lever le coude avaient contraint les autorités de l’époque, dans le souci de sauvegarder la santé des agents du service public, à limiter à deux ans consécutifs la présence des facteurs sur le territoire de la commune.

Pour être un peu plus précis, nous sommes début février 1933. Des indices encore timides annoncent le printemps. Mais l’on devine que quelque chose d’autre est en cours. Alors que d’habitude seul le son des cloches et ce tous les quarts d’heure vient perturber le paisible déroulement du temps, depuis peu le bourg bruisse de rumeurs et autres muettes interrogations. On peut voir se balancer des mentons interrogatifs auxquels répondent des haussements d’épaules ignorants. 

 A l’évidence cela ne va pas tarder car pour être encore un peu plus précis, nous sommes un samedi de février 1933. Si Eugène bat le fer tant qu’il est encore chaud, proverbe qui dans la bouche de Landru donne « Il faut battre la femme tant qu’elle est encore chaude » ce qui est moins drôle, surtout pour elle, on constate une certaine agitation dans la maison Launay. Et là, vous vous demandez et à juste titre « Mais quels Launay ? » car si je m’en réfère à tout ce que m’a raconté Nenette, Augan est à 95% peuplé de Launay. Pour vous donner une indication, la petite brune qui pigne devant la porte en suçant son pouce s’appelle Jeannine. Elle est l’aînée mais elle sait que si elle laisse faire, de première elle va passer seconde. 

Pour être beaucoup plus précis, nous sommes le samedi 4 février 1933. Il ne faut pas se le cacher, il y a de la contraction dans l’air. Bien qu’encore en hiver, car en ce temps là ma bonne dame il y avait encore des saisons, l’ouverture du col ne devrait plus tarder. En cet instant, la vie devient un ensemble de vases communicants. D’un côté, on perdra les eaux et de l’autre on la fera chauffer. Ca y est. C’est imminent.

 Pour être définitivement précis il est 13 heures en ce samedi 4 février 1933. Les serviettes, les draps, les bassines, les onguents, les matrones, le souffle court, les grimaces, les douleurs, le linge mouillé sur un front chaud. Voilà, tout est là, tout est dit, on sait tout. Tout, est-ce bien sûr ? Mais non, car en ce temps là point d’échographie. Alors, garçon ou fille ? Il nous faut encore patienter devant la porte de la chambre. Eugène, les mains parfumées à la corne de sabot brûlée, entre dans la cuisine. Peut-être se demande-t-il si dans quelques minutes va apparaître tout emmailloté le prochain maréchal-ferrant. Et puis, un dernier cri, un premier pleur, la porte s’ouvre et l’on annonce « C’est une fille. » Venait de naître Antoinette.         

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