lundi 24 septembre 2012
A autre chose (1)
Il va devoir partir.
Quitter cet endroit. Le quitter définitivement pour la première fois.
il n'emportera rien. C'est ce qu'il voudrait croire. Être délesté des
regrets et de la douleur. Passer la porte, descendre l'escalier,
respirer l'air de la rue. Mais pour l'instant, il est là. Depuis
plusieurs jours. Il passe d'une pièce à l'autre. Il ne reste plus grand
chose. Des cartons vierges de toute indication sur leur contenu.
Quelques objets traînent sur le sol parmi les moutons que les
mouvements du départ ont libérés. Un cadre vide, du papier d'emballage
froissé, une ampoule sur le rebord de la cheminée, un morceau de savons
qui laisse apparaître des crevasses, des restes sur la table de la
cuisine, un paquet de riz dans un placard resté ouvert. Il s'approche
d'une fenêtre. Comme une masse grise, les nuages s'interposent entre le
ciel et son
regard. Bientôt l'horizon rougeoyant disparaîtra dans le matin
pluvieux. Il est
assis par terre, le dos au mur. Il a envie de porter une cigarette à sa
bouche.
La nostalgie de cette fumée qui brouille la vision. La cendre qui tombe
sur le
sol. Mais il ne fume plus depuis longtemps. Recommencer? Il serait
probablement
déçu. Retrouverait-il cette sensation de plaisir si longtemps
repoussée? Ses
doigts sauraient-ils encore saisir ce cylindre, le caresser, le faire
rouler
entre leurs phalanges? Il ne se souvient pas de sa dernière cigarette.
Il
savait que c’était la dernière. Il a arrêté avant d’être condamné. Mais
peut-être était-il déjà trop tard. Il se souvient avec précision de la
première. Il n’en avait tiré aucun plaisir. C’était en cachette. La
précipitation avait laissé place à une nausée. Le plaisir était venu.
Plus
tard. Le plaisir du paquet qu’il venait d’acheter. Le plaisir de le
délivrer de
son enveloppe de cellophane. Le plaisir de l’ouvrir d’une poussée de
l’index.
Le plaisir de lui retirer sa protection argentée. Le plaisir de voir
alignées
les vingt cigarettes blanches sans filtre. Le plaisir d’en prendre une
au
hasard. Le plaisir de sentir sa douceur entre ses doigts. Le plaisir de
la
porter à ses lèvres. Le plaisir d’entendre le frottement du souffre
contre le
grattoir. Le plaisir de le voir s’enflammer. Le plaisir de voir rougir
le
tabac. Le plaisir de sentir la fumée s’enfoncer au plus profond de ses
poumons.
Le plaisir de l’expulser d’un flot continu à l’air libre.
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