mardi 25 septembre 2012

A autre chose (2)



 
« Je ne savais pas que c’était la dernière fois »


La pièce lui semble vide. L'espace paraît s'être réduit comme si la lumière hésitait à en prendre possession. Il sait ce qu'il a à faire mais rien ne presse. Il s'offre le temps d'une ombre qui se déplace sur le sol. Son pas résonne. Il passe d'une pièce à l'autre, comme si... Il ne sait pas trop. Si on lui demandait ce qu'il fait là, il ne saurait pas quoi répondre. Ces pièces vides n'ont plus aucun lien avec le passé. Il ferme les yeux et replace les meubles un à un. Il aimerait retrouver cette sensation de bien-être, de chaleur, la complicité de chaque jour. Il se souvient. Il entrait et déposait les clés sur le meuble de l'entrée sur lequel se mêlait les lettres ouvertes à la hâte et sitôt abandonnées à la bonne volonté d'un autre et le plus souvent d'une autre. Il faisait cinq pas pour accrocher sa veste au porte-manteau, trajet interrompu par le passage devant le miroir. Il ne pouvait s'empêcher de se regarder. Longuement si il était seul dans l'appartement. Il lui arrivait de se trouver beau. Il se souriait alors. D'autres fois, il n'osait aucune remarque, aucune appréciation sur ce qu'il voyait. Ce qui lui échappait, c'était pourquoi un jour il se sentait l'égal de Paul Newman et le lendemain, il ne trouvait rien à sauver. Il faisait un passage par la cuisine, jetait un œil dans le frigo, comme ça, pour rien ou peut-être pour se rassurer. Après, il se dirigeait vers les bruits de tous les jours et découvrait les sourires, les baisers, les regards. 
Ce matin, son attention est rêveuse. Ses pensées disparaissent sous la surface. Il n’a pas la force de les sauver de la noyade. Elles se débattent, suffoquent et coulent. Aucune bouée, pas de radeau. Elles ne laissent aucune trace de leur passage. Comme des embryons dans un tourbillon qui sont aspirés par le fond. Elles finissent par échapper aux rayons du soleil. Elles rejoignent la vase des pensées mortes qui se décomposent dans l’ombre de l’abandon. Il suppose les regrets emportés par le courant. Il se laisse aller dans le temps comme s'il n'était qu'une de ces secondes que le présent renouvelle. Il s'éloigne. Le passé n'est plus qu'un frisson dont l'origine se perd comme une racine qui échappe au regard. Il prolonge cet abandon, cette sensation de s'éloigner du bord, de dériver, de ressentir le mouvement du courant. Il se souvient de la maison où enfant il passait ses vacances d'été. Parfois le matin, il se levait de bonne heure et descendait jusqu'à la rivière. Il marchait pieds nus dans l'herbe qui recouvrait jusqu'aux pieds des peupliers que reliaient entre eux des toiles d'araignées que faisaient briller les gouttes de rosée. Il s'asseyait sur le ponton et laissait pendre ses jambes. Il laissait l'eau lui caresser la plante des pieds.

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