jeudi 23 février 2012

A la marge (1)

En dernière année de l'école primaire, j'avais un instituteur modèle IIIème République. De haut en bas il portait un béret légèrement incliné vers la droite, une blouse de tissu gris, col en V qui laissait voir le haut d'une chemise de couleur foncée, resserrée à la taille par une ceinture, un pantalon noir dont le bas caressait des souliers toujours impeccablement cirés. Un crâne chauve surmontant un visage, qui dans ma mémoire est resté fin, lui donnait un air sévère mais serein. Il n'élevait pas la voix sans raison sérieuse. Le plus souvent un simple regard suffisait pour que la situation redevienne conforme à l'idée qu'il se faisait d'une ambiance de travail. Il se déplaçait avec souplesse. A chaque pas son pied se déroulait du talon à la pointe, ce qui lui donnait une certaine élégance que venait renforcer un port de tête droit.
C'était un homme d'habitudes. Chaque journée répondait à la même organisation. Toute chose devait être faite en temps et en heure et en totalité. Le moment le plus important, le plus solennel et le plus redouté pour ce qui me concernait étaient ce que l'on appelait respectueusement les compositions. Ce rituel avait lieu deux fois par trimestre. Un cahier spécial était réservé à cet office. Le mien, ainsi que celui de mes congénères, était, entre deux compositions, enfermé dans une armoire placée au coin et contre l'estrade. Monsieur Grimaud, dans mon esprit tous les instituteurs auraient dû porter ce nom, rangeait la clef de ce tabernacle laïc dans le tiroir du haut de son bureau. Le matin de la "compo", cette clef était remise au premier de la classe qui ouvrait la porte. Les plus méritants étaient chargés de distribuer la quarantaine de cahiers. Recouverts d'un épais protège-cahier transparent vert, la lumière des ampoules y faisait naître des reflets. Chaque cahier devait être posé en haut à gauche de chaque table. Avant de pouvoir ne serait-ce que le placer devant nous, nous devions d'abord écouter la première série de consignes. C'était une journée importante, chacun devait donner le meilleur de lui-même, bien lire et respecter les consignes. J'ai parfois l'impression que notre vie n'est qu'une longue et interminable litanie de consignes.

Aucun commentaire: