mercredi 22 février 2012

Discours anniversaire

Madame D, plus connu dans la profession sous le pseudo de Nenette, j’ai été chargé de rédiger ce compliment. Pour tout vous dire, on ne m’a pas laissé le choix. C’est donc un peu sous la contrainte que je me suis exécuté mais je me suis appliqué à ce que cette exécution ne soit pas sommaire. Au début, si vous me permettez l’expression, je ne savais pas trop comment vous prendre. Devais-je parler de votre âge au risque d’être désobligeant car il faut bien avouer que fêter un anniversaire au-delà d’un certain âge est pour le moins maladroit si ce n’est déplacé. Vos enfants sont allés vous chercher pour vous amener jusqu’ici comme on sort une relique et ils vous ont installée là et pour vous dire quoi ? Que vous avez 80 ans, comme si, vous regardant ce matin dans la glace, vous ne vous en étiez pas aperçue. J’ai pourtant essayé de les en dissuader, mais rien n’y a fait. Ils n’ont fait preuve d’aucune pitié, d’aucune compassion. Je me suis donc dit qu’à défaut d’abréger vos souffrances, j’allais faire mon possible pour les adoucir. Vous avez, multiplié par deux, un âge canonique, qualificatif qui, comme me l’a fait remarquer Michel, est composé de deux mots devenus aujourd’hui anachroniques. Je me suis demandé depuis combien de temps nous nous pratiquions. Je répondrai un peu plus tard à cette question. Afin de ne pas dire n’importe quoi j’ai longuement, très longuement interrogé chacun de vos enfants et des proches. Je dis proches mais c’est vite dit. Ainsi, tout ce que je vais vous dire m’a plutôt été confié par des intimes. Pour ce qui est des proches, j’ai en premier lieu voulu interroger mon oncle et ma tante mais je suis arrivé trop tard. L’un et l’autre sont restés muets comme… Pour ce qui est du témoignage d’Odette, qui a toujours quelque chose à dire sur tout le monde, elle est experte mais je ne sais pas en quoi. Pour en finir avec le tour extérieur, je ne suis pas allé voir le gros Durand ni le rubicond Roger Delecour

Quand j’ai fait part de mon projet à Alain, il m’a tout de suite mis en garde. « Tu sais, Thierry, on n’atteint pas cet âge sans séquelles. Toutes les connexions ne se font plus depuis qu’elle est repassée sur 110. Comme dirait un écologiste, elle est branchée sur une éolienne, mais il y a des jours sans vent. Donc tu parleras doucement en répétant deux fois chaque phrase, ça lui donnera une chance de comprendre. » Autant vous dire madame Drique que je n’en ai pas cru un mot. Je vous dirais même que ces propos m’ont choqué. Pour le reste, il m’a dit qu’il me faisait confiance, qu’incrusté depuis plus de 30 ans dans la famille, j’en savais autant que lui.

Ensuite, j’ai souhaité rencontrer Marie. Femme active aux multiples activités, il n’a pas été simple de recueillir son témoignage. Je ne savais pas que l’on travaillait autant dans le privé. Entre deux états des lieux, une réunion de l’association « femmes actives mais toujours féminines du canton » je lui ai posé quelques questions. Elle m’a fait part de la dureté de la vie qui était la sienne au Mesnil contrainte qu’elle était chaque samedi de tondre la pelouse avec une tondeuse non tractée pendant que ses sœurs jouaient à la poupée et qu’Alain réglait la balance de son Tépaz. Pour le reste, elle m’a dit qu’elle me faisait confiance, que moi aussi j’avais une mère et qu’il y avait certainement des trucs qui se recoupaient. Elle a malgré tout tenu à m’interdire de faire quelque allusion que ce soit à la suceuse d’occasion.

Je me suis ensuite demandé si il était bien utile que j’interroge les quatre derniers. J’ai supposé qu’eux aussi me faisaient confiance.

Donc, chère Nénette, revenons à vous. Vous êtes née la même année qu’Elizabeth Taylor à qui, si j’en crois Pierre André, vous n’avez rien à envier, ceci dit en tout bien tout honneur. Car autant la Zabeth, femme aux multiples branchements, s’est vautrée dans le stupre et la luxure, donnant de la femme une image déplorable, autant vous, madame Nenette, vous avez su être un exemple de rectitude et de fidélité malgré les nombreuses sollicitudes dont vous avez été l’objet et ce aujourd’hui encore. De votre jeunesse, on connaît peu de chose. Votre instituteur, monsieur Pierre André, dira de vous que vous étiez une enfant attentive et volontaire mais que l’on devinait dans votre regard une attente. L’on vous retrouvera quelques années plus tard, si l’on en croit le témoignage du facteur de l’époque Pierre André, en femme épanouie qui finira par rencontrer l’objet de son attente. Mère d’une famille nombreuse, qui vous a valu une remise de médaille par René Tomasini lui-même, vous avez su inculquer à vos filles, à l’exception de la gauchiste Claire, les valeurs qui ont fait d’elles de parfaites ménagères et à vos fils la fierté d’être des hommes à la virilité affirmée mais contrôlée. Et c’est ainsi que le temps s’est incarné dans d’autres visages, d’autres sourires, d’autres destins qui ont fait de vous une grand-mère, en attendant mieux.

Même si c’est la dernière fois que nous fêtons vos 80 ans, vous avez encore le temps, le temps de vous souvenir des voix, des présences, des pensées qui ont traversé ces années et votre vie faite de toutes ses vies qui se transmettront pour qu’il y ait un peu de vous dans chaque enfantement

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