mercredi 4 janvier 2017

Artériel

Monsieur Lamble gît là depuis...Lui-même ne sait plus. Cela n'a d'ailleurs aucune importance. Depuis déjà quelque temps, monsieur Lamble voit sa mémoire s'effilocher. Sa vie disparaître. D'autres s'en souviennent peut-être mieux que lui. Ce qu'il a été s'éparpille dans d'autres mémoires. Ses souvenirs s'évanouissent. Du couloir lui parviennent des voix ainsi que des bruits qu'il ne réussit pas à identifier. Parfois le claquement d'une porte. Ce qu'il a cru reconnaître la dernière fois. La dernière fois. Cette impression que sa vie n'est maintenant plus qu'une suite de dernières fois. Tout avait commencé par une succession de première fois. Les premiers pleurs, le premier souffle, le premier baiser , la première caresse maternelle, le premier sein à téter, le premier mot, le premier pas, le premier sourire, le premier chagrin, la première injustice, le premier regret, la première trahison, le premier espoir, le premier désir, la première fille, le premier amour, la première fois. Cette première fois s'est effacée. Il se débat dans le grand effacement. Il a été cette eau claire et vive qui débordait, qui éclaboussait, qui se répandait, qui brillait dans le jour. Maintenant sa vie s'offre comme une plage à marée basse piétinée par les estivants. Une page traversée de mots perdus entre les lignes. Le néon peine à éclairer la chambre. Il permet de deviner. Qu'aurait-il encore à découvrir? Si ce n'est mourir, quelle première fois lui reste-t-il? Il est devenu un adepte des plaisirs de proximité. A proximité de ses mains. Ses jambes font de la figuration. Par la force des choses, il est devenu un homme tronc immobile dans une vie tronquée. Il regarde ses mains posées de part et d'autre de son corps. Elles reposent le drap. Il aime sentir sa douceur sous ses doigts tremblants. Il se souvient de draps entortillés dans les odeurs d'intromissions. Il sait. Mais s'il avait su que c'était la dernière fois, il aurait...Il veut se souvenir du désir. Se laisser glisser encore une fois. Quand ce qu'il croit être la nuit s'installe, les yeux mi clos, il attend. Il semble aussi immobile que le reste de la journée mais dans cette attente s'éveille ce qui subsiste. La porte s'ouvre et elle entre. Depuis combien de temps n'a-t-il pas ouvert une porte? Il a toujours l'impression qu'elle lui sourit. Elle fait le tour du lit. Toujours par la gauche. Elle prend son bras et le soulève. Juste assez pour le glisser dans le brassard. Il ferme les yeux. Son bras est enserré. La tension. Elle prend son poignet. De ses doigts, elle exerce une légère pression. Encore quelques secondes. Le sifflement de l'air qui s'échappe et libère son bras qui retombe le long de son corps. Il aimerait tant une dernière fois. 




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