Un
propos liminaire pour préciser que ce qui suit a été inspiré par Jorge que sa
nature quelque peu bourrue empêche parfois de donner libre cours à son
romantisme qui, bien que rêche, n’en est pas moins touchant. Comme il aime à le
dire, l’amour est dans les cordes, celles que l’on gratte, que l’on pince, que
l’on frôle, que l’on caresse.
Chère Dorothée, si tu me permets de t’appeler
Dorothée, tu as certainement constaté que je n’étais physiquement pas présent
parmi vous. Vos yeux n’auront donc pas le plaisir de se poser sur ce physique
que d’aucun considère, dans sa catégorie, comme n’étant pas dénué d’intérêt. Je
ne sais pas qui de vous ou de moi le regrette le plus. C’est donc une autre
langue dans une autre bouche qui prononce ces mots qui te sont destinés. Tu
fêtes aujourd’hui ton anniversaire. Quand, sous le sceau du secret, ce cher
Jorge m’a donné ton âge, j’en suis tombé à la renverse. Non, lui ai-je dit, ce
n’est pas possible, redis-le moi. Ce qu’il fit. Sans hésitation, il le redit.
Incrédule, je dus me rendre à l’évidence, qu’au moins jusqu’à présent, tu avais
vécu à l’abri du temps qui, telle la lumière du première instant, te préservait
de l’ombre des années. Ce teint frais, ce regard pétillant, cette démarche
primesautière, cette légèreté d’un matin d’été ont traversé les années comme
autant de secondes.
Ces mots qui, malgré mes efforts, écorchent la
réalité ont exhumé mes lectures d’antan. Comme une madeleine encore chaude, ma
mémoire a laissé filtrer le parfum du lys dans la vallée qui fait de toi cette
femme balzacienne de trente ans et Jorge est ton sir Arthur Ormond.
De là où je suis, je devine que tu rougis, que tu
te retournes pour voir de qui l’on parle Nous sommes donc en 83,
1983. La vague rose est en train de s’échouer sur la plage des désillusions et
toi, subrepticement tu fais irruption au grand jour. Fait exceptionnel, tu sais
déjà parler, confirmant, sans qu’il soit besoin d’un examen approfondi, que tu
es une fille. Tu balance quelques « Salut ! » à l’assistance dont
la sage-femme qui a encore les mains dans le cambouis. D’un coup de dent, car
tu es déjà incisive, tu coupes le cordon, tu fais un nœud pour te souvenir de
ce jour et tu sautes dans ta première couche mais tu n’en remettras pas une. Et
ensuite ? Ensuite, ça va très vite. Tu quittes la maternité avant ta mère,
ce qui te permet de lui préparer sa chambre. Et puis tout va s’enchaîner. La
maternelle où ta maitresse te charge de garder tes petits camarades pendant la
sieste et de les consoler lorsqu’ils ont un gros chagrin. Et ainsi jusqu’au
lycée où il t’arrivera à l’occasion de diriger des conseils de classe. Côté
garçons, après quelques expérimentations pour te faire une idée de tes
potentialités, tu sauras les diriger vers la porte G, G comme j’ai envie,
vas-y. Et puis un jour, tu vas rencontrer ton bel et sensuel lusitanien. Il va
te faire découvrir la morue sous toutes ses formes, le maçon trapu, le fado
avec Amalia, le Benfica, Eusébio, les œillets, le Tage et, tel Vasco de Gama scrutant le large avant de
partir à la conquête d’un monde encore inconnu,
il te fera voguer par delà l’horizon pour atteindre les ultimes frissons
du désir.
Ceci
dit, il n’y a pas que le cul dans la vie, il y a aussi l’amour qui donnera
naissance, moyennant quelques contractions, aux enfants qui aujourd’hui égayent
vos matins, vos soirées, vos nuits à tel point que dès que vous pouvez vous les
refilez aux grands-parents.
Comme
me l’a finement fait remarquer Jorge, une fois n’est pas coutume, ce n’est pas
en quelques misérables lignes que je pouvais esquisser l’indicible. Toujours
selon ton gratteur de cordes préféré, les mots qui peuvent parler de toi sont
dans le cœur de celui qui t’aime.
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