lundi 8 juillet 2013

Discours pour un départ en retraite


Cher Gérard, si malgré ton grand âge et tout le respect que nous te devons tu nous permets de t'appeler Gérard, c'est ici que pour toi la route se termine. Comme le tocsin, l'heure du bilan a sonné. Comme un lion qui a arpenté les coins et recoins parfois désertiques de la savane  du savoir, ta crinière a aujourd'hui blanchi. Même si, comme nous l'a confié avec tendresse Maïthé, tu ne rugis plus comme avant, ta passion demeure. 

Après avoir mené une enquête approfondie et recueilli moult témoignages, nous avons cherché quel serait le mot qui te caractériserait le mieux. Tout de suite rebelle s'est imposé comme une évidence. Ta vie a été parsemée de bras d'honneur mais toujours avec cette élégance qui te caractérise. Si tu es né à Sainte Adresse nous l'allons voir que de prédestination il n'y a pas, car comme le disait ce cher Michelet "Le chêne ne doit pas tout au gland", ce n'est pas Jérôme qui nous contredira . Ainsi, première légende urbaine te concernant, il se dit qu'à ta naissance sous le regard interloqué de la sage-femme c'est ton majeur gauche qui le premier apparut. Ainsi, tout petit déjà, tu contestais les institutions, les conservatismes, la répression. A telle enseigne qu'en 1956, par solidarité envers les hongrois dont le pays vient d'être envahi par les chars soviétiques, tu décides de redoubler ta première année de maternelle. Les historiens ne se sont pas encore penchés sur les répercutions de ce geste mais toujours est-il que quelque temps plus tard le mur de Berlin tombait.
En 58 ton attitude est apparemment plus ambiguë. C'est en cette année de retour au pouvoir du Général que tu ingurgites d'un seul coup d'un seul CP et CE1. On pourrait voir dans cet acte l'allégeance, le renoncement de celui qui à son échelle avait à quatre ans commencé à saper les bases d'une société lancée à pleine vitesse sur l'autoroute de la consommation et de l'hédonisme. Mais c'était mal te connaître. Conscient qu'il était contre-productif d'avoir raison trop tôt, tu entras en clandestinité, devenant agent dormant de la cause. Malgré tout, trépignant en ton fort intérieur, tu fis une petite rechute en ratant le concours de l'école normale. Mais tu rentras vite dans le rang en étant admis l'année suivante. Nous étions en 66. Quelque chose en toi te disait que le grand soir était proche. Et c'est ainsi que ton action clandestine donna tous ses résultats deux ans plus tard au cours du printemps période que l'on appela plus tard les évènements de mai 68, période au cours de laquelle tes talents d'activiste firent merveille. Faisant tienne et expérimentant les nouvelles libertés, tu investis la même année, oriflamme fièrement dressé, l'école normale des filles, car homme toujours en avance sur son temps, tu n'attendras pas 69 comme Jane et Serge. Tu fus l'auteur de slogans encore aujourd'hui dans toutes les mémoires tels que :   Arrêtez le monde, je veux descendre,  Baisez-vous les uns les autres sinon ils vous baiseront, plus obscure  À bas le crapaud de Nazareth,  La barricade ferme la rue mais ouvre la voie, Faites l'amour puis... recommencez, et celui que nous pouvons encore lire aujourd'hui dans ton regard Céder un peu c'est capituler beaucoup. 

Bien sûr, Gérard, le contrecoup fut rude. L'année 69, malgré les promesses qu'elle contenait ne fut pas à la hauteur. Les pavés avaient repris leur place, recouvrant la plage que l'on avait foulée quelque mois plus tôt. Il est vrai que s'annonçaient les années pompidoliennes qui en terme d'érotisme ne figurent pas dans le top 10 des années les plus bandantes ou mouillantes, c'est selon. Et encore, ignorais-tu qu'allaient leur succéder les giscardiennes. Molesse et assèchement étaient à venir. Mais pour toi, la période guimauve n'allait pas durer. Le lionceau allait devenir jeune lion fougueux comme l'on te surnomma dans le milieu de la tumultueuse contestation estudiantine. En 70 tu entames ta formation universitaire qui te fera entrer dans l'ordre des PEGC, sorte de couteau suisse de l'éducation nationale. En 71, année qui laissa peu de souvenirs dans la mémoire collective, on se demande encore à quoi elle servit, tu échoues à ton examen de passage en 3ème année. Nous devons t'avouer que nous avons longtemps hésité à utiliser ce verbe "échouer" car à la réflexion tu n'as jamais échoué, tout au plus as-tu pris un peu plus de temps que le commun des mortels. Ensuite, c'est go West, on the road, dernières effluves de patchouli. L'aventurier que tu es taille la route pour débarquer à Buchy. Buchy, chef lieu de canton, Buchy et sa gendarmerie, Buchy et ses foires, Buchy et ses halles, Buchy et sa gloire locale  Ernest Marius Noury et bien sûr Buchy et son collège dans lequel tu pénètres pour la première fois en 1974 et dont, tel le numéro 6 dans le village, tu ne sortiras plus. Mais comme lui, tu n'auras de cesse de crier que tu n'es pas un numéro mais que tu es un homme ...libre. "Bonjour chez vous." Avant d'y entrer de plein pied tu fais un détour par la caserne et en 75, l'année du canon, tu deviens de plein droit PEGC maths-techno.

Et là, le spécialiste de l'agit prop que tu es va transformer ce paisible collège en bastion de la contestation, en laboratoire du slogan qui tue, nous y reviendrons, en avant-garde de la rébellion, mot qui, si cela était possible, te résumerait, lion rebelle rugissant que tu es. Avec toi, les principaux vont devenir secondaires, le B.O n'aura rien d'original, tu n'auras pas besoin des circulaires pour tourner la page, tu créeras un comité de défense du mammouth, tu dénonceras le fait que tout corps d'enseignant lancé dans le bain sans formation subit une poussée vers le bas.  Cette soif d'absolu te verra un jour te lever au cours d'une réunion et déployant ta majesté tu pointeras un doigt ferme et définitif vers la direction en assénant un sans appel "Madame, vous n'êtes que de passage".

 Tout comme Lawrence d’Arabie traversa les déserts sans jamais perdre de vue son ambition d’unification des peuples, tu as traversé, tels des plumeaux qui n’empêchaient pas la poussière de se redéposer, les réformes, les réformettes, la réformite aigue sans que jamais tes nobles ambitions tant pédagogiques qu’humaines n’en pâtissent. Les Haby, Fontanet,  Beulac, Faure, Savary, Chevènement,  Monory, Jospin, Allègre, Lang, Chatel, Darcos, Ferry, j’en passe et des moins bons, sont passés, se sont dépassés sans jamais se rattraper, ont parfois trépassé et t’ont souvent lassé.

 Côté ministère, une réforme, pour faire court, c'est une circulaire, côté enseignants ce sont des manifestations et qui dit manifestation dit...slogans. Le bon slogan est à la manifestation ce que le sloggy est aux fesses, il épouse parfaitement les formes de la contestation, il met en valeur ce qui dépasse du rang. Et ce qui dépasse du rang, Gérard, ça te connait. Alors avec toi, du slogan, en veux-tu en voilà comme si il en pleuvait. Non dénué de fondements et à la rime profonde, le désormais célèbre "Aucu, aucu, aucune hésitation, mettons leur dans le fion". Le plus radical et sans appel "Assez de cette société". Et celui dont tu es le plus fier "Non, non, non à ta réforme bidon. Oui, oui, oui à l'imagination". D'aucuns auraient pu entrevoir dans cette proposition d'alternative un ramollissement de ton intransigeance, mais que nenni, il fallait y voir une revendication sur ses deux pieds ce qui évitait de se retrouver à quatre pattes, position mettant à la merci de tous les abus du pouvoir. Comme aurait pu le dire Rocco Sifredi, mis bout à bout ces slogans donnaient le plaisir de se sentir vivant. 

Bien sûr, il n'est pas de mots, il n'est pas de phrases qui puissent ne serait-ce qu'esquisser celui que tu es dans la classe, dans le collège et ailleurs mais le seul point commun que nous avons avec l'institution te concernant, c'est que, nous te le certifions, pour nous tu es hors classe.

   




Aucun commentaire: