mardi 2 août 2011

Il est temps (3)

Les jours de grand désespoir, je l’imaginais partant avec l’eau du bain. La baignoire vide, orpheline, ma tête, roulait sur l’émail. Un dernier bruit de tuyauterie comme un rot attendu depuis longtemps saluait son départ. Cellule par cellule, mon corps rejoignait les égouts. Il s’éparpillait dans les boyaux colonisés par les rats. Peut-être était-il grignoté par leurs incisives. Ce processus était brutal. Je l’estimais moins cruel que celui qui était en cours. J’avais l’impression que chaque jour mon corps disparaissait par petits bouts, comme s’il profitait de mon inattention, de mon sommeil. Ma peau, comme un vieux slip dont l’élastique n’est plus qu’un souvenir, pendait de partout. Elle paraissait trop grande pour moi. Mes muscles avaient fondu comme beurre au soleil, remplacés par des protubérances de graisse qui tremblaient à chacun de mes pas. Même si je ne les voyais pas, je les devinais. Je ne pouvais rien y faire. Plus rien ne saillait de cette silhouette. J’éprouvais un sentiment d’injustice. Pendant longtemps je m’étais entretenu, j’avais pris soin de ce corps. Je l’avais respecté. J’en avais été fier. Maintenant, il me faisait honte. Ce n’était plus moi. Sans qu’ils le sachent, mes proches voyaient, vivaient avec un autre. Je n’avais plus rien à voir avec lui. Je ne faisais plus que lui prêter ma voix comme un acteur de doublage. Il pouvait faire ce qu’il voulait, je m’en désintéressais. Malgré ma volonté d’ériger l’indifférence entre nous, je sentais que ce n’était pas suffisant.

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