mercredi 12 mars 2014

Le tout premier (1.2.3 fiction)

J'ai rassemblé mes souvenirs, tous mes souvenirs. J'ai le sentiment qu'il n'en manque pas un seul. Pour certains, je suis allé les rechercher très loin. Rien ne dit qu'ils soient tous complets. Quelques morceaux ont pu se perdre en route mais en tout cas, même incomplets, ils recèlent l'essentiel. Il est possible que ma mémoire ait fait de la rétention mais ce n'est certainement pas sans raison. Je suis persuadé que ma mémoire me veut du bien. Une fois rassemblés, je les ai triés. Cette phase s'est révélée complexe. Après quelques hésitations, j'ai opté pour la chronologie. Étant un esprit simple, je privilégie la linéarité. Combien de fois me suis-je perdu dans des romans dans lesquels s'entremêlaient passé et présent. D'une certaine façon, mon souci principal a été de découvrir mon premier souvenir. Si je prends l'exemple de ma naissance, ma mère me l'a racontée mais est-ce pour autant un de mes souvenirs? Une question en entraînant une autre, je me suis demandé ce qu'était un souvenir. Un épisode de ma vie avec un début et une fin. Une sorte de nouvelle cérébrale. Le souvenir d'un parfum est-il réellement un souvenir? J'ai coupé court et me suis concentré sur la recherche du premier. J'ai fini par le trouver. J'ai décidé que c'était le premier. Il y avait tout lieu de le croire. Alors pourquoi ce rassemblement de souvenirs? Dans un premier temps, j'avais l'intention de raconter ma vie. J'étais persuadé que cela ne viendrait à l'idée de personne d'autre. Je dis cela sans amertume. Et puis en me racontant, j'avais l'espoir d'apprendre à me connaître, de découvrir qui j'étais pour autant que je sois décidé à ne rien omettre. Moi est un sujet qui m'intéresse. Bien sûr, ma vie ne peut se résumer à une succession de souvenirs, quand bien même ils pourraient être qualifier de passionnants. Je décide pourtant de commencer par le premier. Je suis persuadé que je finirai par découvrir le point commun entre eux. Même si cela n'apparait pas au premier coup d’œil, le désordre de ma vie répond à quelque chose que je suis encore incapable de définir, mais je sens une puissance qui me guide.

Rien de pire que de dépérir. Ce n'est pas la première fois. Mais à chaque fois l'urgence se fait plus pressante. Il m'est impossible d'évaluer le temps restant. J'ai l'espoir de gagner un peu de vie en me débarrassant de morceaux de mon passé. Je le convertis en mots que j'offre aux autres. Libre à eux de les lire. J'échange de l'avant pour de l'après.Mais cette fois-ci, que j'espère la dernière, c'est différent. Ce qui reste de ma vie me servira à la raconter. J'ai le temps. Et même si je ne l'ai pas. Je le prendrai. Jusqu'à la dernière seconde pour un dernier mot. Un dernier point de suspension. Si elle est sans fin, quelqu'un aura l'envie de la finir. Un sourire, un baiser, une caresse, une larme sur sa joue. Noir sur blanc. Je n'ai pas donné de couleur à ma vie.
J'ai commencé petit. Le premier souvenir est un bruit. Le bruit de mes pleurs. Des pleurs du refus. Je n'ai jamais été à l'aise avec les autres. Les premiers autres étaient des enfants. Des enfants dans une cour, des enfants dans une classe. Des enfants qui parlent, qui me parlent. Des enfants que je regardent sans comprendre ce qu'ils me veulent. Certainement pas grand chose mais comment le savoir. J'étais sur le pas de la porte. La main qui tenait la mienne allait relâcher son étreinte. J'allais me retrouver seul. Peut-être pour toujours. Et j'ai pleuré. Que pouvais-je faire d'autre? Ma mère m'a laissé là. Je n'ai pas pensé à lui en vouloir. Une autre femme s'est adressée à moi. Elle m'a pris par la main mais c'était une autre main. Elle m'a montré une place. Je découvrais que chacun avait une place. "Voici ta place et range tes affaires." Il y aurait toujours quelqu'un pour me désigner ma place.

C'est un premier souvenir qui n'a ni début ni fin. J'aurais pu le laisser de côté. Mais j'ai cette envie de ne rien oublier. De ne pas être oublié. C'est un aveux. Je ne veux pas disparaître avec ma mort. Que restera-t-il de moi après? J'y pense souvent. Des souvenirs dans la mémoire des autres. Je ressurgirai dans des conversations. Où serai-je après ma mort? Tout entier dans le cercueil. Dans ce nom et ces dates gravés. Dans des objets, ailleurs. Dans des regards. Sur les joues que j'ai embrassées, dans les bras qui m'ont étreint. Provoquerai-je encore des frissons? Ferai-je encore sourire? Quel sera cet instant où je ne serai plus nulle part, où plus aucun cœur ne m'abritera? Même mort, j'aimerais continuer à aimer. S'il ne restait que l'amour, le plaisir de l'amour, le corps du désir, le désir d'aimer, de sombrer dans l'absolu.   

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